Rentrée anticipée pour les élèves en difficulté : quatre questions qui se posent après l'annonce d'Emmanuel Macron
Les vacances nuisent-elles aux apprentissages ? Oui, si elles sont trop longues, soutient Emmanuel Macron. Dans un entretien au magazine Le Point publié mercredi 23 août, le président de la République juge une nouvelle fois qu'"il y a trop de vacances" et que "les inégalités se recréent" en partie durant ces périodes de repos. Seize semaines par an, dont huit l'été, sont actuellement accordées aux écoliers français. "Les élèves qu'on aura évalués, et qui en auront besoin, il faut qu'on puisse les faire rentrer dès le 20 août pour leur permettre de faire du rattrapage", a ainsi déclaré Emmanuel Macron. Le chef de l'Etat avait déjà demandé fin juin à son gouvernement de travailler à une refonte des vacances d'été et du temps scolaire sur l'année, après une visite à Marseille au cours de laquelle il avait fait part de sa volonté de "rouvrir le débat" sur ce sujet. Franceinfo fait le tour des questions qui se posent à propos de cette rentrée avancée.
Quels élèves seraient concernés ?
Ni Emmanuel Macron, ni le gouvernement, n'ont pour le moment apporté de précisions à l'idée ébauchée par le président auprès du Point. Pour l'heure, on ignore donc quels seront les élèves concernés par cette rentrée anticipée. Le chef de l'Etat a seulement glissé qu'ils seraient "évalués". Mais le dispositif sera-t-il proposé partout en France, ou uniquement dans certains établissements ? Contacté par franceinfo, le ministère de l'Education nationale explique que le ministre, Gabriel Attal, donnera des détails lors de sa conférence de presse de rentrée, lundi 28 août. Toutefois, "en lien avec ce qu'il a déjà esquissé à Marseille, on comprend que cela concernera uniquement les élèves des quartiers les plus en difficulté", relève auprès de franceinfo Jérôme Fournier, secrétaire national du syndicat enseignant SE-Unsa. Dans la cité phocéenne, le président a en effet déjà annoncé que les collèges de quartiers d'éducation prioritaire accueilleront progressivement leurs élèves de 8 heures à 18 heures, notamment pour permettre une meilleure prise en charge des devoirs.
Le dispositif est-il nouveau ?
"Des milliers et des milliers d'enfants sont dans les établissements scolaires" l'été, rappelle à franceinfo Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraire de l'Education nationale. "Lionel Jospin a créé, en 1991, l'école ouverte. Sur la base du volontariat, des enfants viennent à l'école durant les vacances d'hiver, de printemps ou d'été pour du renforcement scolaire, des activités sportives, culturelles...", souligne cet ancien numéro 2 de l'Education nationale, sous François Hollande. Ce dispositif, qui prend désormais le nom de "vacances apprenantes", "s'adresse en priorité aux jeunes, dès l'école élémentaire, qui vivent dans des zones urbaines et rurales défavorisées", selon le site officiel Eduscol.
Peut-il être généralisé ?
Si cette rentrée anticipée des élèves en difficulté se généralise, ou qu'elle devient obligatoire, "il va falloir trouver des ressources", estime au micro de franceinfo Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN). Et notamment des professeurs ou du personnel pour accompagner les élèves. Or, 18,8% des places ouvertes à la session 2023 des concours de professeur des écoles n'ont pas été pourvues. La situation est la même pour 16,6% des postes dans le second degré, selon les calculs de franceinfo.
"Le métier est extrêmement compliqué, les enseignants sont épuisés : ils ont aussi besoin de vacances. Cela ne pourra marcher que si ce sont des professeurs volontaires [comme c'est déjà le cas avec les vacances apprenantes], et ils le seront d'autant plus si on les revalorise et que l'on considère mieux leur travail", juge Jean-Paul Delahaye. Jérôme Fournier rappelle en outre que "le 20 août, la plupart des profs sont déjà en train de préparer la rentrée, à la maison". Avancer la rentrée les obligerait donc à se pencher sur leurs cours encore dix jours plus tôt. "Cela n'est pas le cas de tous, bien sûr, mais il ne faut pas oublier que cette durée des vacances peut être une motivation lorsque l'on devient enseignant", ajoute auprès de franceinfo la sociologue Marie Duru-Bellat.
Du côté des parents d'élèves, ce dispositif pourrait être synonyme de casse-tête. "Comment va-t-on s'organiser dans une fratrie avec un enfant devant rentrer plus tôt que ses frères et sœurs ? Comment fera-t-on dans les familles recomposées ?", s'interroge Grégoire Ensel, président de la FCPE.
Est-ce efficace pour lutter contre les inégalités scolaires ?
C'est un point de crispation, puisque les enseignants craignent un aspect contre-productif. Si elle devient obligatoire, la proposition d'Emmanuel Macron "semble être une punition pour les élèves déjà en difficulté", regrette au micro de franceinfo Guislaine David, cosecrétaire générale et porte-parole du syndicat d'enseignants SNUipp-FSU. "On ne peut pas imaginer qu'il y ait un calendrier scolaire différent pour les uns et les autres en fonction des résultats. En plus d'être pénalisant, c'est extrêmement stigmatisant, car c'est considérer que tous les élèves ayant des résultats scolaires faibles ne travaillent pas", s'insurge Jérôme Fournier.
L'autre risque, selon ce représentant syndical, est de "laisser penser que les parents issus de milieux défavorisés sont responsables du décrochage scolaire de leur enfant". Il ne faut pas oublier que l'été est "un temps de construction de soi, un temps pour la famille, un temps pour vivre autrement en collectif", souligne Grégoire Ensel, qui ajoute que ces vacances permettent des "retrouvailles" très attendues, notamment pour les enfants dont les parents sont séparés.
Pour Jean-Paul Delahaye, la mesure est "efficace parce qu'elle fait l'objet d'un dialogue entre l'école et les familles". "Il faut absolument présenter ça de façon positive et volontaire", ajoute l'ex-directeur général de l'enseignement scolaire. La sociologue Marie Duru-Bellat, elle, souligne qu'il serait "malin d'organiser des révisions collectives, et donc que tous les élèves français" rentrent une semaine plus tôt. "On pourrait imaginer que les 'bons élèves' viennent en aide à ceux qui sont en difficulté. Cela serait aussi un apprentissage pour eux", propose-t-elle. Alors que l'annonce d'Emmanuel Macron tombe en pleine canicule, Jérôme Fournier s'interroge sur la capacité de l'école à accueillir les élèves plus tôt dans l'été : "Les établissements ne sont pas adaptés pour résister à de fortes chaleurs comme ça. Travailler, oui, mais dans quelles conditions ?"
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