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Comment les déboires d'un millionnaire sèment la zizanie dans un village ardennais de 38 habitants

La justice a prévu de mettre en vente à la fin du mois les biens détenus par un millionnaire belge dans le petit village de Williers.

Article rédigé par Vincent Matalon - Envoyé spécial à Williers (Ardennes),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le petit village de Williers (Ardennes), où plusieurs habitations doivent être mises aux enchères, le 20 mai 2016. (VINCENT MATALON / FRANCETV INFO)

"Si seulement on avait installé un péage à l'entrée du village avant le week-end, on serait riche !" Installée sur sa terrasse pour profiter de la douceur printanière de ce mardi 3 mai, Sylvie Lallement sourit jaune. Depuis quelques jours, cette ouvrière de production, installée à Williers (Ardennes) depuis plus de dix ans, observe le ballet des berlines haut de gamme, souvent venues de la Belgique voisine, qui défilent au pas dans l'unique rue goudronnée de la petite commune de 38 habitants.

Une demi-douzaine de maisons et un hôtel-restaurant à vendre

Vendredi, le quotidien local, L'Ardennais, a révélé que le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières allait bientôt mettre aux enchères une demi-douzaine de maisons du village, ainsi que l'hôtel-restaurant, Chez Odette. La plupart des bâtisses sont rénovées avec goût, et leur mise à prix promet d'excellentes affaires : 8 000 euros pour une maison, et 40 000 pour le restaurant.

Sylvie Lallement, elle, n'a pas été avertie de ce petit évènement par la presse. "J'ai appris la nouvelle il y a une quinzaine de jours, en me baladant en famille dans le bois juste à côté du village. Un avis officiel était placardé près de l'étang, en contrebas. Mais tout s'est accéléré quand la presse a publié l'affaire. Quand vous vous connectez sur Facebook et que vous lisez : 'Un village à vendre', forcément, ça fait parler."

Le café-restaurant "Chez Odette" de Williers, qui fait partie des lots mis aux enchères. (VINCENT MATALON / FRANCETV INFO)

En avoir parlé, c'est justement ce qui est reproché au maire de Williers, Michel Jamart. L'édile avait expliqué à L'Ardennais qu'il envisageait de faire valoir son droit de préemption sur les lots mis à prix, afin d'éviter que les maisons à vendre ne se retrouvent "entre les mains d’une société qui cherche ensuite à les louer".

Elu depuis 43 ans, le maire veut démissionner

Excédés par cette sortie médiatique, plusieurs élus ont claqué la porte du conseil municipal organisé quelques heures après la parution de l'article. Introuvable dans le village, c'est finalement au téléphone que nous finissons par réussir à contacter Michel Jamart. "Je ne veux plus m'exprimer sur ce sujet, on m'en a mis plein le dos lors du conseil", lâche-t-il excédé, avant d'assurer qu'il va "très, très prochainement" officialiser auprès des Ouiros, les habitants de sa commune, sa démission après 43 ans de mandat.

Une décision qui ne semble pas surprendre les riverains. "Williers est une sorte de petite république, où le conseil fait sa loi. Certains voulaient sans doute que les enchères restent aussi secrètes que possible pour mettre la main sur les maisons à bas prix", raconte un habitant qui ne souhaite surtout pas être reconnu, au point de s'emparer de notre stylo pour rayer son nom sur notre carnet de notes.

Si, à l'exception de Sylvie Lallement, tous les habitants interrogés ont tenu à rester anonymes, c'est que les lots mis aux enchères appartiennent encore à Didier Thiry, une figure du village avec laquelle personne n'a visiblement envie de se fâcher. Cet enfant de la région, qui a opté pour la nationalité belge à l'âge de 18 ans, a amassé une petite fortune dans le milieu de la nuit, du textile et de l'immobilier. Au cours de sa carrière, ce quinquagénaire a investi en Belgique, en France et au Luxembourg, mais également aux Etats-Unis et au Danemark.

Un divorce à 22 millions d'euros, et un rachat d'entreprise jamais réglé

Son nom est apparu dans la presse anglaise fin 2014, lors du divorce avec sa troisième femme, Alisa. Cette ancienne top model britannique avait déjà fait fortune après un premier divorce avec le créateur de la marque de vêtements French Connection. Elle obtient de la justice londonienne que Didier Thiry soit condamné à lui verser la modique somme de 22 millions d'euros. Une décision spectaculaire, qui "avait fait beaucoup jaser à l'époque dans le village", commente une habitante.

Mais si ses biens à Williers se retrouvent aujourd'hui mis aux enchères, c'est en raison d'une autre affaire, vieille de plus de dix ans. Accompagné d'un associé, le businessman rachète au milieu des années 2000 une marque de vêtements à une entreprise espagnole, sans régler sa part de l'addition, explique L'Ardennais dans un article publié mardi. Et après des années de procédures, le plaignant a obtenu de la justice la mise en vente des habitations que possède l'homme d'affaires dans la région pour récupérer son dû.

Contactée par francetv info, l'avocate parisienne qui pilote l'organisation des enchères détaille : 

Monsieur Thiry a été condamné une première fois par le tribunal de grande instance à verser 482 016,36 euros au plaignant. Cette décision a été confirmée par la cour d'appel de Reims en avril 2013, puis en cassation en septembre 2014. Fin janvier 2015, il devait s'acquitter de la somme de 487 513,36 euros, auxquels on peut ajouter environ 23 000 d'intérêts depuis.

Me Danielle Beaujard

à francetv info

"Tant que je n'aurai pas de chèque entre les mains, la vente sera maintenue"

Longtemps resté muet, Didier Thiry finit par sortir de son silence. Mardi matin, l'homme d'affaires contacte la presse locale, et fixe un rendez-vous devant Chez Odette, l'hôtel-restaurant mis en vente. A l'heure prévue, c'est une superbe Maserati noire avec chauffeur qui se gare devant l'église du village. Lunettes de soleil sur le nez, veste de costume sur les épaules, Didier Thiry s'extirpe de la banquette arrière. 

La vente publique n'aura pas lieu. Elle va être annulée d'ici quelques jours, car je vais régler les 527 000 euros nécessaires.

Didier Thiry

Didier Thiry, mardi 3 mai 2016 devant les caméras de France 3 Champagne-Ardennes. (VINCENT MATALON / FRANCETV INFO)

Devant les médias locaux, le volubile businessman au fort accent belge assure ne pas avoir été en mesure d'empêcher la vente plus tôt en raison d'un accès bloqué à ses comptes bancaires. La faute, explique-t-il, à des accusations de blanchiment d'argent et de fraude fiscale orchestrées depuis 2012 par son ancienne compagne.

Ces trois dernières années ont été un enfer, j'ai subi une véritable cabale !

Didier Thiry

"Parler dans la presse pouvait jouer contre moi car cette dénonciation était anonyme. Mais aujourd'hui, je suis blanchi de toutes ces accusations, et j'ai récupéré l'accès à mes comptes il y a un mois." Didier Thiry, qui annonce une contre-attaque judiciaire, promet de raconter sa vérité dans un livre qui sera "publié par une grande maison d'édition en septembre". Et souhaite continuer à investir dans ce village qui, s'il ne "pèse que 1% dans [ses] affaires", occupe une place particulière dans son histoire familiale, raconte-t-il avant de remonter dans son luxueux bolide.

En attendant, la vente aux enchères est toujours programmée le 20 mai à 9 heures au tribunal de Charleville-Mézières. "Tant que je n'aurai pas de chèque entre les mains, je maintiendrai la vente", prévient l'avocate parisienne en charge du dossier.

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