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Sciences Po Grenoble : on vous résume l'affaire de la suspension d'un professeur en cinq actes

Un professeur d'allemand de l'IEP de Grenoble a été mis à pied par la direction pour "des propos diffamatoires". Une décision contestée par le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez.

Article rédigé par Antoine Comte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'entrée de Sciences Po Grenoble (Isère), le 8 mars 2021. (JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP)

Avis de tempête à l'Institut d'études politiques (IEP) de Grenoble. Klaus Kinzler, un professeur d'allemand et de civilisation allemande, a été suspendu de ses fonctions pour quatre mois par la direction de l'établissement, mi-décembre. Accusé d'islamophobie en mars par des élèves de l'école, l'enseignant est aujourd'hui dans le viseur de l'IEP pour avoir tenu des "propos diffamatoires". Critiquant cette décision, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a annoncé, lundi 20 décembre, suspendre des subventions accordées par la collectivité à l'école grenobloise chaque année. Retour sur cette affaire en cinq actes.

1Fin 2020 : des échanges autour du terme "islamophobie"

Les premières tensions entre Klaus Kinzler et ses élèves remontent à la fin de l'année 2020. En novembre, l'enseignant échange des mails avec une professeure d'histoire à propos d'une journée de débats intitulée "Racisme, antisémitisme et islamophobie" organisée à l'IEP. Le terme "islamophobie" pose problème à ce professeur de civilisation allemande, car pour lui, il ne repose sur aucune certitude scientifique.

Des mails vindicatifs échangés officieusement avec sa collègue, Klaus Kinzler passe très vite à des publications sur son blog. Selon France Inter, il écrit notamment "ne pas beaucoup aimer cette religion" (l'islam) en ajoutant qu'elle lui fait "franchement peur, comme à beaucoup de Français". Il présente plus tard des excuses, reconnaissant "s'être emporté". Mais la colère de certains élèves de l'IEP grenoblois commence à monter.

2Le 4 mars 2021 : l'enseignant qualifié de "fasciste" par des élèves

Quatre mois plus tard, l'affaire prend soudainement une ampleur nationale. Le nom de Klaus Kinzler et de celui d'un autre enseignant sont placardés sur la façade de l'école, le 4 mars, accompagnés des mots suivants : "Des fascistes dans nos amphis. L'islamophobie tue." Une banderole que s'empressent alors de relayer sur les réseaux sociaux plusieurs syndicats étudiants, dont l'Unef.

La direction de l'IEP condamne "très clairement" les agissements de ses étudiants contre les deux enseignants. Une enquête pour "dégradation" et "injures publiques" est également ouverte par le parquet de Grenoble. Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, dénonce des "injures" et des "pressions" qui "n'ont pas leur place dans l'enseignement supérieur".

3Entre mars et décembre : un long bras de fer avec la direction

Sabine Saurugger, la directrice de l'IEP, affirme à l'époque à l'AFP que le professeur a été rappelé à l'ordre pour ses propos. Pour ne pas envenimer la situation, elle demande "à cinq reprises" à Klaus Kinzler de ne pas répondre aux sollicitations des médias, selon Le Figaro. "Si vous êtes sollicité·e·s par des journalistes sur ces actualités, renvoyez le mail ou le contact vers le service communication qui, en accord avec moi, donnera la réponse la mieux adaptée par rapport à la stratégie de communication qui a été choisie", écrit-elle aussi dans un mail adressé à l'ensemble du personnel.

"En tant que directrice et ton supérieur hiérarchique, je souhaite donc que tu ne répondes aux sollicitations des médias aux sujets des affaires internes à l'IEP", précise-t-elle directement à l'enseignant, toujours selon le quotidien.

Mais Klaus Kinzler n'écoute pas la consigne de sa direction et multiplie les interviews, début décembre, à Marianne, l'Opinion ou encore sur CNews. Trois entretiens très médiatiques dans lesquels le professeur d'allemand décrit l'IEP comme un institut de "rééducation politique", en accusant un "noyau dur" de collègues de défendre, selon lui, des théories "woke".

4Le 14 décembre : Klaus Kinzler est mis à pied

Ces sorties médiatiques ont fortement déplu à Sabine Saurugger. La directrice de Sciences Po Grenoble reproche à l'enseignant d'avoir tenu "des propos diffamatoires contre l'établissement dans lequel il est en poste ainsi que contre la personne de sa directrice" et d'avoir "gravement porté atteinte à l'intégrité professionnelle de ses collègues de travail".

Elle décide donc, par un arrêté du 14 décembre, de suspendre l'enseignant de ses fonctions pour une durée de quatre mois et annonce que le conseil de discipline de l'établissement sera saisi "dans les plus brefs délais". Une décision contestée par Klaus Kinzler et ses avocats qui dénoncent une chasse aux sorcières. Ces derniers estiment que leur client "a été contraint de prendre la parole afin de se défendre" après avoir été mis en cause "sur la place publique".

5Le 20 décembre : la région suspend les subventions à l'IEP

"Sciences Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une dérive idéologique et communautariste inacceptable", a réagi le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez."Ce n'est pas ma conception de la République : la région Auvergne-Rhône-Alpes suspend donc tout financement et toute coopération avec l'établissement", a tweeté lundi 20 décembre le président LR du conseil régional.

Un choix "politique" de l'ancien ministre que regrette la direction de l'IEP. Dans un communiqué daté de mardi et cité par France 3, elle assure que le soutien financier de la région – environ 100 000 euros par an – ne correspond pas à des subventions, "mais essentiellement en l'attribution de bourses aux étudiants". La direction de l'établissement grenoblois prie donc Laurent Wauquiez de "revenir sur sa décision dans l'intérêt des étudiants".

"L'IEP est un établissement républicain où on forme des jeunes hommes et femmes pour devenir des décideurs de demain. C'est un établissement où on respecte la laïcité, la plus stricte liberté d'expression et la liberté académique", a appuyé la directrice, interrogée par franceinfo. Sabine Saurugger rappelle aussi que "Laurent Wauquiez est membre du conseil d'administration de l'IEP de Grenoble depuis de longues années" et assure qu'elle serait "très heureuse" d'échanger avec lui sur l'évolution de l'établissement.

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