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Le trading à la vitesse d'un battement d'aile de mouche : la peur du bug

Les robots se sont-ils définitivement emparés de la Bourse ? Aujourd’hui entre 40 et 60% des échanges sur les marchés financiers se font en trading à haute fréquence. Une véritable révolution de la finance qui se fait dorénavant à très haute vitesse. Non sans risque.
Article rédigé par franceinfo
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  (Une salle de marchés © M. AStar/SIPA)

Les opérations de bourse (les achats et les ventes d’actions), se traitent un million de fois plus vite qu’il y a dix ans.  Le journaliste suisse François Pilet, auteur d’un livre de référence sur le sujet, Krach Machine explique : "Le trading haute fréquence consiste à acheter et à vendre des actions extrêmement vite à la vitesse de millisecondes [un millième de seconde], de quelques dizaines de millisecondes : plus rapidement qu’un clin d’œil, aussi rapide qu’un battement d’aile de mouche. Je souhaite acheter une action Lafarge et dix millisecondes plus tard - un battement d’aile de mouche plus tard - , j’ai changé d’avis et je ne l’achète plus ou alors à un autre prix. Et je recommence ainsi pendant des millisecondes, des secondes, des minutes et des jours."   Il est humainement impossible pour le trader de calculer à cette vitesse et donc de passer ses ordres aussi vite.  Il faut donc des robots, plus exactement des algorithmes. Aujourd’hui 90% des transactions sont pilotés par des logiciels très élaborés. Les traders aux gilets colorés qui négociaient autrefois à la criée ont été remplacés par des programmes informatiques. 

Le robot : difficilement contrôlable

 Mais ces algorithmes sont devenus si puissants qu’on a du mal à les contrôler. C’est le constat de Marc Lenglet, ancien contrôleur déontologue en salle des marchés, pour une filiale du Crédit agricole. Face aux algorithmes, l’esprit humain, nous explique-t-il, on a toujours un train de retard. Et il explique que "l'algorithme à haute fréquence intervient tellement vite que son mouvement n’apparaît même pas à l’œil nu car l’écran ne parvient pas à reconstruire le mouvement. Il y a donc un décalage entre les outils de perception qu’on a sur l’écran, notre capacité en tant qu’être humain à voir le marché, et ce qui se passe effectivement dans les tuyaux. " Matériellement et physiquement l'œil n’est pas assez puissant pour voir ces mouvements.  

 

"Aujourd'hui un trader à haute fréquence passe un million d'ordres par jour par valeur sur cinq marchés différents" - Laurent Combourieu  

Marc Lenglet raconte avoir "vu une fois un trader arracher les câbles de sa machine pour arrêter son algorithme, geste désespéré et illusoire car l’algorithme était depuis longtemps parti dans les tuyaux. Le gendarme de la Bourse a du mal à faire face."   On sait à a peine ce qui se vend et ce qui s’achète en temps réel. Le gendarme de la Bourse a du mal à faire face à cette révolution technologique explique Laurent Combourieu, en charge des enquêtes pour l’AMF, l’Autorité des marchés financiers :  "Il y a dix ans, on avait analysé par jour soixante-dix ordres par valeur sur un marché – celui d'Euronext. Aujourd’hui un trader à haute fréquence passe un million d’ordres par jour par valeur sur cinq marchés différents. C’est donc juste un peu plus compliqué. Et pour rester dans la course, l’AMF est obligé de dépenser 20 millions € pour remettre à jour ses outils informatiques. Des outils vieux d’à peine six ans." 

La discrétion du secteur bancaire

 D’autant que ce trading haute fréquence, peu connu du grand public est assez mal vu. De fait, les opérateurs du secteur cultivent la discrétion. Quant aux grandes banques, elles affirment ne pas en faire. Ce n’est pas l’avis de Frédéric Abergel qui dirige la Chaire de Finance Quantitative à l’Ecole Centrale Paris. "Cette terminologie inspire un peu la crainte , explique Frédéric Abergel. Les gens disent qu’ils ne font pas de trading à haute fréquence, ce qui est faux, par définition, dans la mesure où maintenant les activités de trading sont toutes en haute fréquence. Donc lorsqu’un acteur de marché comme une banque veut intervenir et être présente sur un marché financier elle doit faire du market making, c’est àdire assurer sa présence au carnet d’ordre. Pour faire ça il faut traiter en haute fréquence."   

La crainte du super bug

 Au final, tout le monde utilise le trading à haute fréquence. Et un peu plus chaque année, confirme le régulateur européen, l’ESMA (European Securities and Markets Authority). Mais le risque majeur est qu’il y ait un jour un très gros bug des algorithmes, selon le journaliste François Pilet ; "Tout d’un coup un algorithme commence de déranger un autre comme pour les ondes il peut y avoir des perturbations. Un algorithme se retrouve confronté à un autre logiciel qui veut faire autre chose et ça crée des boucles. Et il se déclenche. Et le problème quand on a 50% des transactions qui sont effectuées chaque minute, chaque seconde par des algorithmes; et que ces derniers se déclenchent tous les uns après les autres, cela fait comme un trou d’air et tout d’un coup il n’y a plus personne sur le marché et les cours s’effondrent en quelques minutes.  C’est ce qui s’est passé en 2010 à plusieurs reprises. Comme un avion qui tombe car il n’y a plus d’air."

Pour éviter un méga trou d’air, il existe désormais des coupe-circuit, pour arrêter les robots. Une sécurité, mais suffira-t- elle en cas de crise ?

A LIRE AUSSI ►►► L'intégralité de cette enquête est à retrouver dans l''émission Secrets d'Infos de France Inter 

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