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La class action française en sept questions

Benoît Hamon présente ce jeudi en Conseil des ministres son projet de loi sur la consommation. Parmi les mesures phares : l'instauration d'une "action de groupe". L'objectif est de permettre aux consommateurs victimes d'un même dommage de poursuivre collectivement une entreprise.
Article rédigé par Antoine Krempf
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
  (Maxppp)

La fin d'un serpent de mer ?

"Cela fait trente ans qu'on la réclame et cela n'a
jamais paru aussi concret
", se réjouit Cédric Musso de l'association de
consommateurs UFC-Que Choisir quelques heures avant la présentation du projet
de loi proposant la mise en place d'une action de groupe à la
française.

Signe que les opposants sont nombreux, surtout du côté du patronat, et que la machinerie juridique est complexe à mettre en place, deux présidents s'y sont cassés les dents : Jacques Chirac en 2005 et Nicolas Sarkozy en 2007. Bref, si la promesse du candidat Hollande est en passe de se réaliser, les débats au Parlement sur le texte élaboré par Benoît Hamon s'annoncent agités à partir du mois de juin. 

Comment marche l'action de groupe Hamon ?

D'après le projet de loi, la procédure ne pourra être
engagée que par l'une des 16 associations de consommateurs agréées par
l'Etat. Elle devra être mandatée par au moins deux consommateurs lésés.

Le dossier est
ensuite présenté à un juge. Ce dernier décidera si l'action de groupe est
valide ou non. Si c'est le cas, ce sera à l'entrepreneur ou à l'association de
faire la publicité de la condamnation. Les consommateurs victimes devront alors
se faire connaître. In fine , les dédommagements seront payés directement par
l'entreprise ou via l'association. 

Sur quoi porteront ces actions de groupe ?

Le projet de loi ne concerne que les préjudices matériels
liés à la concurrence et à la consommation. Il s'agit de "litiges du
quotidien" : une clause abusive dans un contrat bancaire ou encore une pièce défectueuse
dans un lave-vaisselle. "L'exemple emblématique, c'est l'entente entre les
opérateurs de téléphonie mobile. Ils ont été condamnés en 2005 à une amende record
de 500 millions d'euros. Il faut savoir que cet argent est allé dans les
caisses de l'Etat. Mais les 20 millions de victimes n'ont jamais vu leur préjudice
réparé
", assure Cédric Musso de l'UFC-Que Choisir.

Par contre, rien n'est prévu pour les préjudices corporels
ou moraux, "qui nécessitent des expertises individuelles ", précise le
ministre délégué à la Consommation. En clair : pas de recours collectifs sur
l'affaire Mediator, les prothèses PIP ou en cas de marée noire. "Il
fallait faire des concessions au niveau des champs d'application pour qu'un véritable
dispositif d'action de groupe voit le jour en France. Nous voulons faire la
preuve par l'exemple avant de généraliser
", concède Cédric Musso.

Combien de temps pour être indemnisé ?

C'est l'un des points noirs du texte. Benoît Hamon annonce
que l'action de groupe doit être "une procédure rapide ". Mais aucun
délai maximum n'est prévu pour valider l'action de groupe. Or, si des consommateurs
se plaignent d'une pratique anticoncurrentielle, ils vont devoir attendre que
tous les recours soient épuisés et que l'Autorité de la concurrence rende une
décision définitive. Un parcours qui peut durer une dizaine d'années.

"Au Portugal, des abonnés d'un opérateur téléphonique
ont dû attendre quatre ans avant d'avoir une réponse. Est-ce que c'est vraiment
ce qu'attendent les consommateurs ?
", s'interroge Joëlle Simon. Pour la directrice
juridique du Medef, farouche opposante au texte, "la voie judiciaire est
toujours longue, complexe et coûteuse. Alors qu'une médiation, c'est en moyenne
deux à trois mois pour obtenir une solution, et six mois si c'est une médiation
collective
".

Le nombre de poursuites de consommateurs va-t-il exploser ?

Au Medef, les entreprises se préparent depuis plusieurs mois
à ce type de procédure. Des outils ont été mis à disposition des entreprises pour
prévenir d'éventuelles actions de groupe. Il s'agit notamment de vérifier les polices d'assurances ou les couvertures en cas de litige. Il faut dire que
l'exemple américain peut faire peur. 

Les cours fédérales des Etats-Unis ont traité l'an dernier plus
de 6.300 class actions
– un chiffre en constante augmentation – et les amendes
peuvent atteindre des centaines de millions d'euros. Pour le gouvernement, il
fallait éviter ce côté "business" de la class action. Voilà pourquoi
les associations de consommateurs sont au centre du dispositif. 

"On mène déjà des actions en justice depuis des années sous
d'autres formes. Et je pense qu'on a démontré que c'était à bon escient car les
pratiques étaient contestables
", estime Sandrine Perrois de la CLCV, l'une des associations agréées. Mais
pour les avocats, exclus de la procédure, c'est "une conception archaïque
et bien française de considérer qu'avec les avocats ce serait la porte ouverte
à tous les excès
", d'après Pierre Servan-Schreiber, avocat aux barreaux de Paris et
New York.

Mais pour Benoît Hamon, son texte est surtout "une arme
de dissuasion massive
". Le but, c'est de parvenir à un compromis entre les
consommateurs et les entreprises avant que la procédure judiciaire n'aboutisse.
Et les exemples européens semblent lui donner raison. En Italie par exemple, sur
les 23 actions de groupes menées depuis 2008, une seule est allée jusqu'au
jugement. Onze autres ont été rejetées et les autres ont fait l'objet de
transactions.

Quel impact sur les entreprises et l'économie française ?

C'est l'autre alarme déclenchée par le Medef : en ces temps
de crise, il ne faut pas fragiliser les entreprises françaises. Lors de son
audition au Sénat en 2006
, Joëlle Simon affirmait que "le coût estimé est
d'environ 1,5 point de PIB aux Etats-Unis et de 1 point en moyenne dans les
pays où les class actions sont mises en place, ce qui est France représenterait
165 milliards d'euros
". Des chiffres tirés d'une étude américaine sur les conséquences économiques de l'ensemble des plaintes civiles, et pas
uniquement sur les actions de groupe liées à la consommation.

Les défenseurs du texte rétorquent par ailleurs que l'impact
ne sera pas le même des deux côtés de l'Atlantique. Si certaines entreprises
américaines ont été condamnées à plusieurs centaines de millions d'euros, c'est
surtout en raison des "punitive damages" : une lourde sanction
financière qui s'ajoute aux dédommagements des consommateurs lésés. 

Les entreprises craignent également pour leur réputation.
"La pression exercée par les médias à l'égard d'une entreprise qui ferait
l'objet d'un recours collectif pourrait la déstabiliser et finalement conduire
l'entreprise à transiger pour sauvegarder sa réputation ou encore mettre en jeu
sa pérennité
", analyse un communiqué de la CGPME.

Les associations de consommateurs ont-elles les moyens ?

Certaines associations reconnaissent à demi-mots être légèrement
embarrassées par leur quasi-monopole dans ce projet d'action de groupe à la
sauce française. "Stratégiquement, il a fallu faire des concessions au
niveau de la saisine
", explique Cédric Musso. Le directeur des relations
institutionnelles de l'UFC-Que Choisir regrette par exemple que la distribution
des dédommagements aux consommateurs soit à la charge des associations :
"Il faudrait un mandataire qui ait les moyens de procéder à la liquidation
des préjudices
".

Une charge qui risque de coûter cher aux associations,
d'après l'avocat Pierre Servan-Schreiber : "Dans certains dossiers, il va
y avoir des centaines ou des milliers de demandes. Qui va analyser tout ça ? Et
surtout, qui va financer le coût de l'analyse et donc le coût de ces procédures
? Je ne pense pas que ces associations aient les moyens... ni d'ailleurs les
cabinets d'avocats
". 

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