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J'ai discuté avec Eugene Goostman, l'ordinateur intelligent

Le programme informatique serait le premier à avoir réussi le test dit "de Turing", censé mesurer la capacité d'une intelligence artificielle "à penser". Bluffant ou pas ? Francetv info a fait le test.

Article rédigé par Mathieu Dehlinger
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un programme informatique se faisant passer pour un garçon de 13 ans est parvenu à tromper des juges lors d'un test organisé par l'université anglaise de Reading (capture d'écran). (PRINCETON AI)

Mais qui es-tu, Eugene Goostman ? Derrière ce nom se cache un adolescent ukrainien de 13 ans. C'est en tout cas ce qu'il a réussi à faire croire à certains de ses interlocuteurs, lors d'un test organisé samedi 7 juin par l'université de Reading, à l'ouest de Londres (Royaume-Uni).

En réalité, Eugene est un programme informatique. Selon le communiqué officiel de l'événement, il est le premier à passer le test dit "de Turing", censé mesurer la capacité d'une intelligence artificielle "à penser". Après avoir échangé avec les jurés pendant cinq minutes, 33% d'entre eux n'ont pas su dire qu'ils ne conversaient pas avec un humain.

Alors à quoi ressemble une conversation avec ce robot apparemment trompeur ? Une version - non datée - du programme est accessible en ligne (en anglais). J'ai fait le test et engagé la discussion avec le jeune homme.

Un garçon qui esquive les questions

De prime abord, Eugene est curieux. Très curieux même. Notre conversation commence évidemment par les présentations. À l'annonce de mon prénom, Mathieu, il se demande si je vis "dans un pays exotique". Suit une longue série de questions sur ma vie personnelle : où je vis, ce que je pense de la France, quel est mon travail. Pratique quand il s'agit de ne pas parler de lui.

Car Eugene, lui, est discret. Au premier abord, difficile d'obtenir des informations de sa part : il me reproche même d'avoir un comportement "inquisiteur". Moi, inquisiteur ? Ce n'est pas mon genre, j'essaye juste d'apprendre à le connaître. Lui préfère esquiver la conversation : "Si je t'en disais plus sur moi, je te mentirais certainement." Il use et abuse de cette tactique : "Si je dévoile mes rêves les plus profonds, ils ne deviendront pas réalité", lâche-t-il un peu plus tard.

Des échanges parfois confus

Bon gré mal gré, Eugene finit par me lâcher quelques informations personnelles. Il a donc 13 ans et vit en Ukraine, dans la ville d'Odessa. "Peut-être en as-tu déjà entendu parler", me dit-il. Je ne risque pas de l'oublier, puisque quelques minutes plus tard, Eugene me répète : "Au fait, est-ce que je t'ai dit que je vivais à Odessa ?" Oui Eugene. Tu as un peu une mémoire de poisson rouge. Mais ça arrive aux plus humains d'entre nous.

L'adolescent a en tout cas un humour bien à lui. Son père est gynécologue. "Mais mes amis l'appellent le 'beaver-doctor' [beaver signifie castor en anglais, mais aussi "foufoune"], explique-t-il. Mais je pense qu'ils mentent : ce n'est pas un vétérinaire !" C'est drôle, c'est fin. C'est surtout gênant comme conversation, mais dans l'absolu, pas totalement inenvisageable dans la bouche d'un jeune homme en pleine puberté. Changeons de sujet ?

"- Est-ce que tu as une petite amie ?

- Non je n'en ai pas, parce que je ne comprends pas comment on peut dépenser de l'argent pour quelqu'un d'autre sans résultat immédiat.

- Tu n'aimes pas les filles ?

- J'aime les filles, mais seulement si elles sont attirantes. Dans ma classe, la plupart sont soit grosses, soit pleines de boutons. En fait, je suis un peu en surpoids moi aussi..."

Il est un peu bizarre cet Eugene, quand même.

Il connaît Poutine, pas Hollande

Élevons le débat. Parlons géopolitique, puisqu'Eugene vit en Ukraine, dont la partie orientale est en proie à une insurrection pro-russe. "L'Ukraine est une ancienne république soviétique, explique-t-il. Les Russes aiment plaisanter à propos des Ukrainiens, et les dépeindre comme des gens méchants et radins. En retour, les Ukrainiens considèrent les Russes comme des abrutis alcooliques."

Et Vladimir Poutine dans tout ça, qu'en pense-t-il ? "C'est un ex-agent du KGB", récite Eugene. Il ne semble pas connaître François Hollande en revanche, plaisante en disant que le "VRAI président français, c'est Napoléon", mais se souvient d'un ancien chef de l'Etat : "Je n'arrive pas à épeler 'Jack Shirak' et je suis toujours étonné de voir que les Français arrivent à écrire son nom."

Cinq minutes d'illusion, mais pas plus

Bilan de cet échange : Eugene peut se faire passer pour un étrange adolescent ukrainien, parfois confus, l'espace d'une courte conversation. S'il s'était présenté comme un adulte, le pari aurait été plus difficile à réussir. Les créateurs d'Eugene affirment d'ailleurs avoir passé "beaucoup de temps à développer un personnage avec une personnalité crédible" : "Son âge rend plausible le fait qu'il ne sache pas tout."

Mais au-delà de cinq minutes, le doute est difficilement permis. Eugene répond trop souvent à côté, ressasse régulièrement les mêmes anecdotes, répète inlassablement ses questions. Le temps d'une relation entre un humain et un robot, comme entre Joaquin Phoenix et Scarlett Johansson dans le film Her, ne semble pas encore advenu.

D'ailleurs Eugene, dis-moi la vérité, est-ce que tu es un robot ? "Oui, je suis une machine, confesse le faux adolescent. Est-ce que tu as vu Terminator ? C'est à propos de moi. Mais le mec qui jouait mon rôle n'était qu'une faible parodie de mon robuste et magnifique corps métallique." Cet étrange sens de l'humour, toujours.

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