Pourquoi le mot "féminicide" fait-il toujours débat ?
L'Organisation mondiale de la santé le définit comme l'"homicide volontaire d'une femme" et le Petit Robert comme "le meurtre d'une femme en raison de son sexe". En revanche, le terme n'apparaît pas encore dans le Larousse.
L'annonce du centième féminicide conjugal de l'année, samedi 31 août, a suscité l'effroi. Une jeune femme a été tuée à Cagnes-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, à quelques jours du lancement du Grenelle des violences conjugales, mardi 3 septembre. Son compagnon a été mis en examen, soupçonné d'avoir porté les cours mortels. L'emploi du terme "féminicide" pour qualifier ce nouveau drame, et les 99 précédents de l'année 2019, ne fait pourtant pas consensus au sein de la société française.
Si le mot n'a pas encore fait son entrée dans le Larousse, il figure dans Le Petit Robert avec cette définition : "Le meurtre d'une femme, d'une fille en raison de son sexe". Il est aussi défini par l'Organisation mondiale de la santé, qui le caractérise comme "l'homicide volontaire d'une femme". L'OMS précise que certaines définitions, comme celle employée par la Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen, peuvent différer et inclure "tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu'elles sont des femmes".
D'autres termes lui sont parfois préférés
Un autre mot existe pour qualifier le meurtre d'une femme par son époux ou compagnon : l'uxoricide. Peu connu, il est défendu par certains spécialistes, qui l'estiment plus précis que féminicide. L'uxoricide, du latin "uxor" ("épouse") et "cide" ("tuer, frapper"), désigne uniquement l'homicide d'une femme par son époux ou compagnon.
Dans une interview au Parisien datée du samedi 31 août, Ségolène Royal a souligné "au passage" qu'elle "n'aimait pas" le mot féminicide. "Je comprends le sens mais je trouve qu'il minimise. C'est un assassinat, point", estime l'ancienne ministre socialiste. Pour rappel, l'assassinat diffère du meurtre dans le droit français, dans la mesure où il est prémédité.
En 2018, selon des données de la délégation aux victimes, qui relève du ministère de l'Intérieur, sur les 121 féminicides dénombrés en France, 26 ont été qualifiés en assassinat, 85 en meurtres et seulement 10 en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
En Espagne, il a fait son apparition dans la loi
Selon la définition admise par l'OMS, "le fémicide est généralement commis par des hommes", dans la plupart des cas par "des partenaires ou des ex-partenaires", dans des situations de violences conjugales dans lesquelles les femmes ont "moins de pouvoir et/ou moins de ressources que leur partenaire". C'est pour cette raison que le collectif #NousToutes et nombre d'associations appellent à l'utilisation de ce terme, voire à son officialisation dans le droit.
Ce dernier point est sujet à controverse dans la magistrature. La procureure d'Auch, Charlotte Beluet, a été l'une des premières magistrates à utiliser publiquement le terme de "féminicide", le 20 août 2019. Elle était alors chargée de répondre aux questions de la presse sur la mort d'une femme tuée par son conjoint à Pessan (Gers). Interrogée quelques jours plus tard par Le Monde, elle a estimé qu'il fallait "nommer les choses" et "contrebalancer tous ces discours autour de ces auteurs qui tueraient, guidés par un trop-plein d'amour, qui seraient meurtriers malgré eux".
Parler de féminicide, c'est montrer que ça n'a rien de romantique.
Charlotte Beluetdans "Le Monde"
La Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres du Parlement européen a appelé les Etats membres de l'UE, dans plusieurs rapports, à qualifier juridiquement de "féminicide" tout meurtre de femme "fondé sur le genre". L'Espagne, qui a fait des violences conjugales une cause nationale depuis 2003, a intégré un an plus tard le terme "féminicide" dans son droit et a développé tout un arsenal juridique pour contrer ces violences.
Un risque d'atteinte à l'universalisme du droit ?
En France, si le mot "féminicide" a fait son entrée dans le Vocabulaire du droit et des sciences humaines en 2014, il ne figure toujours pas dans le Code pénal. Le meurtre d'une personne par son conjoint est en revanche considéré comme une circonstance aggravante par l'article 221-4 et porte la peine encourue de trente ans de réclusion criminelle à la perpétuité.
Son éventuelle introduction fait débat et la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) s'est positionnée contre en 2016, considérant qu'il y avait un risque de "porter atteinte à l'universalisme du droit". Ce principe garantit l'égalité de tous devant la loi pénale. Les termes "infanticide" et "parricide" ont ainsi été supprimés du Code pénal en 1994 pour les mêmes raisons.
Des actes attendus plutôt que des mots
Interrogée par franceinfo, Caroline De Haas, du collectif #NousToutes, estime que l'utilisation du mot "féminicide" permet une meilleure prise de conscience et une action publique en conséquence. "Ce n'est pas dire que ces meurtres ou assassinats sont plus graves ou moins graves que d'autres, explique-t-elle. Cela souligne juste leur caractère particulier et le fait qu'ils s'inscrivent dans un système global de violences faites aux femmes."
Quand on lutte contre les féminicides, on ne lutte pas uniquement contre la criminalité mais aussi contre les violences faites aux femmes.
Caroline De Haasà franceinfo
En revanche, la militante féministe estime qu'une reconnaissance légale du terme n'est pas forcément nécessaire : "Il y a des débats au sein même de #NousToutes sur la question, mais j'estime que ce n'est pas la priorité. Les ressources juridiques pour punir les féminicides existent déjà. L'urgence, c'est la mise en place de politiques concrètes pour les prévenir."
Un avis partagé par une majorité d'associations et de familles de victimes, qui militent avant tout pour la reconnaissance du mot "féminicide" dans l'espace public, l'envisageant comme une "étape indispensable" dans la lutte contre les violences conjugales.
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