Immigration : la majorité face au piège de la droite, qui veut remettre en cause un accord de 1968 avec l'Algérie

Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
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L'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 12 janvier 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Les députés LR vont profiter de leur niche parlementaire, jeudi, pour défendre une proposition de résolution prévoyant de revenir sur un traité qui garantit aux ressortissants algériens un régime plus favorable que le droit commun.

C'est un texte particulièrement scruté qui s'apprête à être débattu à l'Assemblée nationale, jeudi 7 décembre. A l'occasion de leur niche parlementaire – séance pendant laquelle les députés d'un groupe politique sont maîtres de l'ordre du jour –, Les Républicains vont défendre une proposition de résolution visant à dénoncer l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Ce texte pourrait diviser la majorité, qui cherche à se sortir du piège politique tendu par leurs collègues de droite, et ce à quelques jours de l'arrivée dans l'hémicycle du très épineux projet de loi immigration.

Cette proposition déposée en juin dernier par Eric Ciotti, Olivier Marleix et Annie Genevard vise à revenir sur un traité conclu entre les deux pays après la guerre d'Algérie. Amendé à trois reprises en 1985, 1994 et 2001, il facilite les conditions d'entrée et de séjour en France des ressortissants algériens, avec un régime plus favorable que le droit commun. "Les Algériens bénéficient de la liberté d'établissement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante. Les ressortissants algériens peuvent accéder plus rapidement que les ressortissants d'autres Etats à la délivrance d'un titre de séjour valable dix ans", résume le ministère de l'Intérieur.

Voici le régime dérogatoire que la droite veut dénoncer. "Nous voulons en finir avec cette exception juridique qui facilite l'immigration des ressortissants algériens vers notre pays", écrivent les auteurs de ce texte. Mais, même si cette proposition de résolution était votée, elle ne serait pas contraignante : une résolution n'est pas une loi mais un acte par lequel l'Assemblée émet un avis sur une question déterminée. Elle n'obligerait donc pas la diplomatie française à revenir effectivement sur cet accord avec l'Algérie, d'autant que la politique étrangère relève du domaine réservé du chef de l'Etat.

Horizons se désolidarise de la majorité 

Reste que ce texte, sensible, divise la majorité, au sein de laquelle le groupe Horizons s'est dit favorable à la dénonciation de cet accord. C'est même Edouard Philippe, patron du parti, qui a fait émerger ce sujet au printemps. "Le maintien aujourd'hui d'un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié", avait déclaré en juin à L'Express l'ex-Premier ministre, suivi par ses troupes au Palais-Bourbon.

"La logique voudrait que la majorité vote ce texte, veut ainsi croire le député LR des Hauts-de-Seine Philippe Juvin. On espère qu'Horizons va nous suivre, étant donné qu'Edouard Philippe a eu une position très claire sur le sujet""Je vous confirme que l'on sera en soutien à la position d'Edouard Philippe", a déclaré mardi, lors d'un point-presse, le chef de file des députés Horizons, Laurent Marcangeli. L'élu corse voit tout sauf "une coïncidence" dans la proposition de LR, rendue publique juste après l'interview de l'ancien chef du gouvernement.

"Les députés Horizons voteront cette résolution."

Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons à l'Assemblée

lors d'un point-presse

Mais Horizons devrait jouer cette partition en solo puisque le gouvernement sera, lui, opposé à la proposition de résolution. "Ce n'est pas la première fois que ça nous arrive [d'être en désaccord avec le gouvernement]. Ne pas voter pour ce texte serait antinomique avec la position d'Edouard Philippe", assène le député Horizons Frédéric Valletoux.

Macron défend "un principe d'efficacité"

Du côté du gouvernement, la ligne est claire. "La dénonciation sèche de cet accord n'est pas pertinente, tant pour des raisons juridiques que des raisons politiques. Elle ne réglerait pas du tout les difficultés comme vous le prétendez, mais au contraire aurait beaucoup d'inconvénients majeurs. Nous serions collectivement perdants", a répondu mardi Laurence Boone, secrétaire d'Etat chargée de l'Europe, à une question du Rassemblement national, sans surprise favorable au texte des Républicains.

"Cela relève du domaine réservé du président de la République qui pourrait aborder la question lors d'une visite prochaine du président algérien en France", souligne également l'entourage d'Olivier Becht pour justifier la position de l'exécutif. Le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger défendra jeudi cette ligne dans l'hémicycle. Pour l'heure, le Quai d'Orsay assure qu'il n'y a d'ailleurs "pas de calendrier" pour la visite reportée du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, qui devait initialement se dérouler début mai.

Emmanuel Macron avait pour sa part évacué l'éventualité d'une renégociation de cet accord par une réponse lapidaire, lors d'une interview accordée au Point, fin août : "On dit tout et son contraire à ce sujet. Je ne suis guidé à ce propos que par un principe d'efficacité." Mardi, Laurence Boone a toutefois estimé que l'accord n'était pas "figé". "C'est un accord important, il est utile, mais on ne peut pas non plus le cryogéniser", appuie le Quai d'Orsay, qui observe "un peu d'accélération" sur ce dossier sensible. Mercredi soir, auprès du Figaro, Elisabeth Borne a assuré que la renégociation de l'accord était d'actualité.

"Nous avons des demandes et le gouvernement algérien en a de son côté. C'est donc effectivement à l'ordre du jour."

Elisabeth Borne, Première ministre

au Figaro

Quant au MoDem, autre allié du camp présidentiel, il soutient cette position et ne suivra pas non plus Horizons jeudi. "Nous ne sommes pas en désaccord avec l'idée que ces accords soient renégociés, mais dans le contexte de dégrippage actuel des relations avec l'Algérie, nous estimons que c'est une initiative diplomatique maladroite et contreproductive", juge le groupe centriste, qui votera donc contre.

"Pas le moment de faire des pas de côté"

Parmi les parlementaires Renaissance, les dissensions ont été évitées de justesse. "Il y a trois semaines, beaucoup de députés voulaient voter cette proposition de résolution", relate une source ministérielle, citant la position "floue" du président du groupe, Sylvain Maillard, ou celle de la députée Astrid Panosyan-Bouvet. L'élue a choisi de ne pas être responsable du texte pour son groupe et a jugé l'accord franco-algérien "obsolète".

Mais, depuis, "beaucoup de messages ont été passés par l'Elysée, Matignon ou le Quai d'Orsay pour appeler Renaissance à voter contre", poursuit cette même source. Et "le groupe votera contre", confirme le député Mathieu Lefèvre. Même ceux de l'aile droite ne feront pas de vague. "Je suivrai la position de mon groupe, ce n'est pas le moment de faire des pas de côté", confie le député Charles Sitzenstuhl. 

La logique arithmétique est donc implacable : la proposition de résolution des Républicains n'a aucune chance de passer, d'autant que les groupes de gauche y sont aussi opposés. Dans les rangs de la majorité, le sujet n'est pas clos, mais la prudence est de mise pour faire évoluer l'accord à l'avenir. "Il faut y aller doucement et utiliser tous les moyens diplomatiques possibles. Sinon, le retour de bâton peut être très dur", prévient une parlementaire du camp présidentiel.

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