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À Sciences Po Grenoble, un an après des accusations d'islamophobie, le climat reste tendu

L'Institut d'études politiques de Grenoble a été secoué par des accusations d'islamophobie visant deux de ses professeurs en mars 2021. Un an plus tard, la sérénité peine à revenir au sein de l'établissement. 

Article rédigé par franceinfo, Noémie Bonnin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'institut d'études politiques (IEP) de Grenoble (Isère), le 3 mars 2022. (NOEMIE BONNIN / RADIO FRANCE)

"C'est anonymisé ?" La question immédiate de cet étudiant de l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble (Isère) est révélatrice. Au sein de cet établissement, les tensions liées à la polémique à propos de deux enseignants a du mal à retomber un an après les faits. Le 4 mars 2021, des affiches étaient en effet collées sur la façade du bâtiment : "Des fascistes dans nos amphis", "L'islamophobie tue", mentionnaient-elles. Deux enseignants y étaient nommément visés, les accusant ainsi directement d'islamophobie. Aujourd'hui, ces événements laissent un goût amer à de nombreux étudiants et professeurs. 

"L'ambiance est spéciale", poursuit prudemment cet étudiant de troisième année, qui estime que tout le monde ne peut pas s'exprimer librement. "Ce dont les gens ont peur, c'est de perdre leurs amis du jour au lendemain, de se retrouver seul. Beaucoup d'élèves craignent ça et ne veulent donc pas rentrer dans le débat et l'échange." 

Selon lui, le débat "n'est plus une habitude" dans l'établissement de 2000 étudiants. "Je ne peux pas vous affirmer qu'on va vous ostraciser mais je peux au moins vous dire qu'il y a un risque d'aller contre une doxa qui existe à Sciences Po." Certains étudiants ne sont pas d'accord et affirment que la parole est libre. D’autres encore regrettent que leur école soit étiquettée après ces polémiques. Beaucoup refusent tout simplement de répondre à franceinfo.

Une ambiance "délétère"

"C'est un constat de capitulation de la majorité des enseignants - qui sont des modérés - qui a laissé faire. La direction et les étudiants aussi", postule, pour sa part, Klaus Kinzler. Il est l'un des enseignants visés par les accusations d'islamophobie. Celui qui a depuis été suspendu - la direction lui reproche des "propos diffamatoires" - qualifie l'ambiance actuelle de "délétère", "pire qu'il y a un an", affirmant que les étudiants "ont peur" et que l'établissement "refuse de tirer les leçons" de la polémique. 

"C'est un institut où on fait de l'endoctrinement. Une minorité d'enseignants le font de façon éhontée et incroyable. Personne ne proteste, à un moment où on constate qu'on vit dans la peur."

Klaus Kinzler, professeur à l'IEP de Grenoble, suspendu de ses fonctions

à franceinfo

Klaus Kinzler a publié un livre le 2 mars, L'Islamo-gauchisme ne m'a pas tué, pour raconter sa version des faits. Il évoque un "microcosme pathétique, où on abolit la liberté et l'état de droit. On pense que tout va bien et que c'est comme ça qu'il faut faire." Il se dit convaincu qu'il existe cependant "un potentiel" à l'Institut d'études politiques pour "reconstruire" un nouvel établissement avec "les deux tiers" des enseignants. "Il faudrait pour cela qu'on se débarrasse des forces liberticides et idéologiques qui pensent que la science et l'idéologie doivent avoir partie liée." Selon lui, cela demande "du courage".

Des débats "vifs"

Certains enseignants réfutent ce portrait sévère dressé par Klaus Kinzler. "Les débats autour de la lutte contre les discriminations, la place de l'islam dans nos sociétés et l'identité française sont vifs. On le voit aussi au niveau national : cela crée des affrontements et des polémiques. L'IEP n'en est pas totalement extrait", temporise Simon Persico, professeur de sciences politiques. Il admet que le climat n'est pas totalement serein mais refuse de parler de peur.

"Les étudiants sont très politisés donc ils sont très intéressés par ces enjeux. Il y a des militants assez radicaux qui portent des positions fortes."

Simon Persico, professeur de sciences politiques à l'IEP de Grenoble

à franceinfo

Ces positions fortes engendrent selon lui des "débats assez violents". Il estime que la clé d'une meilleure ambiance passe par des débats plus apaisés : "Il faut garantir qu'on soit capable de débattre de manière sereine, en respectant des opinions adverses. On avait perdu cette sérénité et peut-être que cette crise va nous permettre de la retrouver." 

Un comité de personnalités nommé

Pour tenter d'apaiser cette atmosphère, l'IEP s'est doté d'un comité de personnalités, sorte de "conseil des sages". "Il faut remobiliser cette grande majorité silencieuse de gens qui sont raisonnables et attachés aux valeurs du débat et de l'échange scientifique pour montrer qu'ils sont au cœur de l'institution, pas les minorités agissantes et très vocales qui ont été à l'origine de la polémique", assure le politologue Olivier Costa, coordinateur de ce comité. 

Contrairement à certains étudiants, il juge que l'autocensure n'est pas le cœur du problème. "L'idée est que les gens s'impliquent de nouveau dans leur institution et comprennent qu'elle est composée en très large majorité de gens tout à fait raisonnables et aptes au dialogue. Seule une minorité est systématiquement dans des débats très clivés et violents." Une série de tables rondes sur la liberté et le débat sont notamment organisées, à destination des étudiants et des professeurs. Beaucoup aimeraient, avant tout, pouvoir passer à autre chose. Contactée, la direction de l'IEP n'a pas souhaité s'exprimer.

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