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Panthéon : le jour où Jean Zay a été assassiné par la Milice

Panthéonisé par François Hollande mercredi 27 mai avec trois autres résistants, l'ancien ministre de l'Education nationale du Front populaire était haï par l'extrême droite. La Milice l'exécute le 20 juin 1944, à la quasi-fin de la guerre.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le ministre de l'Education nationale du Front populaire, Jean Zay. (AFP)

Qui entre au Panthéon, mercredi 27 mai, en la personne de Jean Zay (1904-1944) ? Le ministre de l'Education du Front populaire de 1936, bien sûr, qui voulut démocratiser l'école et la culture, mais aussi l'homme persécuté parce que son père était juif, le radical incarcéré pendant toute la guerre et, enfin, le prisonnier extrait de sa cellule en juin 1944 pour être assassiné par la Milice.

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Retour sur ce jour-là et sur la signification de sa mort avec l'historien Olivier Loubes, auteur de Jean Zay, l'inconnu de la République (éd. Armand Colin) et Réarmer la République ! Jean Zay au Panthéon, essai d'histoire tonique (éd. Démopolis).

"Ils le font descendre de la voiture et le mitraillent"

"Le 20 juin 1944, raconte Olivier Loubes, des miliciens extraient Jean Zay de sa cellule à Riom (Puy-de-Dôme), sous prétexte de transfert à la prison de Melun. C’est un mensonge, une manipulation. En cours de route, ils lui disent même qu’ils sont résistants et qu'ils organisent son évasion. Mais, arrivés près de la commune de Cusset (dans l’Allier), ils le font descendre de voiture, le font marcher jusqu'à une crevasse appelée le Puits-du-Diable et le mitraillent. On ne peut même pas parler d'exécution puisqu'il n'y avait pas d'ordre d'exécution."

Très vite, la femme de Jean Zay, Madeleine, est persuadée que son mari est mort, malgré un courrier reçu le jour même et lui disant de ne pas s’inquiéter. Les trois miliciens ont pris toutes les précautions pour dissimuler leur crime. "Les assassins, relate le quotidien régional La Montagne, dépouillent le corps de ses vêtements, lui ôtent son alliance et le jettent dans le gouffre. Puis, à l'aide d'explosifs, ils provoquent un éboulement. Rentrés à Vichy, ils expliquent que des résistants ont libéré leur prisonnier, lors d'une attaque." 

Retrouvé en 1946 par des chasseurs, le corps n’a pu être identifié qu'en 1948 grâce au récit du seul auteur de l'opération retrouvé et jugé, Charles Develle. "C'est lui qui a raconté que Jean Zay, comprenant à qui il avait affaire, était tombé en s'écriant 'Vive la France !' explique Olivier Loubes. Son  témoignage – le seul que l’on ait – est assez crédible puisqu'il permettra d'identifier le corps de Jean Zay." Develle sera condamné en 1953 aux travaux forcés à perpétuité.

Campagne d'assassinats ciblés menés par la Milice

La Milice a pu opérer en toute impunité parce que son patron, Joseph Darnand, a été nommé en janvier 1944 à la tête du ministère de l’Intérieur. Forte de ses pouvoirs, cette organisation paramilitaire française mène jusqu'en juillet une campagne d’assassinats ciblés. Ils sont "obsédés par la volonté d'éliminer tous leurs ennemis", résume Olivier Loubes.  

Or, poursuit l'historien, "Jean Zay incarne toutes les figures détestées par l’extrême droite" : son père est d’une famille juive, sa mère protestante – lui-même est d'ailleurs protestant puisqu’il est baptisé, marié et enterré au temple d’Orléans – et il est franc-maçon, comme son père.

"Je vous Zay", écrit Céline

A cette haine antisémite s'ajoutent des motivations politiques puisque Jean Zay, député à 27 ans, ministre à 31, s’attire immédiatement des attaques considérables de l'extrême droite et, au-delà, de toute une partie de la droite, comme ministre de l’Education et de la Culture du Front populaire. 

"Avant-guerre, développe son biographe, il subit des campagnes extrêmement violentes de l’Action française qui le traite de 'juif corrupteur de la jeunesse'. Dans son pamphlet antisémite, L’Ecole des cadavres [1938], Céline va jusqu'à utiliser le nom propre de Jean Zay pour en faire un verbe sale. Dans un flot d’ordures, il écrit : 'Je vous Zay'."

Cette droite et cette extrême droite reprochent à l'ancien député radical (qui fut aussi le fondateur du festival de Cannes) d'avoir défendu la démocratisation sociale de l’éducation et de la culture.

Un bilan impressionnant de ministre de l'Education

Son bilan est impressionnant, expliquent les historiens Antoine Prost et Pascal Ory dans Jean Zay, le ministre assassiné 1904-1944  (éd. Tallandier). Réformateur tous azimuts, le ministre introduit des classes d'orientation qui préfigurent le collège démocratique d'aujourd'hui. Il crée des activités dirigées pour "donner un enseignement moins formel et plus proche de la vie", telle la classe promenade pour observer les plantes.

Ce défenseur du sport teste aussi en 1936-1937 "une réduction des horaires pour permettre deux demi-journées de trois heures consacrées aux activités physiques et aux loisirs dirigés". Etendue à 29 départements l'année d'après, cette expérience lui vaut, notent les auteurs, d'être taxé par ses détracteurs "de ministre de la Récréation scolaire". Il jette enfin les bases de ce qui deviendra le CNRS ou l'ENA.

"Le Drapeau", texte qui lui sera reproché toute sa vie

L'extrême droite, enfin, se déchaînera contre Jean Zay toute sa vie et après sa mort pour un poème écrit à 19 ans, Le Drapeau, un emblème qu'il qualifie de "torche-cul" ("Laisse-moi, ignoble symbole, pleurer tout seul, pleurer à grand coup / Les quinze cent mille jeunes hommes qui sont morts / Et n’oublie pas, malgré tes généraux, ton fer doré et tes victoires / Que tu es pour moi de la race vile des torche-culs").

Rédigé en 1924, rappelle Le Mondeà l’occasion d’un jeu littéraire d’étudiant, ce poème a été "incroyablement instrumentalisé", souligne Olivier Loubes. "Sur la forme, il s'agit d'un pastiche, un 'à la manière de". Sur le fond, ce 'drapeau' qu'il traite de torche-cul est celui du nationalisme guerrier, qui a coûté la vie à un million et demi de jeunes gens en 1914-1918, pas celui de la patrie républicaine." 

Mais ce texte de jeunesse, conclut-il, "était idéal pour l’extrême droite des années 1930. Il a servi à dire : 'Vous voyez, cet homme qui veut qu’on fasse la guerre contre Hitler ? En fait, dès l’âge de 19 ans, il crachait sur le drapeau. Donc il ne veut pas faire la guerre contre le fascisme pour servir les intérêts de la France, mais pour ceux des juifs, des francs-maçons'." Aujourd'hui encore, des associations d'anciens combattants ont écrit à François Hollande pour que Jean Zay ne soit pas honoré au Panthéon. Où se trouve, pourtant, Jean Jaurès, assassiné pour avoir voulu s'opposer à la guerre.

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