Expertises dans des affaires de violences sexuelles : le psychiatre Roland Coutanceau visé par de nouvelles plaintes

Le conseil de l'ordre des médecins des Hauts-de-Seine porte plainte contre le célèbre psychiatre, pour manquement au Code de la santé publique. Il doit faire l'objet d'une nouvelle conciliation, devant cette même instance, avec Sophie Patterson-Spatz, expertisée dans le cadre de sa plainte pour viol contre Gérald Darmanin.
Article rédigé par Catherine Fournier, Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'expert-psychiatre Roland Coutanceau au tribunal de grande instance de Thionville (Moselle), le 30 novembre 2015. (JULIO PELAEZ / MAXPPP)

En ouvrant le courrier, Marie* a été "étonnée" mais a ressenti "une grande satisfaction". La plainte qu'elle avait déposée contre Roland Coutanceau, un expert-psychiatre renommé, spécialiste des violences conjugales et familiales depuis trente ans, "a été prise en compte", lui écrit le conseil de l'ordre des médecins des Hauts-de-Seine, dans une lettre adressée le 24 octobre, que franceinfo a pu consulter. Mais surtout, l'instance ajoute qu'elle porte elle-même plainte contre le psychiatre, pour manquement au Code de la santé publique. Selon ce code juridique, chaque médecin doit exercer "sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité", ainsi que dans le respect des "principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine".

Or, comme le révélait franceinfo dans une enquête mi-septembre, Marie considère que Roland Coutanceau a failli à ce devoir, au cours d'une expertise de ses filles. Elle avait été réalisée en 2019, dans le cadre de l'enquête sur leur père, soupçonné de violences incestueuses et mis en examen pour "fabrication et diffusion de message à caractère pornographique accessible à un mineur". Marie reproche au médecin d'avoir "insulté" ses filles, les traitant de "chieuses, chiantes, pestes", et de ne pas avoir "commenté" les photos sur lesquelles elles apparaissent dénudées, dans des poses suggestives. La mère de famille a pu exposer ses griefs lors d'une audience de conciliation, le 20 septembre, devant le conseil départemental de l'ordre des médecins. "Je prends acte de la position du conseil de l'ordre, réagit Roland Coutanceau auprès de franceinfo. Dans cette affaire, je ferai une analyse critique et autocritique des raisons pour lesquelles l'expertise ne s'est pas bien passée."

"Une étape très importante"

Pour les filles de Marie, la plainte du conseil de l'ordre contre Roland Coutanceau constitue "une réparation". C'est un "signal fort", selon elle : "Ça veut dire qu'une autorité décide que c'est grave, qu'il doit rendre des comptes." Son avocat Fabien Arakelian se félicite aussi d'"une première victoire, d'une étape très importante".

"Ses pairs ont pris conscience de la gravité des faits commis par cet expert. Cela montre qu'on n'est pas dans le fantasme."

Fabien Arakelian, avocat

à franceinfo

L'avocat de Marie espère une sanction contre le psychiatre. Si c'est le cas, elle n'interviendra pas avant douze à dix-huit mois, lors d'une audience devant la chambre disciplinaire, à l'issue de laquelle le praticien peut être condamné ou relaxé. "Le conseil de l'ordre des médecins n'est pas un arbitre de l'expertise. Seule la chambre disciplinaire, qui comporte un magistrat, peut décider de prendre une sanction, ou pas", souligne Roland Coutanceau. Qui ajoute : "Au-delà de ma petite personne, d'autres experts sont attaqués."

Des plaintes classées, d'autres en cours

Une nouvelle audience de conciliation aura lieu devant le conseil de l'ordre en l'absence de l'expert-psychiatre, lundi 13 novembre, à la suite d'une quatrième plainte pour des "manquements" et des "fautes déontologiques". Elle a été déposée début octobre par Sophie Patterson-Spatz. Roland Coutanceau a expertisé cette femme de 51 ans en mars 2021, dans le cadre des investigations menées à la suite de sa plainte pour viol contre Gérald Darmanin. Elle accuse l'actuel ministre de l'Intérieur de l'avoir contrainte à un rapport sexuel en contrepartie de son aide pour faire réviser une condamnation, en 2009, alors qu'il était chargé de mission au service des affaires juridiques de l'UMP. La procédure, entamée en 2017, a abouti à un non-lieu, confirmé en appel. Mais Sophie Patterson-Spatz s'est pourvue en cassation. La décision est toujours attendue.

Dans l'expertise de cette femme, que franceinfo a pu consulter, Roland Coutanceau propose "trois scénarios". Aucun n'accrédite la thèse du viol. Ils privilégient un "revirement" de Sophie Patterson-Spatz, faute d'avoir obtenu ce qui était "espéré", sans que l'"on puisse déceler un harcèlement ou une manipulation caractérisée de la part de Gérald Darmanin". Le psychiatre suggère un "conflit psychique" chez la plaignante, "l'amenant à accepter une forme d'échange" puis une "relecture" des faits a posteriori. "On ne peut pas écrire que j'ai refait l'histoire dans ma tête puisque j'avais signalé les faits dès 2009 auprès de l'UMP, bondit l'intéressée. Je n'étais pas capable de poser ce mot de 'viol' au départ. Mais il y a une chose dont je suis sûre, c'est que je n'étais pas consentante."

Or, selon son avocate, Elodie Tuaillon-Hibon, l'ordonnance de non-lieu rendue en juillet 2022 dans cette affaire "s'appuie beaucoup sur les théories de Roland Coutanceau". La pénaliste déplore que le psychiatre "n'ait posé aucune question sur la santé psychosexuelle, affective et gynécologique" de sa cliente. Selon Sophie Patterson-Spatz, le rendez-vous a duré selon elle "moins de deux heures". Elle affirme que Roland Coutanceau "a été déloyal dès le départ et n'a pas mené son expertise avec neutralité et objectivité".

"Je me suis sentie mal à la sortie de cette expertise, abîmée."

Sophie Patterson-Spatz

à franceinfo

Selon les informations de franceinfo, l'expert-psychiatre est confronté à une cinquième plainte devant le même conseil de l'ordre départemental, toujours dans le cadre d'une affaire de violences incestueuses. L'audience de conciliation s'est tenue mi-octobre et le conseil n'a pas encore rendu sa décision.

"N'ayant pas constaté de faute déontologique caractérisée" du docteur Coutanceau, l'instance avait classé sans suite, cet été, les plaintes de deux autres femmes, Anna et Pauline*, qui estiment que les expertises du psychiatre ont entraîné une mise en danger de leurs enfants. Leurs recours devant le conseil national de l'ordre des médecins, tout comme devant le tribunal administratif, sont en cours d'examen.

Les deux femmes ont, en outre, déposé des plaintes auprès du parquet de Paris contre Roland Coutanceau. Anna pour "mise en danger de mineur", Pauline pour "mise en danger d'autrui". La première a été classée sans suite au motif que l'infraction "était insuffisamment caractérisée" et "prescrite". La seconde a été transmise au parquet de Nanterre, car le psychiatre exerce dans les Hauts-de-Seine. De son côté, Marie attend "la suite" et continue les démarches "aussi pour les autres mamans". La quadragénaire insiste : "C'est important que les experts sachent qu'ils ne peuvent pas agir en toute impunité."

*Les prénoms ont été changés.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.