Professeurs non remplacés : Emmanuel Macron peut-il vraiment tenir sa promesse de pallier toutes les absences dès la rentrée prochaine ?

Article rédigé par Lucie Beaugé, franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Une salle de classe à Paris, le 14 avril 2023. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)
Alors qu'un collectif de parents d'élèves vient de lancer une deuxième action en justice contre l'Etat sur ce sujet, l'objectif du chef de l'Etat, à l'horizon de la rentrée prochaine, semble inatteignable.

Des salles de classes vides et la craie sur le rebord du tableau. C'est l'illustration de ce que dénoncent les parents d'élèves du collectif #OnVeutDesProfs, mécontents du non-remplacement d'enseignants et des heures de cours perdues pour leurs enfants. Ils viennent de lancer, lundi 22 mai, une deuxième action collective en justice contre l'Etat. Le sujet est loin d'être nouveau : depuis 2009, le site Ouyapacours, lancé par la FCPE, recense les cours qui sautent, faute de professeurs pour les assurer. 

Ces dernières semaines, Emmanuel Macron a fait de cette carence éducative son cheval de bataille. Lors d'une interview télévisée sur France 2 et TF1 le 22 mars dernier, le chef de l'Etat a promis que les professeurs absents seront remplacés "du jour au lendemain" à partir de la rentrée prochaine. Il a réitéré cette promesse lors d'une allocution le 17 avril. Pour concrétiser cet engagement, il a notamment annoncé la mise en place d'un "pacte", qui prévoit jusqu'à 500 euros net supplémentaires par mois pour les professeurs qui acceptent de s'engager dans de nouvelles missions.

Parmi ces missions, figurent notamment les "remplacements de courte durée". Mais pourront-ils vraiment pallier "les emplois du temps à trous qui pourrissent la vie des élèves et des familles", comme l'affirme le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye ? Relever ce défi semble difficilement réalisable, tant les bases du système actuel sont fragiles et les réticences des enseignants nombreuses.

80% des absences de courte durée non remplacées

Pour comprendre ce que l'exécutif espère idéalement combler, il faut se pencher sur l'organisation du remplacement des professeurs en France. Dans le premier degré, les personnels titulaires remplaçants peuvent être mobilisés dès la première demi-journée d'absence d'un enseignant. Dans le second degré, tout dépend de la durée. Au-delà de 15 jours, les remplaçants titulaires ou les contractuels peuvent être appelés. En cas d'absence inférieure à 15 jours, le chef d'établissement peut faire appel aux collègues de l'enseignant absent, rémunérés en heures supplémentaires. C'est précisément sur ce point que le gouvernement souhaite faire évoluer les règles. 

>> Education : une journée de recrutement de professeurs contractuels à l'académie de Versailles

Alors que le remplacement en interne existe déjà, le "pacte" présenté par le ministère intègre une nouveauté : si le professeur s'engage, il devra obligatoirement assurer 18 heures de remplacements. Jusqu'à présent, les enseignants pouvaient choisir ce nombre d'heures. Mais l'heure supplémentaire sera désormais payée 69 euros au lieu de 45 euros, a précisé Pap Ndiaye, qui table sur "un petit tiers de volontaires". Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, le principal syndicat des proviseurs, estime que "tout ne pourra pas être couvert".

"Il faut être honnête : le remplacement de courte durée, on le fait déjà très peu."

Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa

à franceinfo

"Si un prof appelle à 7h30 pour signaler son absence, il n'y a personne devant la classe à 8 heures", explique d'expérience Bruno Bobkiewicz. Selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2021, 80% des absences de courte durée dans le second degré ne sont pas remplacées. Un chiffre qui permet de mesurer l'ampleur de la tâche à laquelle tente de s'atteler l'exécutif. D'autant que, pour y parvenir, il faudra d'abord convaincre 130 000 enseignants du second degré (soit le tiers des effectifs du public) de travailler davantage contre une meilleure rémunération.

"Travailler plus pour s'épuiser plus"

Ce "pacte" mis en place pour les enseignants revient à "travailler plus pour s'épuiser plus", juge au micro de franceinfo Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des enseignants du secondaire. "Pour un prof, assurer ses propres heures de cours demande déjà beaucoup de travail" en dehors de la salle de classe, rappelle Bruno Bobkiewicz. Selon une note d'information du ministère, la moitié des enseignants à temps plein déclare travailler au moins 43 heures par semaine. 

Pour Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa, syndicat d'enseignants du premier et du second degré, "le fait de s'engager 18 heures" freinera bon nombre de professeurs. "Il devrait y avoir la possibilité de couper en deux, un quota de 9 heures serait plus facile à distribuer", estime ce représentant syndical. Comme l'Unsa, la Sgen-CFDT n'est pas contre le remplacement en interne, mais des ajustements doivent être mis en œuvre. "C'est un levier intéressant, mais cela doit se faire par des compensations horaires, comme enlever une heure de classe au prof sur l'année", juge Antoine Laniray, secrétaire général académique (Lyon).

>> Education : fatigués, en colère, voire déprimés, seuls 22% des enseignants recommanderaient leur métier aux plus jeunes

Outre la fatigue engendrée par ces potentiels remplacements, le risque est également pédagogique. "Le professeur d'anglais va remplacer le professeur de mathématiques, non pas pour faire des mathématiques, mais pour faire de l'anglais", a expliqué Pap Ndiaye. Selon Jérôme Fournier, le remplacement doit avant tout être assuré par "un enseignant de la même classe", qui connaît les élèves. "Peut-être que les enfants auront un nombre d'heures suffisant, mais ils ne l'auront pas dans chaque matière", avertit Fatna Seghrouchni, cosecrétaire de la fédération SUD Education (premier et second degré), un syndicat opposé à la totalité du "pacte" présenté par l'exécutif, qui ne permettra pas, en tout état de cause, de combler certaines heures "perdues".

Des chiffres trompeurs

Reste que, contrairement aux idées reçues, les professeurs n'explosent pas les chiffres d'absentéisme. Les deux tiers des absences n'en sont pas vraiment, car elles sont liées au fonctionnement de l'éducation nationale (voyages scolaires, formations...). "La proportion d'enseignants absents pour cause de maladie ordinaire sur une journée donnée est inférieure à celle des salariés du privé et des autres ministères", confirme la Cour des comptes. Pour autant, elle pointe une "médecine de prévention sous-dotée" dans ce ministère, avec "87 médecins pour 900 000 enseignants".

"On a un métier qui se complexifie et des collègues de plus en plus fragilisés. Il y a toute une prévention à revoir, notamment pour les jeunes professeurs, qui débutent souvent dans des établissements difficiles."

Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa

à franceinfo

Si Emmanuel Macron a choisi de se focaliser sur les remplacements de courte durée, des lacunes existent ailleurs. La Cour des comptes relève par exemple que "les absences de plus de 15 jours des enseignants sont remplacés à plus de 96%". Mais pour les 4% restants, combien de temps dure cette absence ? "Dans un lycée de l'Hérault cette année, une professeure de français a été absente sans être remplacée des vacances de février à celles de Pâques", rapporte Jérôme Fournier. Il estime surtout que le chiffre de 96% est "trompeur". "Les remplacements longue durée retenus par les rectorats correspondent, pour les arrêts maladie, aux collègues qui ont des arrêts de plus de deux semaines dès le départ. Cela ne comptabilise pas les professeurs qui ont des renouvellements d'arrêt d'une semaine", explique ce représentant syndical.

Un rapport de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp), paru en 2020, révèle également de fortes disparités sur le nombre de remplaçants en fonction des matières. La proportion de remplaçants est par exemple plus forte pour les disciplines littéraires (7,4% en arts plastiques) que pour les disciplines scientifiques ou professionnelles (3,3% en physique-chimie).

Des remplaçants qui prennent des postes à l'année

"On passe énormément par des contractuels, qui sont plus enclins à arrêter du jour au lendemain, notamment s'ils ont reçu une meilleure proposition ailleurs", explique Antoine Laniray. Où sont passés les remplaçants titulaires ? "On pioche parmi eux pour les mettre sur des postes à l'année. Du coup, ils ne sont plus disponibles pour remplacer les collègues", détaille Jérôme Fournier.

Dans le premier degré aussi, on peine à remplacer les instituteurs absents. En Bourgogne-Franche-Comté, Julie estime que 50% des absences des enseignants ne sont pas remplacées dans son établissement, rapporte France 3. A l'échelle nationale, la Cour des comptes indique, elle, que 80% des remplacements sont assurés dès le premier jour d'absence.

"Le 'pacte' se focalise sur le remplacement ponctuel de professeurs, mais c'est l'arbre qui cache la forêt (...) Il faut recruter."

Antoine Laniray, secrétaire général académique de la Sgen-CFDT

à franceinfo

La forêt en question, ce sont les classes dépourvues de professeurs dès le premier jour de la rentrée de septembre. "Ce que propose Emmanuel Macron est un cache-misère, abonde Fatna Seghrouchni. En Ile-de-France, il y a des classes où les élèves n'ont pas technologie depuis le début de l'année." Selon le SNUipp-FSU, 8 000 postes d'instituteurs sont à pourvoir en septembre prochain et un millier resteront vacants. Il manquera au moins autant d'enseignants dans le second degré, estime le Café pédagogique

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.