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Féminicide d'Hayange : "Il faut une culture de la protection des femmes", défend Anne-Cécile Mailfert

Pour la présidente de la Fondation des femmes, il faut notamment permettre aux victimes de violences de suivre l'évolution de leur plainte, ce qui ne leur est pas permis à l'heure actuelle.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"Je suis très en colère, parce que cette femme a fait ce qu'il fallait, elle a porté plainte, elle a alerté", a réagi mercredi 26 mai sur franceinfo Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, après le féminicide d’Hayange (Moselle). Une femme de 22 ans a été tuée à coups de couteau dans la nuit de dimanche à lundi. Elle avait pourtant porté plainte pour violences à l’encontre de son conjoint, suspecté du meurtre. Anne-Cécile Mailfert plaide pour "une culture de la protection des femmes".

franceinfo : Y a-t-il eu des dysfonctionnements dans cette affaire ?

Anne-Cécile Mailfert : Quand j'entends "pas de dysfonctionnement", j'entends "circulez, rien à voir". Malheureusement, c'est parce que c'est "circulez rien à voir" qu'il y a encore autant de féminicides en France, qui sont d'ailleurs à nouveau en augmentation cette année. "Circulez, rien à voir", c'est dramatique, et ce sont des mises en danger de femmes sur notre territoire.

"Je suis très en colère, parce que cette femme a fait ce qu'il fallait, elle a porté plainte, elle a alerté."

Anne-Cécile Mailfert

à franceinfo

Des voisins avaient a priori également signalé des choses. La plainte pour violences conjugales n'a jamais été instruite : en novembre 2020, il [le conjoint] va être emprisonné pour des vols sur portables, pour des délits de fuite de voiture etc. Ce qui s'est passé de sa violence vis-à-vis des biens a été pris au sérieux, mais la violence vis-à-vis des personnes, et particulièrement vis-à-vis d'une femme, n'a pas été prise au sérieux, puisque la plainte de novembre 2020 n'est même pas remontée à la justice. C'est un dysfonctionnement manifeste, et ce que ça montre, parce qu'il y en a souvent, c'est ce que le système ne marche absolument pas comme il faudrait.

La justice avait-elle les moyens d'empêcher le retour à domicile de cet homme après sa condamnation ?

S'il y avait eu une communication efficace entre la police et la justice, il n'aurait jamais dû rentrer chez lui. La justice peut s'en laver les mains en disant qu'elle ne savait pas, qu'elle a fait comme il fallait. De toutes façons, il y a un problème institutionnel : qu'ils se renvoient la balle l'un l'autre, dans ce féminicide-là, c'est peut-être la faute de la police, dans le féminicide de Mérignac, c'était la faute clairement de la justice. Il faut arrêter de se renvoyer la balle, regarder les problèmes en face et trouver des solutions et arrêter de penser que c'est une fatalité, que les dysfonctionnements, ça arrive, et que ce n'est pas si grave, qu'une femme morte de plus ou de moins...

Quelles peuvent être les solutions ?

Il faut que chacun fasse son travail. Au-delà de cela, il faut aussi que l'on puisse responsabiliser les personnes responsables des dysfonctionnements lorsqu'il y en a. Des policiers qui sont en quelque sorte responsables, parce qu'ils n'ont pas transmis la plainte, vont continuer à être policiers sans avoir eu la moindre remarque négative sur ce qu'il s'est passé. Après, il y a des améliorations à apporter : il faut qu'on ait un lien entre la police et la justice, il faut plus de moyens humains. Il faut des policiers qui répondent aux dames, après 18 heures par exemple, il faut des policiers qui prennent le temps, qui soient bien formés pour ça.

Il faut surtout des brigades spécialisées, des policiers qui ont envie de travailler sur ces sujets, qui sont spécialisés et qui arrivent à détecter l'emprise, par exemple.

Anne-Cécile Mailfert

à franceinfo

Il y a aussi des problèmes tellement pratiques : aujourd'hui, il y a des problèmes informatiques. Nous n'avons toujours pas aujourd'hui le nombre de condamnations pour violences conjugales de 2019, car il y a eu un bug informatique. On n'a pas d'outil de suivi, donc on ne sait même pas si les politiques publiques qu'on a essayées d'implémenter depuis quelques temps sont efficaces. Et puis les victimes ne sont jamais informées : la dame qui a porté plainte ne sait pas si sa plainte est à la poubelle, au niveau du juge... C'est un bordel qui est à mon sens organisé, qu'on laisse bordélique, parce que tant que les chiffres ne remontent pas, aucun politique n'est responsable de ces mauvais chiffres. C'est un bordel qu'il va falloir ranger.

Le président de la région, Jean Rottner, réclame une enquête administrative sur cette affaire. Sur quoi doit-elle porter ?

On demande qu'à chaque féminicide, il y ait une enquête pour comprendre les dysfonctionnements et ensuite, les corriger. En 2019, il y a eu une grosse enquête de l'inspection générale de la justice par madame Belloubet à notre demande, qui a montré un certain nombre de dysfonctionnements. Ce sont les mêmes que nous continuons aujourd'hui à voir.

La plupart du temps, on peut sauver ces femmes. C'est faux de penser que c'est une fatalité.

Anne-Cécile Malifert

à franceinfo

Dans quatre féminicides sur dix, elles ont porté plainte. Pour ces quatre féminicides, on peut faire quelque chose. C'est insensé de se dire qu'une femme qui a porté plainte, on ne peut rien faire pour empêcher qu'on l'assassine, qu'on la massacre.

Le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice travaillent sur un fichier national des auteurs de violences conjugales pour mieux partager les informations. Est-ce une bonne réponse ?

C'est quand même la base d'écrire quelque part si une personne a été un violent conjugal et s'il a été condamné par la justice. Ca s'appelle à mon sens un casier judiciaire. Il faut améliorer absolument les outils de suivi et l'information des victimes. Il faut améliorer les fichiers informatiques du ministère de la Justice et de la police, qu'ils connectent leurs serveurs entre eux, pour qu'ils se parlent. Il faut se mettre dans une culture de la protection des femmes, pour leur sauver la vie et parce que ce sont elles qui nous disent ce qui se passe. On s'intéresse à l'auteur, il faut le faire, mais ce sont les femmes qui détectent les choses, qui alertent et informent. Dans cette culture de la protection des femmes, il faut leur permettre de comprendre où ça en est, où en est leur plainte. Quand on achète un paquet sur Amazon, vous êtes capables de savoir heure par heure où il est, quand il arrive et où. Mais quand vous déposez plainte parce que vous êtes menacée de mort, vous ne savez pas où est votre plainte et n'avez aucun moyen de le savoir, c'est hallucinant.

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