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Des policiers dans les écoles ? Trois questions sur la piste envisagée par le gouvernement pour lutter contre les violences scolaires

Christophe Castaner et Jean-Michel Blanquer, respectivement ministres de l'Intérieur et de l'Eduction, ont évoqué "la possibilité d'une présence physique de forces de l'ordre" dans certains établissements de quartiers difficiles.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Deux policiers devant l'école primaire Thérèse-Roméo à Nice (Alpes-Maritimes), le 4 avril 2017. (MAXPPP)

Des forces de l'ordre pour assurer la sécurité dans certains collèges et lycées difficiles et pour encadrer des élèves exclus dans des établissements spécialisés. Ce sont les pistes de travail des ministères de l'Intérieur et de l'Education pour enrayer les violences scolaires, quelques jours après la polémique autour de la vidéo d'une enseignante braquée par un élève avec une arme factice à Créteil (Val-de-Marne). L'idée d'une présence policière permanente à l'école n'est pas nouvelle en France, elle est même déjà expérimentée à Nice depuis la rentrée. Mais la généralisation et la pérennisation de ce serpent de mer se heurte à plusieurs obstacles. Franceinfo fait le point sur ce qui a déjà été fait en la matière et sur ce qui pourrait être fait.

Des policiers dans les écoles, c'est courant ? 

Comme le souligne un rapport sur la sécurité à l'école (PDF) publié en 2017 par l'Institut national des hautes études de justice et de sécurité (Inhesj), "contrairement au monde nord-américain ou d'autres pays (Brésil, Israël…), où l'uniforme d'un policier à l'intérieur d'un établissement est communément admis, le monde scolaire français n'est pas prêt à confier le 'policing interne' des établissements scolaires aux forces de l'ordre". Malgré cette réticence culturelle, le partenariat entre l'école et les forces de l'ordre s'est développé dans les années 1990 pour renforcer la prévention sur certains sujets dans l'Hexagone, comme la sécurité routière, les addictions, le secourisme...

Il s'agissait alors d'interventions ponctuelles dans les classes. Pour aller plus loin, le département des Hauts-de-Seine, ancien fief électoral de Nicolas Sarkozy, a expérimenté la mise en place de permanences d'"officiers de prévention" dans les collèges. L'expérience a été lancée en 2005 par l'ancien chef de l'Etat quand il présidait ce département. Une fois élu président de la République, Nicolas Sarkozy a renforcé le dispositif en 2009 pour le voir s'étendre à l'ensemble des établissements qui connaissent des problèmes de sécurité. Comme l'expliquait alors Le Figaro, certains officiers ont eu "droit à leur propre bureau" au sein des collèges et "d'autres [assuraient] une simple permanence une à deux fois par semaine"

"Le dispositif a été abandonné car ces policiers se sont sentis sous-employés", explique à franceinfo Anne Wuilleumier, chercheuse à l'Inhesj et coauteure d'une étude menée entre 2013 et 2016 sur les rapports entre forces de sécurité et école. "Il ne se passait pas forcément quelque chose quand ils étaient là", ajoute-t-elle, précisant qu'aux Etats-Unis, le policier présent dans l'établissement scolaire est vite "tiré vers des fonctions logistiques d'animation et de prévention plus que de sécurité".

Une présence permanente est-elle possible ? 

Pour dépasser le simple rôle préventif des forces de l'ordre dans le monde éducatif, un correspondant sécurité/école a été mis en place mais il reste dans les commissariats et les gendarmeries. "Actuellement, les policiers interviennent sur réquisition des chefs d'établissement seulement lorsque des faits graves se sont produits", explique à franceinfo le secrétaire général d'Unsa police, Philippe Capon. "Ou alors ils font des patrouilles régulières aux abords de certains établissements, aux horaires d'arrivée et de départ des élèves."

Avec la vague d'attentats qui a secoué la France en 2015 et 2016, le souhait d'une présence permanente dissuasive au sein des établissements a refait surface. Depuis le mois d'avril, la ville de Nice, dont le maire est Christian Estrosi (Les Républicains), expérimente ainsi la présence d'un policier dans trois écoles élémentaires volontaires, et ce avec l'accord du ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer.

Christophe Castaner, le nouveau ministre de l'Intérieur, s'est lui-aussi dit favorable à "la présence physique des forces de l'ordre" notamment "dans les quartiers les plus difficiles", "à des moments de tension particulière dans la journée". Un objectif qui semble intenable en termes d'effectifs, selon les syndicats.

Avoir des policiers en permanence dans des établissements, c'est matériellement impossible. Avec 21,4 millions d'heures supplémentaires, les policiers travaillent déjà bien au-delà de ce qu'ils peuvent.

Philippe Capon

à franceinfo

Selon le secrétaire général de l'Unsa, il faudrait trois policiers par établissement, car "il est hors de question de laisser un collègue tout seul" : "cela fait trois policiers en moins sur la voie publique". "Nous n'avons pas les moyens en ressources humaines", confirme Benoît Barret, secrétaire national adjoint du syndicat Alliance

Aujourd'hui, à chaque problème de société, il faut un policier derrière.

Benoît Barret

à franceinfo

Un diagnostic partagé par les auteurs du rapport de l'Inhesj sur la sécurité à l'école : "La mise en place d'une 'force' spécialisée permanente supposerait la création de milliers d'emplois au sein de la gendarmerie et de la police nationale, option totalement insoutenable d'un point de vue budgétaire", écrivent-ils. En outre, "une action spécifique des polices municipales poserait le problème de l'insuffisance des moyens des petites communes qui ne pourront pas financer des postes permanents de policiers municipaux installés au sein des établissements scolaires à temps plein".

Que faire des élèves exclus ?

Evoquant la problématique des élèves exclus, Jean-Michel Blanquer a annoncé vendredi 26 octobre la création d'"établissements spécialisés pour les élèves qu'on a besoin de remettre sur les rails", avec notamment un encadrement policier ou militaire. Le ministre n'en a pas dit davantage, réservant ses explications pour le Conseil des ministres mardi prochain. "Pourquoi pas" mais "à condition de faire appel à des policiers réservistes ou de jeune retraités qui ont de l'expérience", répond Philippe Capon, soulignant là encore le problème des effectifs.

Cet encadrement des élèves exclus par des policiers existe déjà en France. "A Bordeaux, un partenariat a été signé entre l'académie et la direction départementale de la sécurité publique pour que ces élèves soient pris en charge au sein du centre de loisirs jeunes de la police nationale", indique Anne Wuilleumier. "Deux policiers s'en occupent et jouent un rôle d'éducateurs", précise-t-elle. Un dispositif similaire existe du côté de la gendarmerie. D'après la chercheuse, "la brigade de la prévention de la délinquance juvénile du Gard se déplace et organise des conférences restauratives avec l'élève, qui débouchent sur un suivi".

Ces dispositifs pourraient-ils être généralisés ? Pour Anne Wuilleumier, il est en tout cas urgent de sortir de "la sanction sèche" avec la simple exclusion, "inefficace et contre-productrice".

Dans le système scolaire canadien, il est prévu des espaces provisoires pour les élèves exclus ou avec d'autres problèmes.

Anne Wuilleumier

à franceinfo

En France, il n'existe pas de dispositif généralisé, au sein de l'Education nationale, pour accompagner ces élèves. "L'école française n'est pas équipée en ressources humaines pour faire de l'exclusion-inclusion après l'approche disciplinaire", poursuit Anne Wuillemier. 

Du coup, les élèves restent chez eux ou sont parfois pris en charge dans le cadre de dispositifs mis en place par les municipalités ou les départements, en partenariat avec les établissements. Un système disparate et inégal sur le territoire. "Il faut que la sanction fasse sens pour que la norme soit intériorisée sinon cela ne sert à rien", insiste Anne Wuillemier. Parmi les mesures évoquées vendredi, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a quant à elle "proposé de multiplier les travaux d'intérêt général dans les établissements scolaires, ce qui aura une forte valeur éducative".

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