Fusillade à Marseille : "La drogue est un incendie qui couve à peu près partout sur le territoire", estime le journaliste Frédéric Ploquin
Un adolescent de 14 ans est mort et un enfant de 8 ans a été blessé au cours d'une fusillade à Marseille mercredi 18 août.
"La drogue est un incendie qui couve à peu près partout sur le territoire", a déclaré jeudi 19 août sur franceinfo Frédéric Ploquin, journaliste d’investigation, auteur entre autre de "Les narcos français brisent l'omerta" aux éditions Albin Michel. Interrogé après la fusillade mortelle de Marseille visant un point de guet, il souligne qu'"il y a une explosion des points de deals sur le territoire, pas seulement à Marseille" et qu'il y a une "accoutumance aux règlements de comptes". D'après lui, "il y a des armes en pagaille sur le territoire français" qui servent à entretenir "la loi du silence".
franceinfo : On a l'impression d'assister à une multiplication des fusillades sur fond de trafic de stupéfiants. Cette fois avec la mort d'un adolescent de 14 ans et cet enfant de huit ans blessé à Marseille, un cap a-t-il été franchi ?
Frédéric Ploquin : La drogue est un incendie qui couve à peu près partout sur le territoire, pas seulement à Marseille. Aujourd'hui on se focalise sur Marseille à cause de cet événement majeur, puisqu'il s'agit quand même de la mort d'un mineur. Mais ce n'est pas la première fois à Marseille. Je rappelle qu'il y a 11 ans maintenant, en novembre 2010, il y avait eu un raid à peu près similaire dans la cité du Clos la Rose et un jeune guetteur de 16 ans avait été abattu. Les types qui avaient mené ce raid cherchaient, comme cette nuit, à impressionner. Ils avaient continué à arroser ainsi un peu au hasard et avaient grièvement blessé un jeune de 11 ans. Donc non seulement les choses se répètent mais elles s'aggravent. Le feu couve partout sur le territoire et c'est extrêmement difficile pour la police de détecter la petite fumée qui va permettre d'intervenir. C'est pour cela que des renforts de police, sans doute, seront bienvenus à Marseille. Il y a une explosion des points de deal, vous avez un petit point de deal dans n'importe quel département, n'importe quel petit chef-lieu, et peut-être des règlements de comptes dont on ne parle pas forcément tous les jours. Il y a une espèce d'accoutumance aux règlements de comptes.
Ce qui frappe, c'est la présence d'armes de guerre. Les Kalashnikov s'achètent aussi facilement qu'un pain au chocolat, d'après le maire de Marseille. Est-ce cela, la réalité aujourd'hui ?
Effectivement, il y a des armes en pagaille sur le territoire français. Les différents réseaux qui ont été démantelés récemment montrent qu'il y a des alliances un peu contre nature au niveau du trafic d'armes, souvent entre des réseaux liés à l'extrême droite, des réseaux liés à des militaires, à des paramilitaires et des voyous. C'est une espèce de Sainte-Alliance contre nature, un mélange de passionnés d'armes et de gens qui veulent faire du pognon avec les armes et ils écoulent cela sur le territoire français. La France est un pays où il y a toujours eu énormément d'armes, cela ne s'est jamais calmé. Sauf que maintenant, il s'agit d'armes de guerre et non plus de fusils de chasse, et qu'elles arrivent entre les mains de petits jeunes.
Sait-on d'où viennent ces armes de guerre ?
Elles viennent de beaucoup d'endroits. Il y en a beaucoup en Libye en ce moment par exemple, et dans les Balkans, elles viennent énormément des pays de l'Est. En fait, elles viennent de tous les pays qui ont été en guerre finalement. Et je ne dirais pas qu'on se les procure comme des pains au chocolat, mais ce n'est effectivement pas très cher. Cependant, il faut aussi savoir s'en servir. Visiblement à Marseille, ils savaient puisqu'ils ont fait des dégâts énormes. Mais le but, c'est tout simplement de terroriser tout le monde. En semant la mort, on fait prospérer l'omerta, on fait en sorte que personne ne parle à la police. Parce que la police à ce stade va essayer d'identifier les deux individus qui étaient sur la moto. Si l'on se heurte à la loi du silence qui est entretenue à coups de Kalachnikov, cela va être extrêmement compliqué. Même si il y a 200 policiers en plus, il faut reprendre ces territoires en main.
Justement, il y a déjà eu plusieurs plans ces dernières années : le plan Marshall pour les banlieues sous Nicolas Sarkozy, le plan pour Marseille sous François Hollande porté par Jean-Marc Ayrault, et Emmanuel Macron parle de reconquête républicaine. Tous ces plans ont-ils plus ou moins échoué ?
Disons que pour la bataille contre la drogue est perdue. D'ailleurs, un policier me disait cette phrase récemment : on ne peut pas gagner la guerre contre la drogue. La drogue, c'est sans cesse retourner à la bataille, et des batailles vous allez en mener 10, 20, 30 par an. On ne peut pas dire un jour : "J'ai fait un plan, j'ai vaincu la drogue", ce n'est pas possible. D'autant que cela concerne les pays producteurs, les pays de transit et les pays de consommation. Dans ces trois zones, la drogue sème le chaos de la même manière avec sur le terrain, au niveau de la distribution, des personnes de plus en plus jeunes qui sont attirées par le fait qu'on peut gagner 100 euros par jour en faisant le guet, ce qui veut dire 3 000 euros par mois nets d'impôts, ce que gagnent finalement assez peu de gens dans ce pays. Donc, en dehors du fait de multiplier les policiers, il faut essayer d'offrir aussi à cette jeunesse une autre porte de sortie que de ressembler à Scarface, et de gagner beaucoup d'argent pour avoir des filles, des fringues et la belle vie. Ce n'est pas ça la vie. On le voit bien, c'est même la mort.
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