Tronc commun avec d'autres grandes écoles, discrimination positive : Frédéric Thiriez évoque les pistes de réforme de l'ENA
"Nous n'abandonnerons pas le principe du concours" car "nous recherchons toujours l'excellence" a déclaré l'avocat chargé par Emmanuel Macron de repenser le fonctionnement de la haute fonction publique.
L'avocat Frédéric Thiriez, chargé de la mission sur la réforme de la haute fonction publique, a estimé lundi sur franceinfo que "le système n'était plus adapté à une fonction publique moderne répondant aux besoins de nos concitoyens et des gouvernements". L'ancien président de la Ligue de football professionnel a évoqué plusieurs pistes de travail : "un tronc commun" entre les grandes écoles de la fonction publique et une "discrimination positive" sur le modèle de Science Po à Paris.
franceinfo : Pourquoi avoir accepté cette mission ?
Frédéric Thiriez : Si je n'avais pas senti cette volonté politique du président de la République et du Premier ministre, je pense que je n'aurais pas accepté cette mission. Il faut un certain courage pour se lancer dans une telle réforme alors je veux juste mettre les choses au point. Le président a parlé de suppression de l'ENA. Le président de la République été parfaitement clair, et le Premier ministre aussi dans ses interventions : il s'agit bien de supprimer l'ENA. Le président de République a toutefois ajouté, "supprimer pas pour supprimer, mais pour bâtir quelque chose de nouveau". Autrement dit, il ne s'agit pas de détruire, il s'agit de construire.
Pourquoi est-il urgent de supprimer l'ENA ?
Nous ne sommes plus en 1945. La France a changé. Le monde a changé. L’État s'est transformé avec la décentralisation, la construction de l'Europe avec les nouveaux défis technologiques, les défis climatiques. Ce système n'est plus adapté à une fonction publique moderne répondant aux besoins de nos concitoyens et des gouvernements. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. L'ENA a eu des mérites remarquables. Par exemple, nous avons une fonction publique qui est à un très bon niveau, qui atteint un niveau d'excellence et nous avons de hauts fonctionnaires et des magistrats qui sont des gens intègres, loyaux et très dévoués au service public bien qu'ils soient payés beaucoup moins que dans le privé.
Quelles sont les pistes de réforme prioritaires ?
La haute fonction publique est de moins en moins représentative de la société française. Il n'est pas normal qu’à l'ENA et à Polytechnique aussi d'ailleurs, d'avoir à peu près 80% d'enfants des classes supérieures. Deuxième problème, la haute fonction publique est de plus en plus cloisonnée. Le général de Gaulle en 1945 voulait créer l'ENA pour former tous les hauts fonctionnaires de la République. Mais depuis qu'est-ce qui s'est passé ? Un nombre d'écoles invraisemblables, j'en ai compté huit, se sont créées et forment elles aussi de hauts fonctionnaires. Les directeurs territoriaux, les directeurs d'hôpital, les magistrats, les commissaires de police, les ingénieurs des ponts... Ça crée un cloisonnement qui ne permet pas une culture commune du service public. Il faut que tous ces gens-là se rapprochent, peut-être dans une école commune, peut-être dans un tronc commun.
À quoi ressemblera le haut fonctionnaire de demain ?
Le haut fonctionnaire faisait jusqu'à présent essentiellement de la norme. Il écrivait des projets de loi, des projets de décrets, des circulaires. Aujourd'hui, ce n'est plus ça, la culture. Il s'agit pour un haut fonctionnaire de conduire le changement. Ce qui suppose d'autres qualités de management, d'écoute, d'imagination, de création. Tout ça, on ne l'apprend pas aujourd'hui dans les écoles.
Est-ce que vous êtes favorable par exemple à de la discrimination positive comme a pu le faire Sciences Po à Paris ?
C'est également un des gros chantiers sur lesquels nous travaillons. Le président a été impressionné à juste titre par le système de Sciences Po avec les conventions ZEP. La question est de savoir comment on peut transposer cela au niveau du recrutement des hauts fonctionnaires. Une chose est certaine. Nous n'abandonnerons pas le principe du concours. Il faut que ce soit très clair. Nous recherchons toujours l'excellence, les meilleurs pour le service public donc il y aura un concours de toute façon. La question est : peut-il y avoir une forme de concours aménagé, de concours spécial ? Je dis pourquoi pas.
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