"Quand je pense au cas de Vincent Lambert, je suis atterrée"
Les parents d'Hervé Pierra, mort après huit ans de coma végétatif, reviennent sur la décision de la Cour européenne des droits de l'homme de maintenir l'alimentation de Vincent Lambert, tétraplégique en état de conscience minimale.
Il est des blessures qui jamais ne se referment. Paul et Danièle Pierra le savent depuis plus de quinze ans. Depuis que leur fils de 20 ans a tenté, en 1998, de se suicider, chez eux, en se pendant à la barre où il faisait ses exercices de musculation. En coma végétatif pendant huit ans et six jours, Hervé Pierra est mort après six jours d'intenses tremblements, sans sédation, "pour éviter le prolongement du maintien en vie". Ses parents lui ont promis, sur son lit de mort, en novembre 2006, de lutter pour éviter que d'autres subissent le même sort.
En apprenant la décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui aboutit au maintien en vie de Vincent Lambert, tétraplégique de 39 ans en état de conscience minimale depuis six ans, les parents d'Hervé Pierra n'ont pu s'empêcher de repenser à leur fils. Francetv info livre leur témoignage, huit ans après la mort de leur enfant.
"Mon fils n’était pas en vie, pas mort non plus"
"Tout est à vif. Cette histoire nous projette dans un temps qui est révolu, mais qui est là." Depuis des années, les époux Pierra observent les rebondissements judiciaires de l'affaire Vincent Lambert. Les conditions de sa fin de vie opposent la mère et l'épouse, qui en ont appelé à la justice. "On suit cette affaire depuis des années, on a même rencontré le neveu, François Lambert, lors d'une assemblée annuelle à Bordeaux où nous avons témoigné."
Si Hervé est longtemps resté inconscient, comme Vincent Lambert, sa situation était un peu différente. "Notre enfant était dans un coma végétatif. Contrairement à Vincent, il ne bougeait pas", déclare sa mère. "D’après les images que j’ai pu voir de Vincent sur son lit, il est calme et bouge un petit peu. Notre fils au contraire déglutissait a minima et s’est étranglé dans ses glaires pendant huit ans et demi. Il n'était pas en vie, il n'était pas mort non plus", juge Danièle Pierra. Vincent Lambert est lui dans un état pauci-relationnel, sorte de conscience minimale jugée irréversible par l'équipe médicale.
Au fil des journées passées au chevet d'Hervé, les signes de souffrance sont de plus en plus visibles. Comme Vincent Lambert, le corps d'Hervé finit par se replier sur lui-même, posture caractéristique d'un état de souffrance des patients pauci-relationnels. En 2005, peu après la parution de la loi Jean Leonetti, la famille Pierra demande son application pour leur fils. Ils sont parmi les premiers à en faire la requête.
Mais peu informés sur la nouvelle loi "d'euthanasie passive", l'équipe médicale ne veut se risquer à arrêter la sonde gastrique qui relie Hervé à la vie. "Dans le cas de Vincent, affirme Paul Pierra, les parents se refusent à la loi. Dans le nôtre, ce sont les médecins qui s’opposaient à la loi. Nous, on a eu à se battre contre les médecins, et notre enfant n’a pas été sédaté."
La lente dégradation du corps, insupportable
"Hier soir, je ne pouvais plus parler, s'exclame Danièle Pierra. Je me suis réveillée en pensant à Vincent [Lambert]. Et quand je pense à ce pauvre jeune homme, je suis atterrée de cette décision" de la CEDH.
Avec la suspension du jugement du Conseil d'Etat qu'implique la décision de la cour européenne dans l'affaire Vincent Lambert, "on ne sait pas combien de temps le jugement va prendre", expliquent les époux Pierra. Le temps menace l'intégrité des corps des patients immobiles : les lésions sur la peau qui ont commencé à se former sur le corps d'Hervé au bout d'un certain temps ont particulièrement marqué la famille Pierra.
Mais ce qui révulse le plus le couple Pierra, c'est le vide juridique permis par la loi Leonetti. "Le flou est multiple lorsqu’il n’y a pas de directives du patient, explique Paul Pierra. Est-ce à la personne de confiance de prendre la décision ou aux médecins ?" La loi ne le dit pas.
Huit ans après la mort de leur fils, les époux Pierra vivent toujours dans le doute: "J'ai revu le docteur Régis Aubry, missionné à l'époque par Jean Leonetti pour donner une décision sur le cas de notre fils. Je lui ai demandé les yeux dans les yeux s’il était certain qu'Hervé n’avait pas souffert. Il m’a répondu qu’il ne pouvait pas me le dire, qu’il ne le savait pas."
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