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Apparition du pronom "iel" dans Le Robert : "C'est un peu surprenant qu'il entre déjà dans un dictionnaire", s'étonne un linguiste

Ce pronom, qui fait référence à une personne ne se reconnaissant pas dans un genre binaire, a fait son entrée au mois de novembre dans la version en ligne du célèbre dictionnaire.

Article rédigé par franceinfo
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Un homme consulte un dictionnaire Le Robert, à Paris, le 12 mai 2019 (illustration). (MATTHIEU DE MARTIGNAC / MAXPPP)

L'entrée du pronom "iel" dans Le Robert fait polémique. Après des critiques du député LREM François Jolivet mardi 16 novembre, soutenues par le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer, le directeur général des éditions du dictionnaire a défendu mercredi l'entrée de ce mot dans la version en ligne il y a quelques semaines. Ce pronom vise à désigner, selon la définition du Robert, "une personne quel que soit son genre"

"C'est un peu surprenant qu'il entre déjà dans un dictionnaire", a réagi sur franceinfo Mathieu Avanzi, maître de conférence et chercheur en linguistique à la Sorbonne. "On ne sait pas s'il va vraiment rentrer dans l'usage", note le linguiste qui pense que "les locuteurs finiront par faire ce qu'ils ont envie" avec ce pronom.

franceinfo : Quand ce pronom est-il apparu ?

Mathieu Avanzi : Les données que nous avons ne nous permettent pas de remonter exactement aux premières sources. Le pronom a commencé à faire vraiment parler de lui au début des années 2020. On soupçonne que c'est apparu avec le coming-out de l'acteur canadien Elliot Page, qui s'est revendiqué non-binaire. Depuis, on voit que le pronom gagne en ampleur mais il n'a gagné que certaines sphères de la société pour le moment. C'est surtout sur les réseaux sociaux, sur le Web, mais également tous les écrits électroniques, comme les communications par téléphone, Whatsapp ou SMS. On le retrouve donc sous plusieurs formes. On ne le retrouve pas en revanche dans d'autres espaces comme la presse ou la télévision. Enfin, à l'oral, on l'entend très peu.

Le français est une langue vivante. Alors que la défense des minorités devient une priorité, cette mise à jour devenait-elle nécessaire ?

Disons que c'est assez surprenant de la part du Robert, qui fait office de guide et de référence, d'avoir pris la décision aussi rapidement. D'habitude, les lexicographes et les lexicologues qui travaillent pour Le Robert sont beaucoup plus prudents aux effets de mode et attendent que les mots entrent vraiment dans l'usage. On ne sait pas encore si "iel" va vraiment rentrer dans l'usage. On l'a signalé, notamment en raison des problèmes qu'il pose d'un point de vue grammatical : comment va-t-on fléchir certains adjectifs ou certains participes passés ? A l'écrit, c'est très simple, il suffit d'utiliser des points médians ou des doublets. A l'oral, c'est beaucoup plus compliqué, il y a des solutions proposées, mais cela va demander une révision totale du système des flexions adjectivales du français. C'est très difficile à appliquer et à mettre en place.

Le ministre de l'Education est contre. Il estime que l'écriture inclusive n'est pas l'avenir de la langue française. Quel est votre avis sur cette question ?

C'est très difficile de se prononcer pour ou contre, parce que les locuteurs, de toute façon, vont finir par faire ce qu'ils ont envie de faire. On essaie surtout d'éduquer les gens, de leur montrer d'où ça vient, pourquoi, quelles sont les revendications qu'il y a derrière et quelles sont les applications possibles ou impossibles par rapport à la langue. A partir de là, on peut voir si on l'intègre dans les grammaires et comment on peut l'expliquer aux jeunes enfants qui apprennent l'orthographe. Mais dire si c'est bien ou pas, c'est très difficile.

L'Académie française peut-elle décider quelque chose sur le sujet ?

L'Académie française est très conservatrice, il n'y a donc aucune chance qu'elle valide ce genre de pronoms. Aujourd'hui, le pouvoir de l'Académie française est beaucoup plus réduit que naguère. D'ailleurs, on voit que les dictionnaires comme Le Robert ont pris un peu le relais pour jouer ce vecteur normatif et décider ce qui est dans la langue et ce qui ne l'est pas. Les locuteurs s'en emparent par la suite. J'imagine que l'Académie française n'en fera pas grand-chose. Peut-être contestera-t-elle mais son avis reste relativement intimiste. Cette question se pose dans toutes les langues qui ont des genres féminins et masculins. En Amérique latine, les locuteurs sont beaucoup plus en avance et beaucoup moins normatifs qu'en Europe. Cette question de l'opposition binaire se pose et les locuteurs créent enfin des solutions. Ce qu'il va en rester est une autre question, et les linguistes veillent.

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