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"Un incident dramatique mais exceptionnel" : pourquoi l'agression d'une professeure à Créteil n'est pas représentative des violences scolaires

Un élève du lycée Edouard-Branly a braqué une enseignante avec un faux pistolet et a ainsi relancé le débat sur les violences scolaires.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un élève du lycée Edouard-Branly de Créteil (Val-de-Marne) pointe une arme factice sur une professeure, le 18 octobre 2018. (SNAPCHAT)

Indignation politique, "plan d'actions" annoncé par le ministre, vague de témoignages d'enseignants sur les réseaux sociaux... L'agression d'une professeure, braquée par un élève avec une arme factice au lycée Edouard-Branly à Créteil (Val-de-Marne), a relancé le débat sur les violences scolaires. L'élève en question a été mis en examen et Jean-Michel Blanquer a promis de "rétablir l'ordre et l'autorité" dans les établissements. Selon Benjamin Moignard, membre de l'Observatoire international de la violence à l'école (OIVE) et maître de conférences à l'université de Paris-Est Créteil, il s'agit d'un fait "spectaculaire et violent mais très isolé". L'école d'aujourd'hui est-elle plus violente que celle d'hier ? Eléments de réponses.

Le nombre d'incidents graves est stable

La violence scolaire est mesurée depuis 2007 via une enquête annuelle intitulée Système d'information et de vigilance sur la sécurité scolaire (Sivis). Cet outil permet aux chefs d'établissement de faire remonter les incidents graves. Entre 2007 et 2017, date de la dernière enquête Sivis, leur nombre a peu évolué : il se situe autour de 14 pour 1 000 élèves durant une année scolaire.

Comme le rappelle un rapport sur la sécurité à l'école publié en 2017 par l'Institut national des hautes études de justice et de sécurité (INHESJ), il s'agit essentiellement d'atteintes aux personnes qui représentent environ 80% des faits déclarés. Arrivent en premier les violences verbales (42%), dont plus de la moitié sont dirigées contre les enseignants. Viennent ensuite les violences physiques – généralement entre élèves – qui représentent 30% des faits. Les autres violences constatées sont le racket, les atteintes à la vie privée et les violences à caractère sexuel. Mais aucune de ces dernières ne représente plus de 3% des faits.

S'agissant de ce qui s'est passé à Créteil, "c'est la première fois que j'ai écho d'un évènement de ce type-là en classe", souligne le sociologue Benjamin Moignard, qui travaille sur ces questions depuis quinze ans.

Il ne faut surtout pas en faire une règle. C'est un incident dramatique mais exceptionnel.

Benjamin Moignard

à franceinfo

"Ce type d'agression précis n'est pas fréquent heureusement. Ce qui est fréquent, ce sont les agressions verbales", affirme également Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (SNALC), sur franceinfo.

La violence est concentrée dans certains lycées

Ces chiffres de la violence scolaire mesurée par l'enquête Sivis sont néanmoins plus élevés dans les lycées professionnels, où ils ont connu une hausse de 2007 à 2013 pour finalement se stabiliser entre 24 et 25 incidents pour 1 000 élèves. Par ailleurs, 5% des établissements déclarent un quart des faits, soit autant que les 70% d'établissements les moins touchés par la violence, selon le rapport de l'INHESJ.

Cet incident à Créteil fait loupe sur les difficultés plus importantes des lycées professionnels et de certains établissements où se concentrent les problèmes.

Benjamin Moignard

à franceinfo

Les enquêtes de victimation, mises en place pour compléter les signalements d'incidents graves et pour mieux évaluer le climat scolaire, confirment cette tendance. Si 94% des élèves déclarent se sentir "tout à fait ou plutôt bien" dans leur établissement, selon le dernier sondage publié en 2017, ce taux est légèrement inférieur (92,5%) dans l'éducation prioritaire.

Les sanctions sont appliquées 

Dans l'affaire du lycée Edouard-Branly, le fait que l'enseignante ait attendu le lendemain pour aller porter plainte et semble plus lasse que paniquée devant son ordinateur a été taxé de "laxisme""Trop souvent dans le passé, il y a eu un certain laxisme, notamment parce qu'il y avait des politiques du chiffre pour essayer d'avoir le moins de conseils de discipline possible", a par exemple estimé le ministre Jean-Michel Blanquer, annonçant un nouveau "plan d'actions ambitieux" contre les violences visant les enseignants, dont un renforcement du lien de l'Education nationale avec la police et la gendarmerie.

Pour Jean-Rémi Girard, le président du SNALC, le problème est ailleurs : "On arrive en bout de chaîne et on est en train de se prendre dans la figure des problèmes économiques, sociaux, familiaux." 

Bien sûr, on peut mettre des choses en place dans nos établissements, mais le risque zéro n'existe jamais. On ne va pas fouiller les 1 500 ou 2 000 élèves de certains lycées à 8 heures.

Jean-Rémi Girard

à franceinfo

"On a déjà eu une dizaine de plans d'action ces dernières années et leur efficacité n'a jamais été démontrée", tacle Benjamin Moignard. Selon le sociologue, ils répondent toujours au même "triptyque" : "On recrute du personnel dédié ou on crée de nouveaux postes comme les assistants de prévention et de sécurité, on renforce la vidéosurveillance et on a quelques actions de formation très vite abandonnées." Quant à la collaboration avec les forces de l'ordre, "il est évident que la justice doit être saisie pour un certain nombre de faits violents. Mais il n'est pas nécessaire de judiciariser l'institution scolaire. On est déjà très bien outillés avec la loi actuelle et le Code de l'éducation", fait valoir le chercheur.

Et Benjamin Moignard de pointer une "augmentation très forte des exclusions temporaires depuis six ans", dont le médiateur de l'Education nationale se préoccupe régulièrement dans ses rapports annuels. "Dans chaque département d'Ile-de-France, on a un collège fantôme d'élèves exclus par jour (entre 400 et 800)", alerte l'universitaire. Une politique "contre-productive", selon lui, car elle "n'enraye pas le phénomène des micro-violences dans les établissements et ne règle pas le problème pour ces élèves poly-exclus".  Le lycéen filmé en train de braquer sa professeure risque, lui, une exclusion définitive. 

Les enseignants ont du mal à parler de leurs problèmes en classe

Sur Twitter, près de 20 000 messages ont été postés avec le hastag #PasDeVague pour dénoncer le silence de l'Education nationale face à ce type de violences. "On a coutume de dire qu'après l'armée, l'autre 'Grande muette, c'est l'Education nationale", ironise Benjamin Moignard. Et le chercheur d'ajouter : "Si les enseignants peuvent avoir des difficultés relationnelles avec leurs élèves, les enquêtes montrent qu'ils souffrent surtout des rapports avec leur collègues et leur hiérarchie."

Les enseignants se sentent seuls face à leur tâche car la notion d'équipe est très relative dans l'éducation française.

Benjamin Moignard

à franceinfo

"Depuis quelques années, quand en réunion les problèmes de violence, de manque de respect ou l'augmentation des incivilités sont évoqués, la réponse des chefs est de dire qu'il ne faut pas hésiter à muter, voire à changer de métier, car 'les élèves ont changé'", témoigne un enseignant sur Twitter. Un fatalisme décourageant pour nombre d'entre eux. "Il faut que le message passe à tous les échelons hiérarchiques. Il y a beaucoup de situations où des personnels vont hésiter à parler de leurs problèmes parce qu'ils savent très bien qu'ils risquent d'être jugés sur leur professionnalité s'ils se mettent à expliquer qu'ils ont des soucis dans leur classe", martèle le syndicaliste Jean-Rémi Girard.

"C'est sur le climat de la classe, de l'établissement, de la solidarité autour de l'équipe qu'il faut travailler", insiste pour sa part Stéphane Crochet, secrétaire général du SE Unsa, sur franceinfo. "L'enjeu essentiel, aujourd'hui, c'est comment on renforce l'accompagnement des enseignants dans la réalisation de leurs missions, notamment dans certaines zones et territoires abandonnés, où l'école est le dernier service public", résume Benjamin Moignard.

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