Double meurtre de Montigny-lès-Metz : Francis Heaulme, spectateur de son propre procès
Le tueur en série, jugé depuis sept jours, n'a presque pas été entendu depuis le début de l'audience.
Chaque matin, il prend l'ascenseur pour monter dans le box. Les portes s'ouvrent et laissent apparaître Francis Heaulme dans l'embrasure, menotté et escorté par les surveillants de la pénitentiaire. Tantôt vêtu d'un pull-over bleu foncé au col moutonné, tantôt d'une chemise bleu clair rayée, l'homme de 58 ans, qui en paraît vingt de plus, s'assoit et ne bouge presque plus pour le reste de la journée. Et pour cause. Au huitième jour de son procès, vendredi 5 mai, l'accusé n'a presque pas été entendu sur les faits qui lui sont reprochés : le meurtre de deux enfants à Montigny-lès-Metz, le 28 septembre 1986. Depuis le début de l'audience, la cour a trop été occupée à refaire le procès d'un homme acquitté il y a quinze ans dans cette affaire, Patrick Dils.
Au lendemain d'une journée houleuse, où l'inspecteur Bernard Varlet a pu à nouveau crier haut et fort sa conviction de la culpabilité de l'ancien apprenti cuisinier, et ce malgré les limites posées – tardivement et inégalement – par le président et l'avocat général, la cour d'assises de la Moselle a finalement commencé à se pencher sur la procédure Heaulme. Celle-ci démarre par l'ouverture d'une enquête préliminaire en 2002, confiée au procureur de la République Joël Guitton.
Des "éléments troublants" mais pas "suffisants"
Cité par l'accusation, le magistrat à la retraite, appuyé sur sa canne à la barre, est venu expliquer comment il avait abouti sur un réquisitoire de non-lieu en faveur du tueur en série, en novembre 2007, après l'ouverture d'une information judiciaire "contre X" trois ans plus tôt. Dans un échange à fleurets mouchetés avec le président Gabriel Steffanus, Joël Guitton a maintenu ne pas avoir eu de "charges suffisantes" entre les mains, "à l'époque", pour renvoyer Francis Heaulme devant une cour d'assises, malgré "les éléments troublants" relevés dans le PV de synthèse du directeur d'enquête, le lieutenant Iltis.
Les deux magistrats qui se font face n'ont visiblement pas la même vision du dossier ni de la procédure. "Pourquoi avoir attendu deux ans pour ouvrir une information judiciaire ?" demande le président. "Les investigations menées par la section de recherches de la gendarmerie de Metz, dans le cadre de l'enquête préliminaire, étaient de bonne tenue", répond l'ancien procureur. "Pourquoi ne pas avoir délocalisé le dossier ?" poursuit Gabriel Steffanus. "Nous n'avons pas été gênés par la proximité, elle présentait même un intérêt pour le suivi de l'enquête", rétorque poliment Joël Guitton. "Pourquoi ne pas avoir entendu Francis Heaulme entre 2002 et 2006", date de sa mise en examen ? "Je note que si je ne l'ai pas fait, les juges d'instruction non plus", se défend le témoin.
Le "copié-collé" du juge d'instruction
Ayant troqué l'agressivité envers le président pour la pédagogie envers les jurés, la défense résume : "Il y a effectivement deux façons de faire dans ce type de dossier. Soit on regarde la personnalité et les affaires du mis en cause. Soit on regarde les éléments et les faits. C'est cette voie que vous avez choisie." "Oui, tout à fait", abonde Joël Guitton. L'ancien représentant de l'accusation dans ce dossier maintient les déclarations qu'il avait faites à la presse il y a dix ans.
Notre volonté à tous de rechercher la vérité et d'accompagner les familles ne devait pas nous conduire à désigner un coupable de substitution.
Joël Guitton, ancien procureur de Metzdevant la cour d'assises de la Moselle
Autrement dit, le passé de tueur en série – de "meurtrier multiple", corrige son avocate Liliane Gock – de Francis Heaulme ne pouvait suffire à le renvoyer devant la justice, faute de preuves matérielles et d'aveux. Le juge d'instruction, Thierry Montfort, était de cet avis. Quinze jours après le réquisitoire de Joël Guitton fin 2007, il rend une ordonnance de non-lieu. A la barre, le magistrat n'a pas été épargné. L'avocat général Jean-Marie Beney n'a pas manqué de pointer le "copié-collé" effectué, selon lui, par le juge à partir du travail du procureur, allant jusqu'à reprendre l'expression "les présentes réquisitions" dans son ordonnance.
La choucroute et la pluie
Pour sa défense, Thierry Montfort explique être "allé vite" pour ne pas perdre de temps dans un dossier déjà très ancien. A l'entendre, l'attitude de Francis Heaulme pendant son audition en 2006 et lors de la reconstitution qui a suivi ne lui a pas permis de se forger une conviction.
Il est resté très évasif et imprévisible. Il demandait des pauses et une choucroute.
Thierry Montfort, ancien juge d'instruction à Metzdevant la cour d'assises de la Moselle
Thierry Montfort invoque le mauvais temps lors de la reconstitution du double meurtre. "ll a plu énormément, [Francis Heaulme] avait froid, il glissait, il ne se souvenait de rien. C'était zéro, zéro, Je me suis dit que je verrais peut-être une lumière dans ses yeux. Je n'ai rien vu", raconte le juge. Il a alors cette formule étrange : "Dans cette affaire, je n'ai fait que courir contre des preuves que je n'ai jamais eues." Me Dominique Boh-Petit, avocate de la mère de Cyril Beining, qui a fait appel de ce non-lieu, monte au créneau : "Quand vous avez reçu ma cliente, vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit : 'Votre dossier est trop vieux, il ne va rien se passer. En tout cas, moi je ne vais rien faire'." Le témoin dément, sans plus de réaction de la partie civile.
Le président Gabriel Steffanus, qui semble s'être forgé une conviction dans ce dossier, revient à l'attaque, reprochant en substance à Thierry Montfort d'avoir prononcé un non-lieu faute d'"aveux circonstanciés" de la part de Francis Heaulme. "Dans aucune des affaires pour lesquelles il a été condamné – neuf meurtres au total – il ne fait d'aveux circonstanciés. C'est toujours alambiqué", souligne le président. Et d'évoquer "les éléments objectifs" sur lesquels le juge aurait pu s'appuyer pour étayer les charges. "Il a dit qu'il avait mal au pied quand il est monté sur le talus à Montigny-lès-Metz et il s'était effectivement blessé au pied" à cette période, cite par exemple le magistrat. Cela n'ira pas plus loin.
Jean-François Abgrall entendu mardi
C'est bien le problème dans cette audience. Après deux semaines de débats, les "éléments objectifs" à partir desquels les magistrats de la chambre de l'instruction de Metz ont finalement décidé, en 2013, de renvoyer Francis Heaulme devant les assises – après deux suppléments d'information – n'ont toujours pas été abordés. Et les jurés ont à peine entendu le son de sa voix. Le véritable procès de l'accusé devrait commencer mardi prochain, avec l'audition du gendarme Jean-François Abgrall, le premier à l'avoir relié à l'affaire de Montigny-lès-Metz. Soit une semaine avant le verdict.
En attendant, la journée de vendredi s'est achevée comme elle avait commencé pour Francis Heaulme. Après avoir écouté les débats la main sous le menton, impassible, le quinquagénaire a repris l'ascenseur, direction la prison.
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