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"J'ai rien vu, j'étais pas là" : au procès Heaulme, Henri Leclaire clame en boucle son innocence

Le sexagénaire, cité comme témoin, a failli être aux côtés de l'accusé dans le box avant de bénéficier d'un non-lieu en 2016, confirmé par la Cour de cassation début 2017.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Henri Leclaire à son arrivée au palais de justice de Metz, le 5 août 2014.  (FRED MARVAUX / AFP)

Pour l'occasion, il avait revêtu un costume noir et une cravate. Mais c'est bien diminué qu'Henri Leclaire est apparu à la barre, mercredi 10 mai, devant la cour d'assises de Metz. L'homme de 68 ans est arrivé soutenu par une canne, avant de s'asseoir péniblement devant le pupitre. Son audition était attendue : le témoin a bien failli se retrouver dans le box des accusés aux côtés de Francis Heaulme, après un renvoi du procès pour le double meurtre de Montigny-lès-Metz, en 2014. En cause, deux témoignages de dernière minute l'impliquant dans la mort d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining, en septembre 1986.

Le nom d'Henri Leclaire apparaît très tôt dans cette affaire : il est le premier à s'accuser en garde à vue. Après ses aveux et ses rétractations, les investigations le mettent hors de cause. Mais son nom va ressortir sporadiquement au gré des années et des errements de cette affaire judiciaire hors norme. Il refait surface dans les procès-verbaux en 2002, quand Francis Heaulme l'accuse. Replacé en garde à vue, cité comme témoin au troisième procès de Patrick Dils à Lyon en 2002, puis confronté au tueur en série en 2010, Henri Leclaire nie en bloc. Placé sous le statut de témoin assisté, le petit homme au front dégarni bénéficie d'un non-lieu en 2016.

"J'ai dit ça sous la pression"

En 2014, son audition comme simple témoin devant la cour d'assises avait viré à l'interrogatoire, sous les yeux inquiets de son avocat, Thomas Hellenbrand. "Moi j'ai rien vu, j'étais pas là", avait clamé Henri Leclaire, redevenu suspect. Francis Heaulme avait réitéré ses accusations. Après le renvoi du procès, sa mise en examen dans le cadre d'une nouvelle information judiciaire, l'ancien employé des éditions Le Lorrain à Montigny a finalement bénéficié d'un non-lieu, confirmé par la Cour de cassation en janvier 2017. Pour autant, une impression de déjà-vu, fréquente dans le cinquième procès de ce dossier, s'est imposée mercredi. Marmonnant face aux questions orientées du président, Henri Leclaire s'est retrouvé dans la même situation de témoin-accusé, répétant en boucle : "Moi j'ai rien vu, j'étais pas là!"

Je n'ai rien à voir dans cette affaire, je suis innocent.

Henri Leclaire

devant la cour d'assises de Metz

Faisant fi des avertissements de l'avocat général Jean-Marie Beney, qui avait appelé la semaine dernière au respect de "l'autorité relative de la chose jugée" s'agissant du non-lieu prononcé en faveur d'Henri Leclaire, le président Gabriel Steffanus a fait lecture des deux PV d'aveux du témoin, replongeant la cour dans les détails qu'il avait donnés à l'époque. "J'ai dit ça sous la pression, je n'ai pas tué les gosses, j'étais pas là", bougonne le sexagénaire, se verrouillant un peu plus à chaque remarque du président.

Gabriel Steffanus : "Monsieur Heaulme a dit vous avoir vu sur le talus."

Henri Leclaire : "Je ne le connais même pas, alors pourquoi avoir raconté ça ?"

Gabriel Steffanus : "Vous avez déjà été là-haut ?"

Henri Leclaire : "Oui." 

Gabriel Steffanus : "Sur le talus ?"

Henri Leclaire : "Non."

Plus habile, l'avocate de la mère de Cyril Beining, Dominique Boh-Petit, sort Henri Leclaire de ses retranchements, en lui parlant de la benne à papiers dans laquelle les enfants farfouillaient rue Vénizelos. L'ancien employé des éditions Le Lorrain avait coutume de faire le ménage après leur passage, fâché contre les gamins. "Vous étiez là, près de la benne, ce jour-là monsieur", avance-t-elle. "Oui bah ça se peut", admet en se retournant sur sa chaise le témoin.

"Je n'ai rien à voir dans l'affaire"

"Qu'est-ce qui vous fait peur ?", poursuit doucement l'avocate. "On m'accuse d'une chose que je n'ai pas faite", répond Henri Leclaire, la main agitée de tremblements. "Ce n'est pas venu tout seul qu'on vous ait accusé, monsieur." L'intéressé se rembrunit : "Moi je n'ai rien à voir dans l'affaire." Dans son livre Affaire Dils-Heaulme, la contre-enquête (éd. Points), Emmanuel Charlot explore l'hypothèse d'une complicité entre Francis Heaulme et Henri Leclaire, le tueur ayant déjà agi avec des co-auteurs ou des complices dans d'autres affaires. Des témoins, plus ou moins crédibles, affirment avoir vu un homme tâché de sang ce jour-là, qui n'était pas Francis Heaulme. "Une hypothèse journalistique largement contredite par une analyse juridique rigoureuse", ont estimé les magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation.  

Qu'en dit Francis Heaulme aujourd'hui ? D'un ton ferme, le président fait lever l'accusé dans le box.

Gabriel Steffanus : "Vous avez dit avoir vu Monsieur Leclaire tuer les enfants."

Francis Heaulme : "Oui, j'ai dit ça."

Gabriel Steffanus : "Et aujourd'hui ?"

Francis Heaulme : "C'est faux."

Le président, qui a tenté plusieurs approches infructueuses avec l'accusé, s'emporte : "Pourquoi, vous le foutez dedans ?" Réponse : "Je ne sais pas." "Vous vous moquez du monde, vous nous faites tourner en bourrique !" Nouvelle réponse (invariable depuis le début du procès) : "Montigny, ce n'est pas moi." Francis Heaulme, bras croisés, se rassied. Un peu plus tard, le magistrat revient à l'attaque, moralisateur : "Vous ne pensez pas que vous continuez à faire souffrir les familles par vos déclarations ? C'est insupportable, réfléchissez à ça cette nuit !"

A l'extérieur, l'avocate de la mère de Cyril Beining résume les allers-retours de l'audience depuis quinze jours, qui tantôt éclaire les charges qui pèsent contre l'accusé, tantôt refait le procès d'un autre, Patrick Dils ou Henri Leclaire.

On sent bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans ce procès.

Dominique Boh-Petit

en marge de l'audience à Metz

Elle poursuit, au sujet de sa cliente, qui souffre de "problèmes de santé" : "Cette femme, ça fait trente ans qu'elle passe d'un coupable à un autre. Elle me dit : 'Je m'en fiche, quand le procès sera fini, je saurai comment mon enfant est mort et je pourrai mourir'." Le verdict est attendu le 18 mai.

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