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Préhistoire : "Les femmes étaient vraiment les égales des hommes" dans certaines sociétés anciennes, explique une chercheuse

Selon la préhistorienne Marylène Patou-Mathis, il "faut déconstruire l'image qu'on a dans la tête" car la vie des femmes durant la préhistoire était "peut être moins dure que dans certaines régions actuellement". 

Article rédigé par franceinfo
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Marylène Patou-Mathis en mars 2018.  (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Marylène Patou-Mathis, préhistorienne, directrice de recherche au CNRS, auteure de L'homme préhistorique est aussi une femme chez Allary Editions, a affirmé lundi 17 mai sur franceinfo que "les femmes étaient vraiment les égales des hommes", dans la Préhistoire. "Il ne faut pas calquer le modèle de la société patriarcale que nous avons eu pendant des siècles sur ces périodes très anciennes", dit-elle. Selon la chercheuse, "les femmes étaient très actives" et "ont participé autant que les hommes" à la maîtrise du feu, à la réalisation des outils en silex et des peintures dans les grottes.

franceinfo : Quelle place avait la femme durant la Préhistoire ?

Marylène Patou-Mathis : La Préhistoire, ça fait rêver, il y a beaucoup de mythes autour de cela. Et on s'aperçoit, lorsqu'on fait un travail d'archéologue, que dans ces périodes-là, la vie des femmes était peut-être moins dure que dans certaines régions actuellement. Les peuples dont je parle, dans la période la plus ancienne, sont des chasseurs-cueilleurs, nomades. On prélevait dans la nature tout ce dont on avait besoin pour vivre. C’étaient des petits groupes de 40 à 50 personnes. En fin de compte, on constate qu'il n'y avait pas ces différences, avec des supérieurs, des inférieurs. Par exemple dans les sépultures, on n'a pas de tombes "riches", de tombes "pauvres". On a des femmes qui sont aussi considérées que les hommes. On s'aperçoit qu'au niveau du partage des tâches, c'était plutôt lié à la compétence. On avait une vision très sexuée du travail, on pensait jusqu'à il n'y a pas si longtemps que certains métiers étaient réservés aux femmes, et d'autres, aux hommes. Et là, on s'aperçoit que c'est plutôt lié à la compétence. On peut très bien imaginer – et on trouve maintenant de plus en plus de preuves – que les peintres à Lascaux étaient aussi bien des hommes que des femmes, puisqu'on a retrouvé des traces de mains de femmes dans des grottes ornées. On a retrouvé des femmes qui chassaient, ce n'était pas seulement la cueillette. On peut également imaginer qu'elles pouvaient aussi tailler des silex, parce qu'aucune preuve archéologique ne nous permet de dire que ceux qui ont taillé les superbes bifaces de la Préhistoire n'étaient que des hommes. Petit-à-petit, il faut déconstruire. C'est une image qu'on a dans la tête. Mais ces périodes sont très anciennes et il ne faut pas calquer le modèle de la société patriarcale que nous avons eu pendant des siècles sur ces périodes.

Il faut donc arrêter de s'imaginer, comme vous le dites, que la femme préhistorique passait son temps à balayer la grotte...

Cela peut faire sourire... Pourquoi se pencher sur le passé ? C'est très important. On dit toujours "l'homme préhistorique", mais il y a les femmes. Dans le processus de ce qu'on appelle l’hominisation, l’évolution vers nos sociétés, en fin de compte, les femmes ont autant participé que les hommes. Ce ne sont pas seulement les hommes qui sont les inventeurs de la maîtrise du feu, de la taille des outils, etc. Il y a une participation des deux sexes. Cela me paraît très important de montrer que la femme est présente non seulement dans l'Histoire, comme le montrent des collègues historiennes avec brio, mais aussi pendant cette période lointaine. Elles étaient aussi actives.

Comment se fait-il qu'on ait eu si longtemps qu'on est encore ces représentations-là qui perdurent ?

Il y a deux raisons. La Préhistoire, c'est une discipline qui apparaît au milieu du XIXe siècle, vers 1860, et en Europe. La société, à l'époque, est une société patriarcale où les femmes sont considérées, même au niveau de la loi, comme des mineures. Et bien sûr, les archéologues, les premiers préhistoriens vont être des hommes pendant très longtemps. Les premières préhistoriennes, c'est dans les années 1950, c'est relativement récent. Et ils vont calquer cette société sur leur vision des humains préhistoriques. Les femmes sont supposées rester à la maison ? Là, ils vont mettre les femmes dans la grotte. Et ensuite, au XXe siècle, les préhistoriens vont s'intéresser aux peuples chasseurs-cueilleurs comme les Aborigènes d'Australie, les Indiens d'Amazonie, etc. Et ils vont dire : chez ces peuples-là, on constate qu'il y a une division sexuée du travail. Les femmes pour la cueillette, les hommes pour la chasse. Sauf que c'est un biais méthodologique. Eux aussi ont eu une longue Histoire. On ne peut pas calquer le mode de vie de ces peuples-là sur ceux de la Préhistoire. C'est quelque chose, à mon avis, de terrible de penser que ces peuples-là n'ont pas d'Histoire. Eux aussi, pendant vingt mille ans, ont changé leur société, leur cosmogonie, même s'ils font encore de la chasse et de la cueillette. Il faut prendre un peu de recul. Et puis il faut enlever un cliché : la Préhistoire, c'est beaucoup de sociétés. On dit "la" Préhistoire, mais il y avait plein de sociétés différentes. Les structures sociales de chacune d'entre elles n'étaient pas identiques, elles ne pensaient pas toutes de la même façon. Je pense que dans certaines de ces sociétés, les femmes étaient vraiment égales des hommes. Je pense qu’il y avait beaucoup de sociétés matrilinéaires : on voyait qu'en fin de compte, l'enfant sort du ventre de la mère et le rôle des pères, à cette époque-là, n'était pas clair. Ce n'est pas du tout le versus du patriarcat, ce n'est pas le matriarcat. Dans les représentations, sur les parois des grottes ou les petites statuettes, là aussi on est dans le féminin : on a 80% à 90% des représentations d'humains que sont des représentations de femmes. Il y avait une place importante des femmes dans ces sociétés.

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