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"Je n'ai pas touché votre fils ni le petit Alexandre" : pour la première fois à son procès, Francis Heaulme s'adresse à la mère d'une victime

Le procès du tueur en série, qui comparaît pour le meurtre de deux enfants en 1986, a connu lundi un moment d'émotion rare et fort. L'avocate de la mère d'une victime a réussi là où la cour avait jusqu'alors échoué : instaurer un dialogue avec l'accusé.

Article rédigé par Violaine Jaussent - Envoyée spéciale à Metz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Dominique Boh-Petit (à gauche) et sa cliente Chantal Beining, le 25 avril 2017 à Metz (Moselle). (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

Il est debout, un peu voûté, et la fixe de ses petits yeux noirs. Elle est assise et le regarde, le visage baigné de larmes. L'accusé face à la mère d'une victime. Francis Heaulme et Chantal Beining n'ont jamais été aussi proches. Sur le côté se tient Dominique Boh-Petit, l'avocate de Chantal Beining. C'est elle qui tente d'instaurer un lien entre les deux. Pendant un quart d'heure, elle a tissé un fil invisible pour réparer, mais surtout pour faire éclater la vérité. L'image de ce trio improbable restera un moment fort du procès de Francis Heaulme.

Car au procès du tueur en série, jugé devant la cour d'assises de la Moselle depuis le 25 avril pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz, la vérité a bien du mal à émerger. Au treizième jour d'audience, lundi 15 mai, les parents de Cyril Beining et d'Alexandre Beckrich ne savent toujours pas qui a tué leurs enfants à coups de pierres, le 28 septembre 1986.

"Comme vous, Madame Beining va au cimetière"

Chantal Beining est une mère sans son fils, Francis Heaulme un fils qui n'a plus sa mère. L'un comme l'autre ne s'en sont jamais remis. Dominique Boh-Petit le sait. Elle va faire jouer cette corde sensible. Francis Heaulme est appelé à la barre. Les fenêtres sont ouvertes, on entend le gazouillis des oiseaux, la salle est inondée d'une jolie lumière naturelle. L'après-midi s'étire en longueur, ponctuée par le récit des faits, que le président de la cour d'assises, Gabriel Steffanus, ressasse. Dans un sens, et dans l'autre. Francis Heaulme refuse désormais de répondre à ses questions. Mais l'avocate fait fi des dénégations de l'accusé.

Elle s'adresse directement à lui. "Monsieur Heaulme, quand vous étiez libre, vous êtes allé souvent au cimetière de l'est, sur la tombe de votre mère ?" "Tous les quinze jours." "Vous voyez, madame Beining, elle est un peu comme vous, car elle aussi elle va au cimetière. Au début du procès, le président vous a demandé la date du décès de votre mère – le 16 octobre 1984 – et vous avez dit : 'Je suis toujours en deuil.' Qu'est-ce que ça veut dire ?", interroge-t-elle d'une voix douce. Le grand corps de l'accusé pivote. Il se tourne vers l'avocate. Dans sa chemise rayée un peu trop grande, il la fixe, déstabilisé. "Je ne sais pas, je peux pas vous répondre", peine-t-il à articuler, la voix éraillée.

"J'ai de l'estime pour Madame Beining"

Dominique Boh-Petit poursuit. "Vous l'avez entendue Madame Beining vendredi, vous l'avez vue, elle pleurait. Vous en avez pensé quoi ?" "Elle a pas fait son deuil." Puis l'avocate revient sur les déclarations des quatre experts psychiatres et psychologues qui ont défilé à la barre un peu plus tôt dans la journée. Aucun n'a réussi à percer le mystère Francis Heaulme. Tous écartent l'abolition ou l'altération du discernement au moment des faits. Ils parlent d'une intelligence faible. Quant à sa personnalité, les psychiatres Henri Brunner et Patricia Bujon-Pinard évoquent une "mosaïque". Et d'enfoncer le clou : "Il est incapable d'empathie pour les autres."

L'avocate de Chantal Beining n'y croit pas. Au contraire, elle y voit le point sensible de l'accusé, et appuie :

"Alors j'entends les psys qui disent : 'le chagrin des autres, il ne comprend pas'.

– Non, non, non…

– Ça, vous pouvez le comprendre ?

– Oui, je comprends très bien.

– Oui, vous comprenez très bien, car vous êtes dans la même situation. J'ai vu que vous aviez regardé Madame Beining vendredi.

– J'ai de l'estime pour Madame Beining et je lui dirai.

– Vous pouvez lui dire maintenant."

De l'avocate, le regard de Francis Heaulme se dirige vers Chantal Beining. Il plante ses yeux dans les siens. Dehors, les oiseaux se taisent. Le silence emplit l'espace. La salle entière est suspendue aux lèvres de l'accusé.

Madame Beining, je suis franc. Je n'ai pas touché votre fils, ni le petit Alexandre.

Francis Heaulme

devant la cour d'assises de la Moselle

Les larmes coulent. Chantal Beining essuie ses yeux avec son mouchoir en tissu. Spectateurs de la scène au premier rang, malgré eux, les surveillants pénitentiaires qui entourent Francis Heaulme ont les yeux embués.

"Je vais quand même pas inventer !"

Toujours avec la même douceur, Dominique Boh-Petit insiste. "Qu'est-ce que vous avez vu ? Dites-le au moins, ça." Francis Heaulme redonne sa version, mais s'embrouille dans les heures. "J'ai vu un groupe d'enfants qui jetaient des pierres, j'ai vu personne, à 16h45, je suis repassé sous le tunnel (...) et le lendemain, j'ai vu dans le journal qu'il y avait deux gamins tués." Comme il le fait depuis le début du procès, il répète qu'il n'est pas monté sur le talus sur lequel les corps des enfants ont été retrouvés. Il dit avoir subi des "pressions" des gendarmes. Car à un enquêteur, en 2006, il a raconté le contraire : il serait monté sur le talus pour poursuivre un homme qui y aurait fait "une connerie", puis, après avoir vu les corps des enfants, en avoir retourné un, et être reparti.

Alors Dominique Boh-Petit remet sur le tapis la thèse d'un "autre" qui aurait tué, avec ou sans lui. "Si ce n’est pas vous, c'est Henri Leclaire ?" Cité comme témoin, ce sexagénaire de Montigny-lès-Metz aurait pu comparaître aux côtés de Francis Heaulme dans le box. Mais il a bénéficié d'un non-lieu en 2016, confirmé par la Cour de cassation début 2017. "J'en sais rien", répond l'accusé.

"Si ce n'est pas vous, c’est forcément quelqu'un d'autre ?

– Oui.

– Y a plus que vous. C'est maintenant, elle voudrait savoir…

– Je vais quand même pas inventer !"

Francis Heaulme prononce cette phrase en haussant les épaules. L'avocate ne lâche pas le fil, aussi ténu soit-il. Elle le tire autant qu'elle peut. Mais on devine qu'il va céder.

"Vous réfléchirez Monsieur Heaulme"

L'accusé ne dira rien de plus. Il reprend son refrain, invariable depuis l'ouverture des débats : "Montigny, c'est pas moi, je vous dis." D'une voix chevrotante, il martèle : "J'ai commis des meurtres, je les ai reconnus, je paye pour ça. Mais deux enfants, non." Une main appuyée sur la barre, il se détourne, baisse la tête. "Il faut aider, il faut dire ce que vous savez", persiste Dominique Boh-Petit. "C'est tellement important, tellement important…", ajoute-t-elle. Sa voix se perd dans un souffle. Elle essaye une dernière fois.

"Montigny, c'est pas moi.

– C'est qui ?

– J'en sais rien. Si je savais qui c'était, je l'aurais dit.

– Vous réfléchirez Monsieur Heaulme. Il y a encore demain et après-demain."

Les plaidoiries des parties civiles sont prévues mardi, suivies du réquisitoire et des plaidoiries de la défense mercredi. Jusqu'au verdict, qui devrait être rendu jeudi en fin de journée, le temps est compté.

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