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Les chercheurs déprimés face aux suppressions de postes

Les chercheurs dans la rue ce vendredi. Après un périple à vélo de trois semaines à travers la France, le mouvement de contestation baptisé "Les Sciences en marche" appelle à manifester à Paris.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
  (Marie-Lise, chercheuse de 28 ans, en CDD à l'Institut Cochin de Paris songe à renoncer sur ses travaux sur le VIH © RF-Mathilde Lemaire)

660 directeurs de laboratoires viennent d'envoyer une lettre à François Hollande pour l'alerter sur la situation qu'ils jugent "dramatique " de l'emploi scientifique, avec des suppressions de postes en série depuis 10 ans. Le CNRS, par exemple a perdu 800 postes. La moitié des 33.000 chercheurs en France sont désormais des précaires. Mathilde Lemaire est allée à leur rencontre.

Quatorzième arrondissement de Paris. Dans l'enceinte de l'hôpital Cochin, se trouve l'Institut Cochin. Ici, malgré les suppressions de postes, il reste 300 chercheurs. Cancer, diabète, endocrinologie... c'est le temple de la recherche en biomédecine. Derrière l'une des portes : le laboratoire de Marie-Lise 28 ans. Gants verts et blouse blanche la jeune femme s'active dix heures par jour depuis des mois au milieu des centrifugeuses et des plans de travail. En fond sonore, il y a une radio musicale.

"On pense aux malades et c'est très motivant" (Marie-Lise, chercheuse)

Marie-Lise est passionnée par son sujet : le virus du sida. "On ne compte pas. Parfois on reste jusqu'à tard le soir, ou bien on revient le week-end. Ce qui nous intéresse c'est de comprendre exactement comment le virus entre dans la cellule. Si on y parvient, cela aidera à développer des traitements ou même des vaccins. On pense aux malades et c'est très motivant ", confie la jeune femme.

Cet après-midi Marie-Lise délaissera ses tubes à essais et ses cultures de bactéries pour aller manifester dans Paris. Car même si elle aime ce qu'elle fait, elle est usée par les CDD qu'elle enchaine pour 2.000 euros par mois. Elle sait que dans la recherche une récente loi, la loi Sauvadet interdit d'enchainer plus de six années de CDD. Pour elle, l'horizon est bouché et le quotidien devenu trop stressant.

Le CDI devenu un luxe

"On est sous pression en permanence. On perd beaucoup de temps et beaucoup d'énergie à chercher des financements pour faire en sorte de pouvoir poursuivre nos travaux. Quelquefois, un mois avant la fin d'un contrat, on ignore si on va pouvoir le renouveler. Notre cerveau devrait être entièrement focalisé sur notre recherche, et il ne peut pas l'être, c'est une nuisance pour la science ", confie la jeune chercheuse qui explique qu'elle est en train de "faire son deuil ". Un mot très fort pour expliquer qu'elle va devoir renoncer à sa passion, se réorienter. Elle réfléchit à devenir professeur de biologie en collège ou lycée. 

Juste en face de ce laboratoire, dans une salle de machines, on croise Hichem. Ce chercheur algérien de 35 ans travaille lui aussi sur le sida. Pour Hichem, la France était un choix délibéré pour un pays qui est une "référence scientifique " selon lui. Brillant, Hichem a produit des résultats publiés dans une grande revue - un must pour un chercheur-. Malgré cela, il ne parvient pas à être titularisé, à obtenir un poste en CDI.

La tendance depuis dix ans dans la recherche est à supprimer des postes, plus qu'à en créer. L'embauche en CDI est devenue un luxe rare. Alors, la mort dans l’âme, Hichem s'apprête à rentrer à Alger. "Je n'y crois plus. Les postes sont trop rares et les conditions de sélection ultra drastiques. Mais ce qui est dingue, c'est que cela veut dire que toute notre expérience, tous nos acquis accumulés vont être comme mis à la poubelle. C'est du savoir, c'est de la mémoire scientifique qui est gâchée. Les plus jeunes chercheurs qui arrivent reprennent souvent les recherches à zéro ", raconte le trentenaire attristé par cette situation, très répandue selon lui.

Des chercheurs qui s'expatrient ou changent d'orientation

Frédéric a peut-être trouvé la solution. Après des années de CDD, ce chercheur de 36 ans, au chômage depuis trois mois, a décidé de saisir la justice. Et le tribunal administratif lui a donné raison il y a huit jours.

Les juges imposent à l'INSERM, organisme d'état, de l'engager en CDI sous peine d'une astreinte de 300 euros par jour. "C'est un passage en force que j’ai fait. Mon idée était de créer une nouvelle jurisprudence pour encourager tous les chercheurs qui, comme moi, dépassent les six ans de CDD à aller tous au tribunal et à faire reconnaitre leurs droits. Ces gens qui ont BAC + 8 et ont donné leurs belles années à la Recherche méritent quand même un poste fixe. Ca ne serait pas scandaleux ", s'emporte le chercheur.

"La précarisation est dévastatrice pour les chercheurs, mais aussi pour la recherche" 

"Tous ces chercheurs qui ont 30 ou 35 ans qui doivent s'expatrier ou se réorienter ne vont plus pouvoir faire avancer la recherche fondamentale française. Fatalement, la France va décliner et perdre son rang dans la compétition scientifique au détriment de la Chine ou d'autres pays émergents ", poursuit-il.

François Hollande en 2012 avait choisi pour son investiture de rendre hommage à Pierre et Marie Curie. Les chercheurs y avaient vu un symbole fort. Beaucoup aujourd'hui sont déçus. Ils aimeraient que le gouvernement récupère une partie l'argent alloué au crédit d'impôt recherche pour les entreprises, et le redistribue aux organismes publics comme le CNRS ou l'INSERM, afin de recréer de vrais emplois de chercheurs titulaires.

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