: Témoignages Comment les parents d'élèves font face à la pénurie de professeurs : "On bouche les trous avec des exercices sur internet"
"Il y aura un enseignant devant chaque élève." C'est encore ce qu'assurait Gabriel Attal, tout juste transféré à l'Education nationale, à la fin du mois d'août. Le nouveau ministre reprenait les propos tenus dès le 22 mars par Emmanuel Macron, qui avait fait de la pénurie de profs sa priorité éducative. Les enseignants absents devaient même être remplacés "du jour au lendemain", notamment grâce au tout nouveau "pacte", un dispositif qui permet notamment aux volontaires d'effectuer des remplacements de courte durée, en échange d'une prime de salaires. Mais il n'aura fallu que quelques jours pour démentir l'engagement de l'exécutif.
Selon les remontées des syndicats, les emplois du temps conservent des trous. Une semaine après la rentrée, il manquait en moyenne au moins un enseignant dans 48% des collèges et lycées de l'Hexagone, avance le Snes-FSU, principal syndicat du second degré. Pour le SNPDEN-Unsa, syndicat majoritaire des personnels de direction, le constat est pire avec 58% des établissements touchés par l'absence d'au moins un prof.
Lors d'un déplacement en Eure-et-Loir, vendredi 15 septembre, Gabriel Attal a affirmé qu'il restait "autour de 200 postes" à pourvoir dans les collèges et lycées, rappelant que l'"objectif majeur" est de "réduire les absences au maximum". Selon les informations de franceinfo auprès de son cabinet, 155 postes sont également non pourvus dans le premier degré. Premières victimes de ces absences : les élèves et par ricochet, leurs parents. Réorganisation de l'emploi du temps, inquiétudes pour l'avenir, colère contre l'institution... Franceinfo a recueilli le témoignage de cinq d'entre eux.
Audrey : "J'ai dû m'arrêter pour garder ma fille"
Scolarisée en CE1 à Thiais (Val-de-Marne), Léana n'a pas d'enseignant depuis la rentrée. "Son enseignante est en congé maternité, le rectorat avait prévu une remplaçante. Elle est venue le jour de la rentrée, puis s'est arrêtée pour maladie avant d'enchaîner, elle aussi, sur un congé maternité", assure Audrey, sa mère. Dans un premier temps, Léana et ses camarades ont été répartis dans d'autres classes. "Je me suis arrêtée une semaine pour garder ma fille", déplore Audrey, qui ne souhaitait pas que sa fille soit occupée par du "coloriage". Vendredi 8 septembre, elle appelle finalement le rectorat pour se plaindre.
"On m'a dit très sérieusement : 'Vous ouvrez votre ordi, vous vous connectez sur Eduschol [le site officiel d'accompagnement des profs], vous imprimez les fiches et vous faites travailler votre fille'."
Audrey, parent d'élève dans le Val-de-Marneà franceinfo
Une nouvelle remplaçante a finalement assuré les cours dans la classe de Léana entre le mardi 12 et le vendredi 15 septembre. Et après ? "On ne sait pas", soupire Audrey. Durant les cours à la maison, elle a privilégié la lecture et les révisions de CP pour sa fille. "Quand je parle à d'autres parents d'élèves, les CE1 sont déjà bien avancés sur le programme de géométrie et de grammaire", s'inquiète-t-elle. A terme, Audrey ne masque pas son inquiétude : "S'ils n'ont pas acquis les bases de l'élémentaire, comment feront-ils ensuite ?"
Aurélie : "On s'organise pour faire du covoiturage"
Au collège Jean-Marie Molliet à Boëge (Haute-Savoie), Mila n'a eu aucun cours de français depuis le début de l'année, faute de remplaçant. "C'est un ravin par rapport à l'année dernière", constate Aurélie, sa mère, ajoutant qu'il manquait aussi, il y a encore quelques jours, des profs d'italien, de technologie et de latin dans l'établissement. Mais le rectorat est toujours à la recherche d'un professeur de français, comme a pu le constater franceinfo dans un courriel de la direction du collège.
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Alors que cette matière occupe 4h30 de sa semaine, l'emploi du temps de Mila est considérablement allégé. "Comme il manque des assistants d'éducation pour assurer les heures d'études, on s'organise sur WhatsApp avec d'autres parents pour faire du covoiturage et récupérer les enfants", explique Aurélie. Parce que le collège est mal desservi, ce système existait déjà l'année dernière, mais uniquement pour les allers-retours "classiques" de début et de fin de journée. "Il y avait beaucoup moins de trajets organisés. Là, on passe notre temps à croiser d'autres parents quand on descend dans la vallée", se désole la mère de famille.
Florence : "J'ai pensé à inscrire ma fille au Cned"
A la cité scolaire internationale de Ferney-Voltaire (Ain), Eleonore attend, elle aussi, de découvrir qui lui assurera un enseignement de français alors qu'elle passe le bac à la fin de l'année. "Il n'y a aucun nom sur l'emploi du temps, car le poste n'a pas fait l'objet d'une nomination. C'est très anxiogène pour eux", explique sa mère Florence. Dans cette classe de première, la moitié des élèves n'ont également pas de prof de SES, leur enseignement de spécialité. "J'ai pensé à inscrire ma fille au Cned [Centre national d'enseignement à distance] pour faire du français. Mais ils ne peuvent la préparer qu'à la méthodologie, et pas aux œuvres en elles-mêmes", détaille-t-elle.
"Ce n'est pas aux familles de payer l'enseignement dont les enfants doivent bénéficier."
Florence, parent d'élève dans l'Ainà franceinfo
Déjà l'année dernière, une pétition de parents d'élèves avait circulé pour protester contre la pénurie de professeurs dans ce lycée, comme franceinfo a pu le vérifier. "On a la particularité d'être une région transfrontalière avec la Suisse, le coût de la vie est très élevé, surtout au niveau du logement. Il faut que les profs qui s'installent chez nous obtiennent une prime à la vie chère, comme en région parisienne", milite Florence.
Philippe : "On fait trois allers-retours par jour"
En Guadeloupe, à Saint-Louis de Marie-Galante, il manque à Lisa "les professeurs de français, anglais, espagnol et SVT", liste Philippe. Ce père de famille le souligne : vivre aux Antilles "a ses aspects compliqués. Nous sommes sur une île au large de la Guadeloupe. On cumule les problèmes, car s'il manque des profs partout en France, ils sont encore moins motivés à venir travailler dans ces endroits", constate Philippe. Il assure que, "pour deux ou trois" de ces enseignants absents, "le rectorat était au courant dès la fin de l'année dernière".
Philippe ajoute qu'il manque, dans ce collège, deux surveillants sur quatre et un CPE. "Les élèves ne peuvent pas être surveillés, donc ils jouent dans la cour. Avec ma compagne, parce que nous travaillons à notre compte et que l'on n'habite pas loin du collège, on s'arrange pour la prendre à la maison dès que possible", explique celui qui fait "jusqu'à trois allers-retours par jour". Pour éviter de grosses carences d'apprentissage, Philippe songe à faire suivre à Lisa, qui est en quatrième, des cours de renforcement privés. "C'est compliqué, il faut trouver des personnes compétentes sur place. Pour l'instant, on essaye de boucher les trous avec des exercices trouvés sur internet", restitue-t-il.
Loutfi : "J'envisage de le mettre dans une école privée"
Rayane est entré en CE2, à l'école élémentaire des Grésillons B, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Depuis la rentrée, il a déjà eu "trois remplaçants différents", déplore son père Loutfi. Son enseignant initial est en congé longue maladie. Certains jours, lorsque personne ne pouvait assurer le remplacement, lui et ses camarades ont été "dispatché" dans d'autres classes. "Un mardi, j'ai fini par le prendre à la maison avec moi. Je suis en congé paternité, ça m'a permis de le garder. Je n'ai pas de garantie sur le travail que fait mon fils quand il est dans une autre classe, je ne veux pas que ce soit la garderie", explique Loutfi.
"Pour moi, c'est comme s'il n'avait toujours pas fait sa rentrée. Il a déjà des difficultés sur les résolutions de problèmes en maths. Je suis très inquiet."
Loutfi, parent d'élève dans les Hauts-de-Seineà franceinfo
"Les enfants sont en pleine construction et on accentue les difficultés en leur mettant un adulte différent en face d'eux tous les jours", s'indigne celui qui réclame un remplaçant sur la durée. Jeudi 14 septembre, plusieurs parents d'élèves et enseignants de l'école se sont rassemblés devant les locaux de l'inspection de l'Education nationale, dans la troisième circonscription de Gennevilliers, pour obtenir un rendez-vous. Selon Loutfi, certains ont finalement été reçus vendredi, mais aucune réponse concrète n'a été apportée pour débloquer la situation. "J'envisage de le mettre dans une école privée ou de lui faire faire cours à domicile" l'année prochaine, assume ce père de famille.
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