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Fin de vie d’un prématuré à Poitiers: une histoire médiatisée, mais loin d'être unique

Le CHU de Poitiers a décidé jeudi, en accord avec les parents, d'engager "l'accompagnement de fin de vie" d'un bébé né quatre mois avant terme. Une situation à laquelle les hôpitaux sont régulièrement confrontés. Francetv info a interrogé des médecins sur le sujet.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une infirmière s'occupe d'un nouveau-né dans le service néonatal du Centre hospitalier de Lens (Pas-de-Calais), le 4 décembre 2013. (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

"Qui veut une vie de handicap pour son fils ? S'il y a des familles qui le souhaitent, nous, nous ne le souhaitons pas." Mélanie et Aurélien sont devenus parents le 31 août, mais la naissance de leur enfant est arrivée beaucoup plus tôt que prévu. Mélanie accouche après 25 semaines et demie de grossesse, soit près de quatre mois avant le terme. Son bébé, Titouan, ne pèse que 900 grammes et, surtout, il a subi une hémorragie cérébrale pouvant causer de graves séquelles. Il est alors impossible, pour les médecins, de prédire avec exactitude le degré de son handicap.

Mélanie et Aurélien, eux, n'ont aucun doute. Le couple, originaire de Charente-Maritime, près de Saintes, ne se "sent pas capable de gérer ça". Il estime que Titouan est victime "d'acharnement thérapeutique" et réclame la fin des soins. Les médecins, eux, demandent du temps. Mais le jeudi 18 septembre, l'état de santé du nouveau-né se dégrade. Par conséquent, le Centre hospitalier universitaire de Poitiers (Vienne) décide, dans la soirée, d'engager "l'accompagnement de fin de vie" du bébé grand prématuré et clôt ainsi cet épisode médiatique.

Les grands prématurés, environ 1,6% des naissances

Désireux d'alerter l'opinion sur cette question, Mélanie et Aurélien avaient contacté les médias mardi. Ce n'est pas courant : ce genre de situation est peu médiatisé, et il y a rarement des désaccords entre l'équipe médicale et les parents. Pourtant, les naissances de grands prématurés qui posent de telles questions sont relativement fréquentes : plusieurs dizaines de cas chaque année en France. 

Dans l'Hexagone, la proportion de naissances avant terme varie entre 6 et 8%, selon les études de l'Inserm ou du Réseau national d'information sur la naissance. Les grands prématurés, nés entre 24 et 31 semaines de grossesse, représentent environ 1,6% des naissances. Soit, sur 810 000 naissances en 2013, près de 13 000 cas.

Ces nouveau-nés n'ont pas toujours de complication cérébrale. "93% des enfants nés à 31 semaines survivent, tandis que la moitié des enfants nés à 24 semaines ont des lésions, qui peuvent être cérébrales", précise à francetv info Jean-François Magny, chef du service de pédiatrie et réanimation néonatales à l'hôpital Necker, à Paris. Egalement contactée par francetv info, Charlotte Bouvard, fondatrice et directrice de SOS Préma, association créée pour accompagner les parents confrontés à la prématurité, fait un bilan sous un autre angle : "En dix ans, on a aidé 500 000 familles."

"Des problèmes éthiques plusieurs fois dans le mois"

Déterminer les séquelles, arrêter les soins ou les poursuivre, expliquer une décision... C'est le quotidien des unités de réanimation néonatale qui accueillent des grands prématurés. "Dans mon service, les problèmes éthiques se posent plusieurs fois dans le mois", indique Jean-François Magny.

A l'heure actuelle, "l'accompagnement de fin de vie" d'un bébé grand prématuré est encadré par la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, et par les recommandations de la Commission éthique de la Société française de néonatologie. L'équipe médicale de l'unité de réanimation néonatale se réunit pour prendre une décision de manière collégiale.

L'avis d'un médecin extérieur à l'équipe est aussi intégré, puis suit un débat éthique avec des professionnels et des non-professionnels de santé, ainsi qu'une nouvelle réunion collégiale de l'équipe. Dans le cas de Titouan, l'équipe de néonatalogie du CHU de Poitiers a sollicité l'avis d'une autre équipe de réanimation néonatale, celle du Centre hospitalier Antoine-Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine).

Prendre une décision irréversible

Surtout, dans ces situations délicates, les professionnels de santé demandent du temps. "Le fait de bien se poser, pour être sûr qu'on ne fait pas de bêtises, et de réanimer en attendant, est une procédure habituelle, demandée et conseillée par tous les organismes professionnels qui traitent de ce sujet. De temps en temps, il est urgent de ne pas agir, d'autant que c'est irréversible", observe le Dr Christophe Elleau, chef de l'unité de néonatologie-Bloc maternité au CHU de Bordeaux (Gironde).

L'équipe médicale peut décider d'arrêter les soins, mais pas de mettre fin à une vie. "Pour prendre une décision, on se focalise sur le bébé, on privilégie son intérêt", témoigne le Pr Jacques Sizun, du service de réanimation néonatale du CHU de Brest (Finistère), contacté par francetv info.

"Aucun parent n'imagine son enfant handicapé"

En parallèle, il y a la place des parents. L'équipe médicale les informe régulièrement sur l'état de santé de leur enfant, à partir du moment où elle réalise un examen du cerveau pour dépister d'éventuelles complications. Ils sont informés des différentes étapes qui jalonnent la réflexion de l'équipe médicale, ils y sont associés. Mais ils ne participent pas à la prise de décision.

La France se veut protectrice vis-à-vis des parents. "C'est une bonne chose", estime le Pr Jacques Sizun. "Pour les parents, prendre une décision dans ce contexte est difficile. Ils ont une charge émotionnelle trop importante. D'ailleurs, la mère du petit Titouan était en larmes à chacune de ses prises de parole, souligne-t-il. Et on peut les comprendre : découvrir son bébé qui pèse 700 grammes, c'est violent. Aucun parent n'imagine son enfant handicapé."

L'absence de consensus, une situation rare

Mais les parents sont-ils satisfaits de cette situation ? Une étude, présentée en février au congrès de réanimation néonatale et rapportée par Libération, montre que 60% des parents ont un mauvais ressenti. "Assez rapidement, on s'est dit : 'On ne veut pas de cette vie-là pour notre enfant, mais que faire ?' On nous a dit : 'Pas d'intervention humaine pour le faire mourir, c'est interdit'. Les deux jours pendant lesquels on a attendu de savoir s'ils allaient décider l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation ont été une torture, on devenait fous, on ne voulait pas que l'on force notre enfant à vivre", témoignent des parents dans cette étude. 

Le cas de Titouan à Poitiers illustre cette absence de consensus entre équipe médicale et parents. Mais selon le Pr Jacques Sizun et le Dr Jean-François Magny, cette situation est relativement rare. "Il ne faut pas mélanger la place de chacun. Nous avons un rôle d'expert en médecine. Les parents sont en grande souffrance. Nous devons créer un partenariat avec eux, ne pas les considérer comme des visiteurs à l'hôpital", affirme Jacques Sizun.

Au CHU de Poitiers, les équipes médicales et soignantes ont tenu à témoigner de leur "plus vif soutien" à la famille du petit Titouan, mort vendredi, selon son entourage familial cité par France 3 Poitou-Charentes.

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