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Au procès Heaulme, les errements de l'enquête freinent l'avancée de l'audience

Au septième jour du procès, les débats n'ont pas permis de dépasser l'affaire Dils, évoquée dans une majorité de témoignages.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A l'ouverture du procès de Francis Heaulme devant la cour d'assises de la Moselle, à Metz, le 25 avril 2017.  (MAXPPP)

Prenez un dossier, posez-le sur une table, ouvrez la fenêtre. Une fois les feuilles balayées par le vent, remettez-les à leur place, dans le désordre. C'est l'image choisie, jeudi 4 mai, par le président de la cour d'assises de la Moselle, Gabriel Steffanus, pour décrire les volumineux tomes de l'affaire du double meurtre de Montigny-lès-Metz. "Un fouillis absolument abominable." Au-delà des problèmes de cotations et de PV mal rangés, le désordre se loge dans la procédure elle-même, entamée le 28 septembre 1986, après la découverte des corps mutilés d'Alexandre Beckrich et Cyril Beining, 8 ans, sur une voie de chemin de fer.

Trente ans et quatre procès plus tard, les errements de l'enquête viennent polluer ce cinquième rendez-vous judiciaire, qui doit établir ou non la culpabilité de Francis Heaulme dans ce dossier hors normes. L'accusé, tueur en série notoire, se fait pourtant presque oublier dans le box, tant les débats restent concentrés depuis sept jours sur celui qui l'a précédé à cette place : Patrick Dils. Condamné à deux reprises avant d'être définitivement acquitté en 2002, l'homme est au cœur des nombreux témoignages cités par l'accusation et la défense (une centaine au total) depuis l'ouverture de l'audience. L'intéressé a même eu l'impression d'assister à son propre procès, le 26 avril, lors de son audition comme témoin par visioconférence.

Une enquête "ahurissante"

Le président et l'avocat général, Jean-Marie Beney, ont laissé faire. Pour purger cette partie du dossier et ne rien laisser de côté ? La cour d'assises du Rhône avait pourtant déjà fait le travail en 2002. Gabriel Steffanus a d'ailleurs pris soin de rappeler jeudi qu'il était "interdit de refaire le procès d'une personne acquittée". Allant plus loin, Jean-Marie Beney est sorti de ses gonds, appelant les parties au respect de "l'autorité de la chose jugée" et annonçant qu'il ne poserait lui-même plus de questions ni sur Patrick Dils, ni sur Henri Leclaire, le troisième homme un temps suspecté, qui a bénéficié d'un non lieu (l'autorité, dans ce cas, est "relative").

Cette volte-face de la cour semble traduire l'équation impossible de ce procès : juger Francis Heaulme sans parler des autres accusés ou soupçonnés avant lui. Peut-être parce qu'aujourd'hui encore, les aveux réitérés et détaillés de Patrick Dils, et dans une moindre mesure ceux d'Henri Leclaire, pèsent plus lourd que les charges à l'encontre de Francis Heaulme. L'inspecteur Bernard Varlet, du haut de ses trente ans de police, en est encore convaincu : Patrick Dils est monté sur le talus ce jour-là et a tué les enfants entre 18h50 et 18h55. Plus mesurés, ses collègues de l'époque disent peu ou prou la même chose.

Aujourd'hui, je n'ai pas de certitude, mais ces aveux me gênent.

André Parachini, policier

devant la cour d'assises de la Moselle

Des aveux, pourtant, il y en a eu d'autres dans cette affaire, comme l'a rappelé ironiquement Thierry Moser, l'avocat du père d'Alexandre Beckrich, s'interrogeant sur les méthodes "rudes et toniques" de la police criminelle de Metz. Dans la procédure, deux autres personnes – dont Henri Leclaire – se sont accusées du double meurtre. En "off", une troisième personne s'est dénoncée mais Bernard Varlet n'a pas cru bon de consigner ses propos sur PV car "il ne fallait pas deux minutes pour comprendre qu'elle était tarée""Ahurissant", selon Gabriel Steffanus, qui estime que l'inspecteur avait décidé de "mettre le grappin sur Dils" dès le début de l'enquête. Le président a ainsi pointé, sans relâche, les manquements des investigations.

L'heure imprécise de la mort

L'enquête commence dès les premières constations, faites à 20h35 par un médecin généraliste débutant et remplaçant, à défaut d'un médecin légiste. A la barre, le docteur Marc-Antoine Leupold raconte comment il a "rédigé le certificat médical de décès manuscrit, sur ses genoux, avec la lampe de poche". Ses conclusions, sommaires et contestées, ont daté la mort à moins de trois heures après la découverte des deux petits corps. Acculé par les questions de la cour et des parties civiles, l'expert se braque.

C'est mon deuxième cadavre, on m’appelle pour un accident de train, et je me retrouve face au crime le plus horrible de toute ma carrière.

Marc-Antoine Leupold

devant la cour d'assises de la Moselle

Si l'heure du décès s'est avérée cruciale dans ce dossier, ce n'est toutefois pas tant en raison de cette estimation de départ, peut-être biaisée, qu'à cause de l'interprétation qui en a été faite par les enquêteurs. Les deux autres légistes appelés à la barre ont volé au secours de leur collègue, estimant qu'il aurait été difficile d'être plus précis, même avec les techniques actuelles.

Poursuivant son procès de l'enquête initiale, le président évoque ensuite les quatre pierres, saisies "au hasard", selon lui, sur la scène de crime. "Elles vont pourtant revêtir une importance capitale", souligne Gabriel Steffanus, faisant allusion, là encore, aux aveux de Patrick Dils sur l'usage de ces pierres. "Elles étaient tout de même recouvertes de sang et de cheveux", s'insurge la défense, qui prend le parti de contester toute remise en cause du travail de l'équipe de l'inspecteur Varlet.  

Pas d'ADN, pas d'aveux…

Mais le président n'a pas fini son inventaire. Quid de cette "empreinte de pas fraîche" remarquée sur un sentier menant au talus ? Elle n'a pas été exploitée. Quid des vérifications acoustiques menées chez Isabelle Deschang, la seule personne à avoir entendu des pleurs d'enfant à 18h50 depuis son appartement situé à proximité de la rue Venizélos, rendant compatible l'heure présumée du meurtre avec l'agenda de Patrick Dils ? Bernard Varlet assure que la police s'est transportée sur les lieux et qu'un PV a été dressé. Mais celui-ci ne figure pas au dossier, martèle Gabriel Steffanus.

L'absence d'éléments matériels vient compliquer la donne. Tous les scellés ont été détruits en 1995 ou égarés, y compris des pièces maîtresses, comme les fameuses pierres, un bocal d'excréments, des mouchoirs souillés ou encore des traces de sang sur un wagon. "Si, aujourd'hui, vous aviez ce bocal, ces mouchoirs, ces quatre pierres, seriez-vous en mesure de faire un rapprochement avec le Fnaeg [le fichier national automatisé des empreintes génétiques] ?" demande Stéphane Giuranna, l'un des avocats de Francis Heaulme, à un expert. La réponse est immédiate : "C’est évident."

Sans ADN exploitable, sans aveux de celui qui est désormais accusé dans cette affaire, de nombreuses questions semblent insolubles : Alexandre et Cyril ont-ils été tués ensemble ? A quelle heure ? Par une ou deux personnes ? Les débats, trop occupés à refaire le procès de celui dont il ne faut plus prononcer le nom –Patrick Dils –, n'ont pas permis de cheminer, ne serait-ce qu'un petit peu, sur ces points cruciaux. Seule certitude, l'extrême violence avec laquelle Cyril et Alexandre, ces deux "petits suppliciés" pour reprendre l'expression de Thierry Moser, ont été tués. Devant la cour, un expert mime le "massacre", levant une feuille de haut en bas, tels les coups portés avec une pierre de cinq kilos. Signe d'un "acharnement et d'une volonté de nuire" incontestables. Dans le box, Francis Heaulme ne cille pas.

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