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Avocats de djihadistes : ce qui a changé depuis les attentats

Un mois après les attentats des 7, 8 et 9 janvier en région parisienne, des avocats spécialisés dans les affaires de djihadistes s’interrogent sur le traitement judiciaire de ces dossiers devenus ultra-sensibles, à l’échelle du pays.
Article rédigé par Sophie Parmentier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
  (Depuis les attentats de janvier, "le dialogue aujourd’hui sur d’éventuelles remises en liberté, ou d’éventuels placements sous contrôle judiciaire, semble totalement éteint", souligne un avocat. Photo d'illustration  © Maxppp)

Ces avocats, qui défendent des djihadistes, sont presque tous de jeunes avocats. Et c’est en commençant leur carrière, qu’un jour, ils ont croisé la route de ceux qui rentraient de Syrie ou projetaient d’y aller. Thomas Klotz a assisté son premier client présumé djihadiste en février 2013. C’était l’époque des premiers départs, par grappes, pour rejoindre les djihadistes de Jabat Al Nosra, qui s’opposaient à Bachar El Assad. A l’époque, Thomas Klotz, regard brun, cheveux en boucles, venait de remporter, avec d’autres jeunes gens, les premiers prix du concours d’éloquence organisé chaque année par le Barreau de Paris. Thomas Klotz avait ainsi été désigné "secrétaire de la conférence", l’élite du jeune barreau parisien. Ils sont douze, chaque année, à faire partie de cette brillante élite.

Avocats de djihadistes : ce qui a changé depuis les attentats. Reportage de Sophie Parmentier

Chaque année, les "secrétaires de la conférence" ont la même mission : assurer la défense pénale d’urgence des affaires les plus graves, pour les plus démunis, et parmi ces affaires, beaucoup d’affaires de terrorisme. C’est ainsi que presque tous les avocats qui défendent aujourd’hui des djihadistes ont fait la connaissance de leurs clients. En étant appelés dans l’urgence, pour assurer leur défense, après une interpellation de retour d’Irak, de Syrie, ou avant même de décoller pour la Turquie. Petite parenthèse, défendre ces clients n’est pas absolument pas lucratif pour ces avocats. 

"La détention est une mesure d’ordre public, quasiment, aujourd’hui. Elle est systématique" (Maître Klotz)

Quand les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ont attaqué Charlie Hebdo, des policiers, l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, Thomas Klotz a été particulièrement ébranlé. Extrêmement choqué, comme tout un pays. Et pour lui, cette question s’est posée : allait-il pouvoir assurer de la même façon, la défense de ses clients djihadistes, dans la fameuse galerie Saint-Eloi, cette galerie où travaillent les huit juges d’instruction antiterroristes, au Palais de Justice de Paris ? Aurait-il les moyens de défendre à l’identique ses clients face à des juges aussi réputés que Marc Trévidic, David Bénichou, Laurence Le Vert ou Nathalie Poux ? Allait-il trouver les forces ? Un mois après ces attentats qui ont endeuillé la France, il estime que les juges "de très haute volée, qui ne font aucun amalgame " n’ont pas modifié leur dialogue avec les avocats. "Le dialogue est inchangé sur le fond des dossiers. Mais, le dialogue aujourd’hui sur d’éventuelles remises en liberté, ou d’éventuels placements sous contrôle judiciaire, semble totalement éteint ", dit-il.

Thomas Klotz ajoute que "la détention est une mesure d’ordre public, quasiment, aujourd’hui. Elle est systématique ". Il précise que cette tendance répressive du placement en détention provisoire pour toute personne liée au djihad était déjà quasiment la règle depuis le printemps dernier et l’attentat de Mehdi Nemmouche, perpétré contre le musée juif de Bruxelles. Un mois après les attentats en région parisienne, cette règle ne souffre plus aucune exception. "On le comprend ", poursuit Thomas Klotz.  "C’est quelque chose que l’opinion publique réclame. Il est évident que le risque d’attaques est très grand. Mais nous, avocats, même si on n’est pas juges de la dangerosité de nos clients, on a une multitude d’indices et on estime qu’il est important de ramener bon nombre de ces dossiers syriens à hauteur d’hommes. Nous nous efforçons de les ramener à la personnalité et à l’implication de nos clients ".

"La plupart des gens qui reviennent (du djihad) sont rattrapables" (Maître Nogueras)

Car tous les djihadistes ne sont pas de dangereux terroristes, clame Xavier Nogueras, jeune avocat au regard clair et au discours passionné, qui faisait partie de la même "promotion" des secrétaires de la conférence que Thomas Klotz, en 2013. Lui défend une vingtaine de jeunes djihadistes. "De mon point de vue, 90% de mes clients auraient dû éviter une incarcération. D’abord parce que les Kouachi, les Merah, les Nemmouche, sont extrêmement rares. Ils sont extrêmement violents, l’émoi est extraordinaire, les blessures sont profondes et elles le seront pendant longtemps, mais ils représentent une infime partie de ces profils de djihadistes. La plupart des gens qui reviennent ne sont pas fondamentalement dangereux et ils sont rattrapables ", estime maître Xavier Nogueras.

Il ajoute que "ces jeunes gens ont souvent voulu partir en Syrie pour tirer à la kalachnikov, mais ils n’ont pas forcément été intégrés au sein de l’Etat Islamique ou au sein du Jabat Al Nosra, parce que les Français sont considérés comme de la chair à canon et n’ont pas vraiment de responsabilités. Et souvent, ils reviennent de leur plein gré, car ils en ont marre de rester sur place. Souvent aussi, ils reprennent le travail avant que la DGSI ne revienne les chercher. Ce n’est pas immédiat. Et donc il y a des choses à faire, on peut les rattraper. Or, l’incarcération systématique, favorise la radicalisation ", regrette maître Xavier Nogueras.

Le risque de radicalisation en prison

Ainsi revient la récurrente problématique de la radicalisation en prison. Une problématique encore plus aiguë, depuis que le Premier Ministre, Manuel Valls, et la Garde des Sceaux, Christiane Taubira, ont décidé que tous les détenus liés à des affaires de terrorisme islamiste allaient maintenant être regroupés, dans des quartiers spécifiques, non seulement à Fresnes, mais aussi à Fleury-Mérogis, la plus grande prison d'Europe, et peut-être à Osny, dans le Val d'Oise. A Fresnes, l’expérience menée depuis le mois d’octobre est positive, aux yeux du directeur de la prison, Stéphane Scotto. Il assure que depuis qu’une vingtaine de détenus liés aux affaires de terrorisme islamiste sont regroupés en 1ère division sud, les autres détenus, modérés, sont protégés, et ne sont plus soumis à la pression dans les cours de promenade, ou dans les douches, où les radicaux reprochaient souvent aux autres d’être nus.

"Ce gosse avec qui on pouvait discuter, va partager pendant vingt heures par jour le quotidien de gens plus aguerris"

Mais pour l’avocat Thomas Klotz, ces regroupements dans certaines ailes des prisons, de détenus considérés comme des islamistes radicaux, peuvent être dangereux pour de jeunes candidats au djihad, en tout cas pour les moins radicalisés. "Prenez l’exemple d’un garçon de 19 ou 20 ans qui n’est même pas allé en Syrie, qui revient de Turquie, qui n’est pas vraiment dans une filière, il va se retrouver en détention, et là ce gosse avec qui on pouvait discuter, va partager pendant vingt heures par jour le quotidien de gens plus aguerris, plus véhéments sur des positions islamistes très fortes, et c’est forcément le risque d’un échec ", estime Thomas Klotz.

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D'autant que le programme de déradicalisation en prison promis par la Chancellerie n'est pas encore mis en place dans les établissements qui hébergent ces détenus liés aux affaires de terrorisme islamistes. La directrice de l'Administration Pénitentiaire, Isabelle Gorce, devrait précisément faire un point, ce lundi après-midi, sur l'avancement du programme. Elle sera auditionnée par la commission d'enquête parlementaire sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, commission présidée par le député UMP des Alpes-Maritimes, Eric Ciotti. L’audition d’Isabelle Gorce sera suivie de celle de Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, elle aussi au cœur du problème, puisque certains djihadistes présumés interpellés ne sont même pas majeurs.

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