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Jacques Chirac condamné, un jugement historique

L'ex-président de la République a écopé de deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. Une première dans la Ve République.

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'ancien président Jacques Chirac, le 14 août 2011. (SEBASTIEN NOGIER / AFP)

Le jugement est inédit depuis le début de la Ve République. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné, jeudi 15 décembre, Jacques Chirac, 79 ans, à deux ans de prison avec sursis dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. C’est la première fois qu’un président de la République française comparaît devant un tribunal. 

Le seul précédent a eu lieu en 1945, lorsque Philippe Pétain a dû répondre devant les juges de sa politique de collaboration avec les nazis. Mais il n'était pas président de la République, il était chef de "l'Etat français", le régime autoritaire de Vichy.

Jacques Chirac a été jugé plus de vingt ans après les faits, et les procédures ont été ralenties par de nombreux obstacles.

2007 : la fin de l’immunité

En 2007, Jacques Chirac, chef de l'Etat depuis 1995, cède sa place à Nicolas Sarkozy. Ne jouissant plus de son immunité présidentielle, il est alors entendu par la justice pour une affaire d’emplois fictifs en deux volets, plus de vingt ans après les faits :

1. L’embauche de 21 chargés de mission à son cabinet lorsqu’il était maire de Paris, entre octobre 1992 et mai 1995, dénoncés par un conseiller municipal en 1998 ;

2. L'emploi, par la mairie, de sept personnes qui travaillaient en fait pour le RPR, entre octobre 1990 et novembre 1994.

2010 : la crainte d’une justice à deux vitesses

Durant l’été 2010, la ville de Paris, qui s’était constituée partie civile dans le premier volet de l’affaire, se désiste en échange du remboursement total du préjudice financier porté par Chirac. Ce montant, évalué à 2,2 millions d’euros, a été remboursé aux trois quarts par l’UMP, successeur du RPR, et pour le reste par Jacques Chirac. En 2005, l’UMP avait déjà indemnisé la mairie de Paris à hauteur de 890 000 euros dans le volet concernant le RPR.

"Je ne suis pas tout à fait favorable à cet accord. Il donne le sentiment qu'il pourrait déboucher sur l'impunité. La loi est la même pour tous", jugeait Arnaud Montebourg, le secrétaire national du PS à la rénovation, dans Libération, le 28 août 2010. Interviewée par Libération, Eva Joly dénonce, elle, une "faute politique", un accord "qui traduit encore un mépris de la justice", déplore l’ancienne juge.

"Je ne suis pas dans la situation de confondre justice et vengeance", se défendait le maire de Paris Bertrand Delanoë, qui clamait vouloir avant tout obtenir réparation pour les Parisiens.

Fin 2010, la justice joint les deux volets pour un unique procès. Jacques Chirac est mis en examen pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts. Le procès s’ouvre le 5 septembre 2011.

2011 : le parquet de Paris joue en défense

En 2009, le parquet avait déjà requis un non-lieu en fin d'instruction, alors que le procureur de Paris était Jean-Claude Marin, haut fonctionnaire au ministère de la Justice entre 2002 et 2004, sous le second mandat de… Jacques Chirac à l'Elysée. Mais la juge Xavière Simeoni renvoie quand même Jacques Chirac devant le tribunal correctionnel.

Le 20 septembre 2011, au terme d’une plaidoirie de deux heures et demie des deux substituts du procureur Michel de Maes et Chantal de Leiris, le parquet de Paris requiert la relaxe générale (l’abandon des poursuites) pour Jacques Chirac et neuf de ses coprévenus. "Il n'y a pas de système frauduleux, encore moins mafieux. En revanche, il est apparu que les procédures suivies étaient très imparfaites", estiment-ils. 

"Les éléments manquent pour caractériser tant l'aspect intentionnel que matériel d'une infraction." Pour eux, les faits ne sont pas avérés. "Le seul fait qu'on n'ait pas de bureau, pas de téléphone et pas de traces écrites d'un travail n'est pas suffisant pour parler d'emploi fictif", a affirmé Michel Maes.

Une requête vivement critiquée par la gauche et par le Syndicat de la magistrature (politiquement à gauche), car le ministère public, et donc les procureurs, sont nommés par le pouvoir exécutif. "Cette gestion calamiteuse [du dossier Chirac] traduit aussi la perte (…) de tout repère éthique de la part d'une certaine hiérarchie", clame le Syndicat.

Verdict : le président est un justiciable comme les autres

"La cour aurait pu être plus clémente si l'attitude du parquet n'avait été aussi provocatrice (…) Les juges ne pouvaient qu'être agacés par cette attitude ridicule, humiliante pour la justice et vexante pour les professionnels qui ont dû l'écouter. Les magistrats du siège n'ont donc eu aucune clémence", écrit Sylvie Pierre-Brosselette, rédactrice en chef du service politique du Point.

Jacques Chirac est donc un justiciable comme les autres. On sait désormais qu’un ex-président de la République peut être condamné. Une décision historique et une peine qui "apparaît tout à la fois adapté(e) à la personnalité du prévenu ainsi qu'à la nature et la gravité des faits qu'il a commis", a déclaré jeudi 15 décembre le tribunal correctionnel de Paris.

Les coprévenus de Jacques Chirac ont, eux, écopé de peines bien plus clémentes.

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