Aide à mourir : ce que contient le projet de loi sur la fin de vie, examiné à l'Assemblée nationale à partir de lundi

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9 min
La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, en charge du projet de loi sur la fin de vie, arrive à l'Assemblée nationale, le 24 janvier 2024. (ALEXIS SCIARD / IP3 / MAXPPP)
Le texte du gouvernement, retouché par les députés en commission, arrive dans l'hémicycle, lundi après-midi, pour environ deux semaines de débats, avant un vote solennel le 11 juin.

Le projet de loi sur la fin de vie entre dans l'arène du Palais-Bourbon. Le texte visant à renforcer l'accès aux soins palliatifs et à légaliser l'aide à mourir est examiné à l'Assemblée nationale, lundi 27 mai, à partir de 16 heures. Durant deux semaines, les élus vont se pencher sur ce projet aussi attendu que redouté, présenté par le gouvernement en avril. Le document arrive dans l'hémicycle dans une version remaniée par les députés en commission, où ont notamment été modifiées certaines des conditions d'accès à un suicide assisté ou à une euthanasie. Le critère du "pronostic vital engagé à court ou moyen terme" a ainsi été remplacé par celui, jugé plus large, d'une affection "grave et incurable en phase avancée ou terminale".

Franceinfo vous présente la nouvelle mouture de ce projet de loi, qui promet d'être encore amendé d'ici à son vote solennel en première lecture, prévu le 11 juin. Le projet de loi poursuivra ensuite au Sénat son long parcours législatif, dont l'issue n'est pas attendue avant l'été 2025.

Des soins palliatifs garantis par un droit opposable

L'article 1 du projet de loi vient consacrer les "soins palliatifs et d'accompagnement", une nouvelle notion plus ambitieuse que les soins palliatifs actuels. Ils visent à "offrir une prise en charge globale de la personne malade, accessible sur l'ensemble du territoire national, afin de préserver sa dignité, sa qualité de vie et son bien-être". Pour cela, ils doivent répondre aux "besoins physiques" du patient, mais aussi à ses "besoins psychologiques et sociaux". Ils passent par le recours aux soins palliatifs et incluent d'autres formes d'accompagnement, "dès le début de la maladie".

Pour mieux lutter contre les inégalités d'accès aux soins palliatifs, les députés de la commission spéciale ont, contre l'avis du gouvernement, consacré un droit opposable à en bénéficier. Un juge pourra ainsi ordonner la délivrance de soins palliatifs à un malade qui aurait demandé en vain une telle prise en charge. A travers plusieurs amendements, les élus ont également consolidé la place des soins palliatifs et d'accompagnement dans les études médicales, désormais définies dans le Code de l'éducation comme intégrant nécessairement "une formation à l'accompagnement de la fin de vie et à l'approche palliative". Ils ont aussi inscrit dans le projet de loi la stratégie décennale des soins d'accompagnement présentée, en avril, par l'exécutif, ainsi que les budgets associés.

Des "maisons d'accompagnement" pour les malades

L'article 2 introduit une nouvelle famille d'établissements médico-sociaux : les "maisons d'accompagnement et de soins palliatifs", qui auront pour vocation d'"accueillir et accompagner des personnes en fin de vie et leurs proches". Ces structures de petite taille, que les députés ont restreintes au secteur public ou privé à but non lucratif, devront combler le vide qui existe parfois entre le domicile et l'hôpital. Elles représenteront une nouvelle solution pour des patients n'étant plus en état de rester chez eux, mais ne nécessitant pas pour autant une prise en charge très médicalisée.

Un "plan personnalisé d'accompagnement"

La volonté de prise en charge précoce des patients se concrétise, à l'article 3, par la création d'un "plan personnalisé d'accompagnement", qui pourra être proposé "dès l'annonce du diagnostic d'une affection grave". Le malade pourra exprimer ses besoins et ses préférences, afin de planifier un suivi coordonné en termes de soins et d'accompagnement social. Conformément aux souhaits des députés de la commission spéciale, les proches aidants seront également sensibilisés aux enjeux liés à la fin de vie et aux aides auxquelles ils ont droit. Une fois rédigé, le plan sera notamment annexé aux directives anticipées, dont l'importance est renforcée dans l'article 4 du projet de loi.

La légalisation de l'aide à mourir

L'article 5, le plus symbolique, porte sur l'introduction de l'aide à mourir en France, sous forme d'un suicide assisté, voire, à titre exceptionnel, d'une euthanasie – deux termes qui ne figurent pas explicitement dans le projet de loi. "L'aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale (...) afin qu'elle se l'administre ou, lorsqu'elle n'est pas en mesure physiquement d'y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne majeure qu'elle désigne et qui se manifeste pour le faire", détaille le texte. Elle sera entièrement gratuite. 

Pour accéder à une aide à mourir, une personne devra répondre à l'intégralité des cinq conditions définies à l'article 6 :

  1. "Etre âgée d'au moins 18 ans"
  2. "Etre de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France"
  3. "Etre atteinte d'une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale"
  4. "Présenter une souffrance physique, accompagnée éventuellement d'une souffrance psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas de traitement ou a choisi d'arrêter d'en recevoir"
  5. "Etre apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée."

Une demande soumise au feu vert d'un médecin

L'article 7 encadre la formulation de la demande auprès d'un médecin. Le praticien sollicité, qui ne devra pas être un proche du patient, sera tenu de l'informer de la procédure d'aide à mourir, des autres "traitements et dispositifs d'accompagnement disponibles", mais également de la possibilité de renoncer à sa demande "à tout moment". Il devra en outre lui proposer de "bénéficier de soins palliatifs" et, le cas échéant, s'assurer qu'il puisse y "accéder". Une orientation vers un psychologue ou un psychiatre devra aussi être suggérée au malade.

Selon l'article 8, le médecin devra, dans les quinze jours suivant la demande, décider si le malade répond bien aux cinq critères prévus. Pour cela, il sera tenu de "recueillir l'avis" de plusieurs soignants, dont au moins un médecin extérieur, spécialiste de la pathologie du patient, et "un auxiliaire médical [infirmier, par exemple] ou un aide-soignant". L'avis donné par les autres soignants sera seulement consultatif, le praticien initialement sollicité restant seul décisionnaire.

En cas de feu vert, le patient devra respecter un délai de réflexion de deux jours, qui pourra, comme l'ont voulu les députés, être éventuellement "abrégé" d'un commun accord avec le médecin. En cas de réponse négative à la demande d'aide à mourir, le malade pourra contester la décision devant la justice administrative. Même après avoir rendu sa décision, le médecin pourra l'annuler si de nouvelles informations le conduisent à considérer que les conditions "n'étaient pas remplies ou cessent de l'être".

Un geste pratiqué sous la surveillance d'un soignant

Aux termes des articles 9, 10 et 11, une fois la demande du patient approuvée et confirmée, le médecin prescrira le produit et se mettra d'accord avec le patient sur "le médecin ou l'infirmier chargé de l'accompagner pour l'administration de la substance létale". C'est ce professionnel, et non le malade lui-même, qui pourra aller chercher le produit en pharmacie. La date et le lieu de l'acte seront déterminés d'un commun accord entre le soignant et le demandeur. Si l'aide à mourir est programmée plus d'un an après le feu vert, une nouvelle évaluation du "caractère libre et éclairé" de la demande sera nécessaire.

Après une ultime vérification de la volonté du patient, l'aide à mourir pourra être pratiquée, en présence de ses proches s'il le souhaite. Si le patient demande un report, une nouvelle date pourra être programmée. Le médecin ou l'infirmier mettra en place le dispositif et surveillera la réalisation de l'acte. Il ne sera pas tenu de rester "aux côtés de la personne", mais devra "se trouver à une proximité suffisante pour pouvoir intervenir en cas de difficulté".

Par principe, "l'administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même", rappelle le texte. C'est seulement lorsque le malade est confronté à une impossibilité physique (paralysie totale, par exemple) que le geste pourra être confié au professionnel présent ou à "une personne majeure qui a accepté cette responsabilité".

Une clause de conscience garantie aux professionnels

En vertu de l'article 16 du projet de loi, tout professionnel de santé pourra refuser de traiter ou d'être associé à une demande d'aide à mourir formulée par un patient. De même, tout médecin ou infirmier pourra refuser d'accompagner le malade dans l'administration du produit létal, sauf s'il s'est engagé auprès de lui après l'approbation de sa demande. "Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer (…) doit informer, sans délai, la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé disposés à participer à cette mise en œuvre", prévoit le projet de loi.

Pour faciliter l'identification des soignants volontaires, ces derniers se déclareront auprès d'une commission chargée du contrôle de l'aide à mourir. Les missions réalisées dans le cadre de l'aide à mourir ne pourront pas donner lieu à un dépassement d'honoraires et la procédure sera gratuite pour les patients.

Une commission chargée du contrôle a posteriori

Pour faciliter le suivi du dispositif, l'article 17 prévoit d'instituer une "commission d'évaluation et de contrôle" rattachée au ministère de la Santé. Chaque professionnel ayant accepté de suivre un patient devra transmettre les documents produits au fil du parcours. Sur cette base, la commission sera chargée de contrôler le respect de "chaque procédure d'aide à mourir" à l'issue de celle-ci.

En cas de soupçon de crime ou de délit, cette instance devra saisir la justice. Face à un possible "manquement aux règles déontologiques ou professionnelles" de la part d'un soignant, elle pourra le signaler à la chambre disciplinaire de l'ordre compétent (ordre des médecins, ordre des infirmiers, etc.). Elle devra enfin livrer un rapport au gouvernement et au Parlement, chaque année, avec des recommandations pour faire évoluer le dispositif en cas de besoin identifié.

Un délit d'entrave à l'aide à mourir

Les députés ont introduit un article 18 bis qui prévoit une peine d'un an de prison et 15 000 euros d'amende pour toute tentative "d'empêcher de pratiquer ou de s'informer sur l'aide à mourir". Ce délit d'entrave, inspiré de celui qui existe déjà en matière d'avortement, pourrait notamment s'appliquer en cas de "pressions" sur des soignants, des patients ou des proches. Sont aussi visées d'éventuelles publications "de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir".

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