Comment la justice européenne se penche sur le cas de Vincent Lambert
Les juges de la Cour européenne des droits de l'homme examinent, mercredi, le conflit entre l'épouse de Vincent Lambert, qui souhaite le "laisser partir", et ses parents, qui s'y refusent. L'avis du juriste Nicolas Hervieu.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) se penche, mercredi 7 janvier, sur le sort de Vincent Lambert. Agé de 39 ans, il est tétraplégique en état de conscience minimale à la suite d'un accident de la route survenu en 2008. Depuis, sa famille se déchire autour de son sort et il est devenu l'objet d'un débat autour de la fin de vie. Avant de juger le dossier sur le fond, la CEDH a suspendu, en juin, la décision du Conseil d'Etat sur l'arrêt du traitement de Vincent Lambert.
Le Conseil d'Etat avait validé l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation qui maintiennent en vie le patient, à l'issue d'une bataille juridique entre les parents, partisans de la poursuite des soins, et l'épouse de cet ancien infirmier, qui souhaite l'arrêt des traitements. Le docteur Eric Kariger, qui dirigeait le service de soins palliatifs du CHU de Reims (Marne), où Vincent Lambert est pris en charge, avait regretté un "acharnement thérapeutique et l'obstination déraisonnable qu'il redoutait tant lui-même".
Que faut-il attendre de l'audience de mercredi devant la CEDH, à Strasbourg ? Quand rendra-t-elle son arrêt sur le cas de Vincent Lambert ? Francetv info a interrogé Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux de l'université Paris Ouest-Nanterre-La Défense.
Francetv info : Comment va se dérouler l'audience de la CEDH ?
Nicolas Hervieu : Cette audience publique de la grande chambre de la CEDH est la formation la plus solennelle de la Cour. Dix-sept juges siégeront. Les deux parties opposées prendront chacune la parole. D'abord, les requérants, c'est-à-dire les avocats des parents de Vincent Lambert, qui prendront la parole pendant 30 minutes. Ensuite, le gouvernement, représenté par la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, va prendre également la parole pendant 30 minutes.
Il y a une particularité dans cette audience : une troisième série de prises de paroles. L'épouse de Vincent Lambert et son neveu ont fait ce que l'on appelle une tierce intervention. La tierce intervention s'utilise lorsqu'une personne qui ne fait pas partie de la procédure devant la CEDH, mais qui a un intérêt particulier à exposer son avis, présente des observations. Ces observations sont présentées par écrits. De manière exceptionnelle, le président de la grande chambre a accepté de donner 15 minutes aux avocats de l'épouse de Vincent Lambert et de son neveu pour qu'ils exposent la position de cette autre partie de la famille qui, elle, souhaite la fin de vie de Vincent Lambert.
Dans un second temps, une partie questions-réponses aura lieu. Le président de la grande chambre va donner la parole à ses collègues qui souhaitent poser des questions. L'audience sera suspendue pendant 15 à 20 minutes, le temps pour les requérants et le gouvernement de préparer leurs réponses. Ensuite, la Cour reviendra siéger pour que les deux parties exposent leurs réponses.
A l'issue de l'audience, quand la CEDH rendra-t-elle son arrêt ?
Entre l'audience publique et le moment où un arrêt est rendu, il faut compter dix à douze mois, dans une situation normale. Mais dans cette affaire, il y a une urgence à rendre l'arrêt. Tant que la CEDH ne s'est pas prononcée, une mesure provisoire reste toujours en vigueur. Lorsque le Conseil d'Etat français a rendu son arrêt, une requête a été immédiatement déposée à la CEDH par les parents de Vincent Lambert. Ils ont demandé que l'on suspende la décision d'arrêt des soins de leur fils. C'est cette décision que la CEDH a accordée sous la forme d'une mesure provisoire. Le temps que la CEDH statue, les choses sont figées pour Vincent Lambert.
Donc, la CEDH va statuer plus rapidement que d'habitude, même si les délais sont difficilement évaluables. On devrait être plus proches des deux mois que des dix à douze mois habituels, ce qui serait extrêmement rapide. D'autant qu'un arrêt de la CEDH de cette ampleur pourrait contenir entre 60 et 70 pages environ. Le tout, traduit dans les deux langues officielles : le français et l'anglais.
Quel est le positionnement de la CEDH sur la fin de vie ?
Elle est très prudente, comme sur toutes les questions éthiques. Il n'y a pas de consensus entre les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe et le sujet est sensible. Donc la CEDH laisse une marge d'appréciation aux Etats. Il est quasiment improbable qu'elle dise : "Les Etats ont l'obligation de mettre en place un dispositif de fin de vie." Et il est également très peu probable qu'elle dise l'inverse, à savoir : "Les Etats n'ont pas le droit de mettre en place un dispositif de fin de vie."
En revanche, la CEDH va poser un encadrement, un champ des possibles. Lorsqu'un Etat décide de mettre en place un dispositif de fin de vie, elle peut définir dans quelles conditions cet Etat doit agir pour respecter la convention européenne des droits de l'homme. C'est-à-dire qu'un Etat qui met en place la loi Leonetti, par exemple, ne peut pas faire n'importe quoi. Il est encadré par des obligations, notamment procédurales, qui permettent de mettre en balance les intérêts en présence.
La CEDH pose des grands principes que les Etats doivent respecter, mais qui leur laissent une assez grande liberté. Il y a un équilibre à maintenir entre, d'un côté, la protection du droit à la vie, l'intégrité physique des personnes et la protection du consentement des personnes. Et d'autre part, la protection du droit à l'autonomie personnelle, le droit pour une personne de décider pour son propre corps, pour sa propre vie, des conditions dans lesquelles elle est susceptible de mettre fin à ses jours.
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