"Je voudrais dire à mon frère : je serai toujours là pour toi" : face à sa sœur, les pleurs de Francis Heaulme
Christine Heaulme et des proches du tueur en série ont tenté, jeudi 27 avril, d'esquisser le portrait du "routard du crime". Il est jugé depuis trois jours devant la cour d'assises de la Moselle pour le meurtre de deux enfants en 1986.
Elle s'avance, silhouette frêle aux cheveux courts, perdue dans une longue doudoune kaki. Elle s'installe à la barre et décline son identité. "Je m'appelle Christine Heaulme. J'ai 50 ans. Je suis la sœur de Francis Heaulme. Je suis divorcée, maman de quatre enfants." La cadette du tueur en série est invitée à témoigner à la reprise de l'audience, jeudi 27 avril. C'est le troisième jour du procès de Francis Heaulme, qui comparaît devant la cour d'assises de la Moselle pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz, commis en 1986.
Christine Heaulme n'est pas venue pour pinailler. Elle veut parler. D'une traite, elle lâche dans le micro installé à la barre : "Je voudrais une vérité sur ce procès. Je voudrais en savoir plus. Si je suis venue ici aujourd'hui, c’est pour mon frère, pour que madame Beining sache la vérité. Je compatis avec cette dame qui a perdu son enfant. Cette affaire de Montigny-lès-Metz me mélange la tête, elle est très compliquée."
"Francis, c'est une personne… on va dire compliquée"
On retient son souffle. Christine Heaulme parle avec ses tripes. La relation complexe qui l'unit à son frère est viscérale. Elle l'habite. "Francis, c'est une personne… on va dire compliquée. C'est pas toujours une personne… C'est compliqué. Il tombe toujours dans des drôles de situations, on va dire." Christine Heaulme choisit ses mots. Et puis elle les lâche. Ils restent comme suspendus dans la salle d'audience, qui boit ses paroles. "C'est dur pour moi aussi. C'est un cauchemar", reconnaît-elle.
Christine Heaulme se tourne vers son aîné. "Aujourd'hui, je voudrais dire à mon frère : je serai toujours là pour toi Francis." L'accusé craque. Le masque impassible se fissure. Le tueur en série pleure.
Serais-tu capable de me regarder et de me dire : est-ce que c’est toi qui as tué ?
Christine Heaulmedevant la cour d'assises de la Moselle
"Non, c'est pas moi." Francis Heaulme se lève d'un bond. Il parvient tout juste à articuler. Il est secoué de tremblements, la bouche entrouverte. "On va y arriver. Tu es dans un tunnel noir, tu vas en sortir", continue Christine Heaulme. Le président de la cour d'assises intervient : "Madame, vous n’avez pas de question à poser, vous devez faire une déposition."
"Il lisait ses Picsou"
Alors Christine Heaulme raconte son frère, tel qu'elle le voit, elle. Le regard d'une sœur sur, comme elle le dit, "un homme qui n'est pas comme vous ou moi", "une personne qui a un cœur, pas une pierre". Elle se souvient d'une vie de famille avec beaucoup d'alcool. Des cris. Un père violent avec Francis Heaulme. Ce dernier était "très solitaire"."Il lisait ses Picsou", affectionnait "son vélo". "On mangeait, et hop il fuyait. Il fuyait je sais pas pourquoi, il rejoignait sa petite chambre en bas, se souvient-elle. Lui, ce qui l'intéressait, c'était un : notre mère, deux : moi."
Le président de la cour d'assises, Gabriel Steffanus, en profite pour lui glisser :
"Et votre mère l'appelait 'l’attardé'.
- Ma mère disait que mon frère était attardé ?
- Oui.
- Moi aussi, je dis que mon frère était attardé. Même moi, à 50 ans, je dis à beaucoup de gens que mon frère est attardé."
Christine Heaulme raconte aussi comment son père lui a demandé de venir se coucher à côté de lui dans son lit. Il était ivre, et "il faut dire que je ressemblais beaucoup à sa femme", raconte la quinquagénaire. Elle poursuit : "J'ai cru bien faire, je me suis couchée et là, il a cru voir ma mère à côté et c'est vrai qu’il m'a fait des attouchements. Il y a eu attouchements, mais il n'y a pas eu pénétration. En plus j'avais 18 ans, j'étais majeure." Cette scène-là a eu lieu juste après la mort de sa mère, emportée par un cancer, le 16 octobre 1984.
"'C'est pas moi', qu'il dit. Et je le crois"
Un deuil qui a profondément marqué Francis Heaulme, très proche de sa mère, selon sa famille. Christine Heaulme se remémore le moment, terrible, où elle a appris à son frère la mort de leur mère. "Mon frère regardait un dessin animé, je ne sais plus lequel. Il m’a dit : 'comment va la maman ?' 'On va lui choisir une robe…' 'Ah, elle sort…' 'Non, elle est partie, elle est morte la maman.'"
Francis Heaulme pleure en silence, sa main droite sur sa bouche. La scène a eu lieu il y a plus de trente ans, et pourtant, on sent encore que le moment a brisé le frère et la sœur. Le silence emplit la salle. Mais le président de la cour ne laisse pas l'émotion s'installer. Il reprend.
"Quinze jours après le décès, il y a eu un meurtre.
- Quinze jours après ?
- Oui, Lyonnelle Gineste. [Francis Heaulme] a été condamné pour ce meurtre.
- Il a été condamné ?
- Oui."
Des neuf meurtres pour lesquels il a été condamné, Francis Heaulme n'en a avoué qu'un seul à sa sœur : celui de Sylvie Rossi. Il a été condamné en 2004 dans cette affaire. "Il faut qu'on comprenne le mécanisme de votre frère, insiste le président de la cour. Il ne vous a pas dit autre chose ?" "Jusqu'à aujourd'hui, il m'a rien dit. Moi, je lui parle de l'affaire de Montigny, je le bassine, je le piège, je veux savoir. 'C'est pas moi', qu'il dit. Et je le crois."
Un père dans le déni
"Moi je souffre, madame Beining souffre, tout le monde souffre", soupire Christine Heaulme, qui faiblit. "Il me faudrait à boire", demande-t-elle. "Et un sucre", ajoute le président de la cour d'assises. On lui apporte un gobelet en plastique. Elle s'assoit. Enlève sa doudoune. En se tournant, elle dévoile un corps mince dans une fine chemise blanche, et un visage anguleux. On cherche des traits communs avec Francis Heaulme. Christine a elle aussi hérité d'un grand front et d'un menton en galoche. Mais la ressemblance s'arrête là.
Et puis elle reprend, et parle de son père. Ce père qui a refait sa vie et avec lequel elle a fini par reprendre contact. Francis Heaulme, lui, ne l'a pas revu depuis vingt-trois ans. Marcel Heaulme a fait le déplacement, jeudi. Assis dans son costume gris, des cheveux blancs clairsemés sur le crâne, il est dans le déni et marmonne plus qu'il ne parle. Est-ce dû à son âge avancé ? "Je m'excuse de mal parler, parce que j'ai des troubles", se justifie-t-il. Toujours est-il qu'il ne reconnaît pas avoir été alcoolique ou violent avec son fils.
"Un petit caractère spécial, trop gâté peut-être"
"Mettez Francis en face de moi", demande Marcel Heaulme. "Ben il est là", dit le président en désignant le box des accusés. Francis Heaulme esquisse un sourire et lui fait coucou de la main. Son père s'emmêle dans les dates et peine à rassembler ses souvenirs. Simplement dit-il de son fils qu'il a "un petit caractère spécial, trop gâté peut-être". "Il a jamais fait de mal à quelqu'un, il est trop sérieux pour faire des choses comme ça." "S'il est en prison depuis vingt-cinq ans, c'est pour rien alors ?" rétorque le président de la cour d'assises.
Car, à en croire ses proches, Francis Heaulme n'a rien d'un tueur en série. Sa belle-mère et son ex-beau-frère le décrivent comme "quelqu'un de très gentil". Après un incident d'audience provoqué par la défense, une ex-compagne, l'unique relation féminine qu'on lui connaît, ne dira pas autre chose lors de sa déposition en visioconférence. Une facette de sa personnalité qui en cache une autre, insondable ? La cour et les jurés ont jusqu'au 18 mai pour se faire leur propre idée.
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