Au procès de l'arnaqueur du métro, ce "grand comédien" qui jouait sur la bonté de ses victimes
Cet homme demandait une aide financière à des jeunes femmes, avec une grande habileté. Une quinzaine d'entre elles ont porté plainte. Lundi, il a été condamné à 4 mois de prison et à indemniser ses victimes. Récit de l'audience.
Avec une moue triste et un regard un peu hagard, il observe la salle avec ses yeux noirs, petits et ronds, derrière une paire de lunettes sans monture. Recroquevillé au fond du box des accusés, il a l'air inoffensif. André, 67 ans, a pourtant été reconnu coupable d'escroquerie, lundi 22 septembre, à Paris. Accusé d'avoir soutiré de l'argent à plusieurs dizaines de jeunes femmes aux abords des stations du métro de la capitale, il a été condamné à 12 mois de prison dont huit avec sursis et trois ans de mise à l'épreuve, notamment assortis d'obligation de soins et d'indemnisation des victimes.
Comédien, metteur en scène, psychologue : ces qualificatifs ont été utilisés pour le décrire au cours de l'audience devant le tribunal correctionnel de Paris, à laquelle francetv info a assisté.
"Toujours le même mode opératoire"
Les cheveux gris coiffés sur le côté, un polo bleu marine avec un col blanc ouvert sur le haut de la poitrine, André attend son tour dans le box des accusés. Pour l'instant, le président du tribunal et ses deux assesseurs terminent l'interrogatoire d'un jeune homme, jugé pour des braquages. Assis, André écoute calmement. Lorsqu'une heure plus tard, le tribunal passe à son affaire, il garde la même expression. Il est attentif à l'exposition des faits, résumés par un des juges.
"Vous avez toujours le même mode opératoire : sous un faux nom, Michel Nuvet, notamment, vous abordez des jeunes femmes seules aux abords du métro, vous prétendez venir de Bordeaux, ne plus avoir assez d'argent pour récupérer votre voiture et rejoindre votre fille de 17 ans."
"Vous tendez un portable avec le numéro de votre fille imaginaire, vous avez des clés de voiture à la main, vous êtes même prêt à donner votre veste ou à offrir un café en gage de bonne foi. Les jeunes femmes vous remettent ensuite les sommes d'argent que vous avez demandées, après les avoir retirées à des distributeurs de billets. Vous prenez leurs coordonnées en promettant de rendre l'argent, ce que vous ne faites pas. Vous avez été identifié par les victimes et vous avez reconnu les faits, que vous expliquez commettre pour jouer dans des cercles de jeux et des courses hippiques."
"20 ou 30 euros, cela ne suffisait pas. Je demandais plus"
"Je reconnais le procédé. Je le regrette", répond le prévenu, invité à s'exprimer. Puis il présente ses excuses aux plaignantes. Elles sont quinze, même si l'homme a, en réalité, fait beaucoup plus de victimes (pour certaines, les faits étaient prescrits). Huit d'entre elles ont fait le déplacement. Trois jeunes femmes sont assises près de lui, sur sa gauche, cinq autres un peu plus loin. Elles ne se ressemblent pas toutes physiquement, mais elles ont, toutes, un visage avenant et une tenue vestimentaire qui révèle un milieu social ni pauvre, ni aisé. Ce point commun est frappant, quand on les voit assises les unes à côté des autres, en train d'écouter attentivement les échanges entre l'accusé et les juges.
"Quels montants vous jouiez ?" "Mon salaire et l'intégralité de ce que les plaignantes m'ont remis. J'allais dans les casinos, les PMU. A cause de cela, j'ai perdu mon emploi, ma femme..." Il répond avec émotion, d'une petite voix. "Parlez plus fort, s'il vous plaît ! Vous avez joué des sommes importantes. Vous qui êtes d'une génération qui a connu le franc, vous savez que cela fait beaucoup..." "20 ou 30 euros, cela ne me suffisait pas. Je demandais plus", reconnaît-il. Aujourd'hui à la retraite, il dit toucher une pension de 1 000 euros par mois.
"C'est un artiste de l'arnaque"
Mélina, Amélie, Laura, Julie-Anne : les quatre jeunes femmes s'avancent à la barre, chacune à leur tour, pour témoigner. "Il était convaincant. Il avait réponse à tout", raconte la première. "On a toutes fait des études supérieures, on n'est pas dupes à la base. Pourtant, on a eu du mal à s'en remettre. Il a l'air d'un petit monsieur en détresse, mais c'est un grand comédien, un artiste de l'arnaque", souligne ensuite Amélie. Elle est dos au prévenu, lui la regarde avec un léger sourire. "Je me rappelle de tes retraits d'argent", ajoute-t-il. Amélie avait retiré 700 euros en trois fois, une des sommes les plus élevées.
"Je ne peux pas laisser dire qu'il n'est pas pressant. Il vous suit tout le temps. Quand j'ai refusé de lui donner l'argent, il a haussé le ton. Il m'a intimidée. On doute, alors il introduit un autre élément dans son discours et on est convaincue de sa bonne foi. Puis on doute à nouveau, et cette situation dure pendant 15 minutes. J'ai lâché 380 euros au total, pourtant j'ai la notion de l'argent", explique Laura. Dans son cas, il s'appelait Pierre Vilber et habitait rue Pierre-Lescure à Bordeaux. Un nom de rue qui n'existe pas.
"Je me suis sentie salie. Ce n'est pas un don. On le voit comme un prêt, mais 350 euros pour quelqu'un qu'on ne connaît pas, c'est beaucoup", insiste Julie-Anne (le prénom a été changé), qui n'a toujours pas confié cette histoire à ses proches. Puis elle se tourne vers André : "Et je vous avais dit : 'J'espère que vous pourrez me rembourser parce qu'on se voit toujours deux fois dans la vie.'" Ironie du sort, la deuxième fois, c'est précisément ce lundi. Comme Julie-Anne, toutes les victimes demandent des dédommagements pour le préjudice matériel et moral, ainsi que le remboursement des frais d'avocat et de justice.
"Il s'appuie sur un scénario et des accessoires"
"Excellent comédien et excellent metteur en scène", "Il a mis en place un stratagème", "Il s'appuie sur un scénario et des accessoires" : dans leurs plaidoiries, les trois avocats des parties civiles présents mettent en avant la mise en scène soignée de l'arnaqueur et les séquelles laissées par ses agissements.
"Il a changé la nature profonde de ces jeunes femmes. C'était des êtres charitables, mais aujourd'hui, elles ne donnent plus à ceux qui en ont besoin", soulève Me Camille Auvergnas. "Elles ont perdu confiance en elles et avaient peur de reprendre les transports. L'une d'elles l'a recroisé, elle était sous le choc", renchérit Me Caroline Messerli.
"C'est un tout petit bonhomme"
L'avocat de l'accusé, Me Michel Konitz, se lance dans une plaidoirie avec un tout autre ton. "Il choisit des jeunes femmes avenantes et c'est vrai qu'elles sont délicieuses", commence-t-il. "Il a une présence oppressante comme tous les gens qui sont des crampons. Ce qu'il a fait, c'est moche, et je le sais bien. Cela fait vingt ans que je le supporte, enfin, que nous nous supportons", poursuit-il.
"Mais regardez-le, il n'est pas vraiment impressionnant. C'est un tout petit bonhomme", se reprend Me Konitz. "Malheureusement, dans le monde dans lequel on vit, il ne faut pas être trop généreuse. Une des premières choses que j'ai enseignées à mes filles, c'est de dire 'non', dans n'importe quelle langue", ajoute-t-il. Pour lui, "juridiquement, ce n'est pas une escroquerie".
"Des gens qui font ce type d'activités, il y en aura toujours. Sur quinze personnes, il en trouve une. Il n'a pas de super-pouvoirs. C'est peut-être sa victime qui a le cœur plus tendre que d'autres. Soit vous le relaxez, soit vous le condamnez, mais il faut qu'il ait envie de changer" pour que ce soit utile, déclare-t-il en s'adressant aux juges. "La seule solution, c'est de dire 'non'. Pour les victimes, et pour lui aussi. Il doit dire 'non'", conclut-il, en guise d'avertissement pour son client.
"Je n'apparaîtrais plus jamais devant un tribunal"
Le tribunal a fait son choix. C'est la condamnation. "Je suis contente", réagit Amélie, satisfaite de voir son préjudice moral reconnu et de savoir qu'elle va être remboursée de 700 euros, ainsi que des frais de justice. Lui est soulagé. En détention provisoire depuis le 19 mai, il a déjà effectué les quatre mois de prison ferme prévus dans sa peine.
Lundi, il est donc ressorti libre. Il promet de quitter la région parisienne et de s'installer à Nice, chez des membres de sa famille. A un des juges qui lui rétorque que sur la Côte d'Azur, il y a beaucoup de casinos, il répond : "Quand je suis entouré, je n'ai pas besoin de jouer." "Je n'apparaîtrais plus jamais devant un tribunal", promet-il aussi, avant que le jugement soit rendu. S'il recommence, c'est le retour à la case prison.
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