Cet article date de plus de six ans.

Salle de shoot à Paris, un an après son ouverture : "Des gens recommencent à se piquer dans la rue"

Un an après son ouverture à Paris dans le 10e arrondissement, l'unique salle de consommation de drogue de la capitale est fréquentée par quelque 200 usagers par jour. Les voisins, eux, dénoncent des nuisances. Franceinfo s’y est rendu.

Article rédigé par Anne Lamotte, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La salle de shoot du 10e arrondissement de Paris. (VOISIN / PHANIE)

Cela fait un an que la salle de consommation à moindre risque (SCMR), communément appelée "salle de shoot", a ouvert à Paris. Depuis douze mois, les toxicomanes peuvent ainsi se droguer en sécurité près de l'hôpital Lariboisière et de la gare du Nord, dans le 10e arrondissement. La salle connaît une fréquentation inattendue : on compte près de 200 passages par jour. Si les responsables de la structure estiment que le bilan est positif, certains voisins, eux, se plaignent de nuisances.  

Salle de shoot à Paris : "La salle m’a aidée quand je suis tombée enceinte" - Reportage d'Anne Lamotte

Gabrielle, 30 ans, est une habituée de la salle. Devant la structure, elle confie consommer du crack et du Skenan, un antalgique qui contient de la morphine, par inhalation ou par injection. Elle est une habituée du lieu : "C’est par période, mais en ce moment, j’y viens tous les jours." Elle avoue ne pas consommer moins, mais consommer mieux : "J’ai mis en application des choses que je savais déjà, mais que je ne faisais pas, par flemme ou par manque de moyens." Notamment, utiliser une lingette d’alcool propre, une seringue et une cuillère stérile, ou se laver les mains.

Un refuge pour parler, se reposer

La salle de shoot est une aide précieuse pour Gabrielle. Et pas seulement sur le plan de sa consommation : très vite, elle évoque un refuge où elle peut passer du temps avec des gens qui ne se droguent pas. Educateurs, assistants sociaux, infirmiers, médecins, soit une vingtaine de personnes avec qui elle peut discuter sans tabou ni jugements. "Ici, on me considère, dit-elle. Je peux facilement y rester l’après-midi. Beaucoup de gens ici passent toute leur journée dans cette salle sans consommer. Pour se reposer, ou alors j'en vois qui font des puzzles… Des trucs qu’on ne fait plus, normalement…"

"La salle m’a aidée quand je suis tombée enceinte, poursuit-elle. Et elle me soutient dans mes recherches d’appartements. Ils ont même accompagné un copain à moi qui voulait arrêter de consommer, jusqu’à la porte de l’hôpital." Un regret, toutefois : la salle n’ouvre que de 13h30 à 20h. "Le matin, c’est encore vachement problématique. On nous dit souvent 'Pourquoi vous n'allez pas à la salle ?' Mais elle est fermée…" Alors, Gabrielle, qui n’a pas de domicile fixe, part se droguer gare du Nord ou dans un parking, en évitant de le faire devant les gens, assure-t-elle.

"Il y a des gens qui recommencent à se piquer dans la rue"

"Cela s’est amélioré à un moment donné, mais c’est en train de se re-dégrader", regrette Leslie, qui habite à quelques pas de la salle de consommation. Elle est inquiète : "Il y a du deal dans la rue, des gens qui recommencent à se piquer dans la rue. Dans ma résidence, il y a des gens qui recommencent à vouloir entrer pour pouvoir se droguer alors que la salle est ouverte." Pourtant, la situation s’était améliorée avec l’ouverture de la salle, explique-t-elle. "Ça s'était bien calmé, et là on ne comprend pas pourquoi cela se re-dégrade. Ils ont été obligés de fermer les Autolib dans la rue d’à côté car ça servait à tout et à n’importe quoi. C’est quand même un peu dommage…"

>> A lire aussi. A Paris, la "difficile cohabitation" entre riverains et toxicomanes près de la salle de shoot de l'hôpital Lariboisière

Voilà pour le discours "soft", loin de celui tenu par le collectif "Stop salle de shoot", qui évoque un "enfer au quotidien". Un restaurateur affirme qu’il va devoir fermer son commerce : "C’est devenu intenable", s’insurge-t-il.

Du côté de l’association Gaïa, qui gère la salle de consommation, on concède encore des problèmes. Sa directrice, Elisabeth Avril, médecin, explique notamment qu’au début de l’année et pour des raisons diverses, des toxicomanes venus de Barbès, Château-Rouge et La Chapelle se sont regroupés autour de la salle. Elle assure qu’aujourd’hui, ils descendent un plus bas dans Paris, vers le quartier de Bonne-Nouvelle.

53 000 consommations de moins dans la rue

La solution consisterait, selon elle, à ouvrir notamment d’autres salles à Paris et en Ile-de-France. "Que ce soit Zurich, Francfort, Montréal, toutes ces villes se sont dotées d’un dispositif de trois, quatre, cinq salles. Notre région, de dix millions d’habitants, ne dispose que d’une seule salle. Donc ça tourne : aujourd’hui, c’est Strasbourg-Saint-Denis, Bonne-Nouvelle. Demain, ce sera un autre quartier… Les gens tournent en permanence." D’autant que cette première salle n’accueille pas les fumeurs de crack, qui représentent, selon la médecin, quelque 5 000 personnes dans le nord-est parisien. En attendant, elle promet que les maraudes de son association autour de la salle seront quotidiennes. Et elle tient à rappeler ce chiffre : en un an, dans cette unique salle à Paris, on compte plus de 53 000 consommations, dont environ 38 000 injections. Autant de moins dans l’espace public.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.