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Moisson de critiques après l'étude choc sur la toxicité des OGM

L'équipe du professeur Gilles-Eric Séralini a mené ses travaux dans le plus grand secret. Une précaution nécessaire selon certains, suspecte selon d'autres.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le professeur de biologie moléculaire Gilles-Eric Séralini (au centre), entouré de son équipe de chercheurs, dans un laboratoire, à Caen, le 18 septembre 2012. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

SANTE - Un thriller scientifique baptisé In Vivo. C'est ainsi que le Nouvel Observateur a présenté, en exclusivité, les résultats d'une étude "choc" sur les OGM, mardi 20 septembre. Pour étudier la toxicité du maïs NK603 et de l'herbicide Roundup, deux produits de la firme américaine Monsanto, l'équipe du professeur Gilles-Eric Séralini a travaillé en secret dans un laboratoire de Caen (Calvados). Selon deux anciennes ministres, cette précaution était justifiée. Mais plusieurs scientifiques remettent en cause les conditions dans lesquelles a été menée l'étude, et estiment que ses résultats sont sujets à caution. FTVi liste les arguments des deux camps.

Mails cryptés, étude leurre... La méthode de "In Vivo"

Tout commence en 2006 lorsque Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen et spécialiste des OGM, entreprend de récupérer des semences de maïs OGM NK603, "propriété brevetée de Monsanto". Objectif : mener une étude d'envergure sur 200 rats, pendant deux ans, quand la plupart des études sur les OGM ne dépasseraient pas trois mois. 

Le chercheur agit dans le cadre du Conseil scientifique du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique), qu'il a cofondé en 1999 avec Corinne Lepage, ex-ministre de l'Environnement, et Jean-Marie Pelt, un botaniste-écologiste français. L'association apporte les financements, à hauteur de 3,2 millions d’euros, avec l'aide, notamment, d'enseignes de la grande distribution (Carrefour, Auchan...). 

Les semences finissent par être récupérées, via un lycée agricole canadien. Elles débarquent, selon le Nouvel Obs, dans des "gros sacs de jute" sur le port du Havre fin 2007, puis sont transformées en croquettes alimentaires, destinées à nourrir les rats. Tout cela "dans le secret le plus total", écrit l'hebdomadaire. Jusqu'en 2011, les chercheurs s'interdisent toute discussion téléphonique, lancent une étude leurre et cryptent leurs e-mails. Le 19 septembre 2012, les résultats sont publiés dans la revue américaine Food and Chemical Toxicoly (article payant).

Une prudence justifiée, selon deux anciennes ministres 

Pourquoi Gilles-Eric Séralini a -t-il mené cette étude clandestinement ? "J'ai le souvenir cuisant d'avoir été espionné en 2007, lors de la publication de précédentes recherches concernant l'analyse critique des expertises de la firme Monsanto, répond-il à Ouest-France. Une critique de mes travaux avait été faite deux mois avant leur parution."

En 2002, Monsanto a été condamné pour avoir dissimulé, pendant plusieurs décennies, les effets néfastes d'un de ses produits. Il ne s'agissait pas alors d'OGM, mais de PCB (polychlorobiphényles), un polluant chimique. Comme le rappelle la journaliste Marie-Monique Robin dans son documentaire Le Monde selon Monsanto (2008), la firme américaine a dû verser 700 millions de dollars aux habitants d'Anniston, en Alabama (Etats-Unis).

Le siège de Monsanto à Saint-Louis, dans le Missouri (Etats-Unis). (JAMES A. FINLEY AP / SIPA)

Interrogée par Le Nouvel Obs, l'ancienne secrétaire d'Etat à l'Ecologie du gouvernement Fillon, Chantal Jouanno, se souvient par ailleurs du "ton menaçant" employé par le vice-président de Monsanto, venu la voir dans son bureau en 2007 au sujet de la clause de sauvegarde sur le maïs MON810. Quant à Corinne Lepage, elle soutient, auprès de l'hebdomadaire, que "Monsanto interdit que ses semences puissent être utilisées à des fins de recherche".

Un protocole remis en cause par certains scientifiques 

Inversement, le caractère secret de l'étude de Séralini peut être jugé suspect, à commencer – sans surprise – par Monsanto. "On aurait trouvé beaucoup plus crédible, de la part des auteurs, qu'avant de se répandre dans la presse avec des propos anxiogènes, ils se confrontent avec d'autres comités d'experts pour mesurer la robustesse de leur étude", a réagi le porte-parole de la firme.

De son côté, l'Association française des biotechnologies végétales soutient que "la dernière étude du Criigen n'est pas la première à avoir évalué les effets à long terme des OGM sur la santé". Le magazine Sciences et Avenir confirme : "Une étude coordonnée par Agnès Ricroch, chercheuse à AgroParisTech et publiée fin 2011, portait sur 24 études de toxicologie à long terme dont 12 transgénérationnelles. Cette méta-analyse incluait des travaux d’au moins deux ans et concluait à l’absence de risques pour la santé."

Certains scientifiques pointent également des imprécisions dans les données publiées par l'équipe française, comme la composition exacte du régime alimentaire des rats, dont le maïs OGM représentait 11%, et la quantité précise de nourriture ingérée. "Cette race de rat - les Sprague Dawley - est particulièrement sujette aux tumeurs mammaires lorsque les ingestions de nourriture ne sont pas contrôlées", note Tom Sanders, le directeur du département des sciences nutritionnelles au King's College de Londres (Royaume-Uni), cité par l'agence Reuters. 

Les tumeurs développées par des rats nourris avec du maïs OGM NK603 dans le laboratoire de Gilles-Eric Séralini, à Caen (Calvados).  (CRIIGEN /AFP)

Des interrogations autour de l'équipe de chercheurs 

De là à penser que les chercheurs français ont orienté leurs travaux, il n'y a qu'un pas que Tom Sanders franchit : "Il semble que les auteurs n'ont retenu que les chiffres qui les intéressent." Sur Slate, le journaliste et docteur en médecine Jean-Yves Nau rappelle que "Gilles-Eric Séralini et Joël Spiroux de Vendomois (coauteur de l'étude) sont deux spécialistes connus de longue date pour être opposés aux organismes végétaux génétiquement modifiés." La bande-annonce du film Tous cobayes, adapté du livre de Gilles-Eric Séralini à paraître le 26 septembre, a sans conteste des accents militants : 

Gérard Pascal, toxicologue à l'Inra (Institut national de recherche agronomique), s'étonne quant à lui, sur Sciences et Avenir, de l'absence de toxicologue dans l'équipe de Caen. Elle était en effet composée "de jeunes chercheurs, voire d'étudiants". Ce spécialiste des OGM réclame ainsi la création d'"une commission d’enquête sur le laboratoire dans lequel les expériences ont été faites".

En attendant, le professeur Séralini sera bientôt auditionné par les commissions du Développement durable, des Affaires économiques et des Affaires sociales de l'Assemblée nationale. Dans le Le Nouvel Observateur, il se défend d'être un anti-OGM par principe. "Je crois à la génétique ; je souhaite simplement que des garde-fous sanitaires existent. Dans notre affaire, je constate que les garde-fous n'ont pas fonctionné." 

 

Le professeur de biologie moléculaire Gilles-Eric Séralini, dans son laboratoire, le 16 janvier 2009, à l'université de Caen (Calvados). (MYCHELE DANIAU / AFP)

Les résultats de son étude top secrète semblent en tout cas avoir eu l'effet escompté sur le gouvernement français, qui a saisi plusieurs instances hexagonales et européennes pour vérifier ces conclusions. Selon les ministères de la Santé, de l'Ecologie et de l'Agriculture, ces travaux semblent bel et bien "confirmer l'insuffisance des études toxicologiques exigées par la règlementation communautaire en matière d'autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques".

Bruxelles, de son côté, a gelé l'examen de la demande de renouvellement de l'autorisation de culture accordée à Monsanto pour un autre OGM, le MON810. 

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