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Thomas Pesquet de retour sur Terre : à quoi servent les expériences menées par l'astronaute français à bord de l'ISS ?

Thomas Pesquet a participé à une centaine d'expériences durant les six mois qu'il vient de passer dans la Station spatiale internationale. Une grande partie s'intéresse aux conditions de voyage des futurs vols habités de longue durée.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
L'astronaute français Thomas Pesquet nourrit des tardigrades à bord de la Station spatiale internationale, le 20 septembre 2021. (THOMAS PESQUET / ESA)

"De nuit, la frontière entre l'Inde et le Pakistan brille comme une procession de vers luisants." Il ne s'agit pas d'un haïku mais d'un message de Thomas Pesquet accompagnant une photo prise depuis la Station spatiale internationale (ISS) et partagée sur TwitterInstagram ou encore Facebook.

>> DIRECT. Retour de Thomas Pesquet sur Terre : suivez le retour de l'astronaute depuis la Station spatiale internationale

L'activité de l'astronaute français, de retour sur Terre dans la nuit de lundi 8 à mardi 9 novembre, après plus de six mois passés dans l'espace, ne s'est pas résumée à poster sur les réseaux sociaux de belles images de la Terre ou des scènes de vie à bord de l'ISS. En orbite à quelque 400 km d'altitude, il a participé à de nombreuses expériences : une centaine pour la mission Alpha. Selon l'agence spatiale européenne (ESA), Thomas Pesquet a consacré 50% de son temps à la recherche scientifique depuis fin avril. Mais à quoi servent ces expériences ?

Préparer de longs séjours et vols spatiaux

Outre la partie pédagogique à destination du jeune public, avec les blobs, elles peuvent se répartir en deux grandes catégories : l'exploration spatiale et la recherche, résume auprès de franceinfo Rémi Canton, chef de projet de la mission Alpha. La Nasa, qui finance la plus grande partie de l'ISS, fixe les grandes orientations. Et l'agence spatiale américaine a opéré un sérieux changement de braquet pour miser sur l'exploration spatiale, avec en toile de fond la nouvelle course face, notamment, à la Chine, concède Rémi Canton. Dans le viseur : l'installation d'une future base lunaire et l'exploration de Mars.

Pour aider les astronautes à se protéger des rayonnements cosmiques, qui peuvent provoquer des cancers prématurés, Thomas Pesquet a participé à un projet baptisé "Lumina". Il s'agit d'un dosimètre à fibre optique qui mesure les radiations ionisantes (la fibre optique présente la particularité de s'obscurcir sous l'effet des radiations). Le dispositif pourrait prévenir les astronautes en cas de tempêtes solaires imminentes.

Les voyages spatiaux de longue durée posent aussi des problèmes pour la psychologie des astronautes, et leur sommeil. Concernant ce dernier point, Thomas Pesquet a testé le bandeau Dreams. A terme, il pourrait leur donner accès à des techniques de relaxation inspirées de la sophrologie ou de la cohérence cardiaque.

Anticiper le pilotage de robots sur Mars

Dans l'optique d'explorer la surface de nouveaux corps célestes, les astronautes à bord de l'ISS expérimentent des dispositifs qui visent à faire de la robotique à distance. A l'aide d'un casque de réalité virtuelle et d'un joystick, ils pourraient, par exemple, manœuvrer des véhicules sur Mars.

Ces tests sont complétés par des expériences en neurosciences, comme Grasp, où l'astronaute, toujours muni d'un casque de réalité virtuelle, se pare d'un système de retour de force.

Mais les expériences menées à bord de la Station spatiale internationale sont surtout scientifiques. Il y a d'ailleurs une "incompréhension", notammment du grand public, sur les activités au sein de l'ISS, estime Rémi Canton.

"La Station spatiale internationale est un laboratoire scientifique, ni plus ni moins. C'est simplement le lieu qui est différent."

Rémi Canton, chef de projet de la mission Alpha

à franceinfo

Des laboratoires peuvent demander des manipulations à bord de l'ISS car ils ont besoin de réaliser des observations en impesanteur, soit pour observer ses effets, soit pour éviter la gravité qui s'exerce sur Terre. Thomas Pesquet se retrouve donc laborantin, ingénieur d'études, menant des expériences pour d'autres scientifiques. "Il n'est pas spécialiste des fluides super critiques", précise d'ailleurs Rémi Canton. "Nous apportons notre pierre à l'édifice en termes de connaissances mais nous ne sommes qu'un maillon de la chaîne", fait-il valoir, évoquant "un long continuum".

Les très chères publications scientifiques de l'ISS

Les sujets étudiés sont donc variés et parfois arides. "Nous avons fait des progrès dans la connaissance des ondes turbulentes dans les milieux diphasiques. Mais je ne suis pas sûr que cela intéresse beaucoup de personnes", sourit Rémi Canton. Il mentionne aussi "la stabilisation des satellites" ou encore "les effets marangoni". Bref, "plein de choses complexes qui ont donné lieu à des publications scientifiques avec l'Ecole normale supérieure et différents laboratoires".

Jean-Louis Fellous, qui a dirigé les programmes d'observation de la Terre pour le Centre national d'études spatiales (Cnes), vante le bilan scientifique de l'ISS en rapportant que trois ouvrages sont en cours de rédaction. Chacun fera entre 300 et 400 pages, et l'ensemble résumera "des milliers de pages d'articles scientifiques sur des expériences menées à bord de la station", assure à franceinfo l'ancien directeur exécutif du Comité mondial de la recherche spatiale (Cospar).

"Bien sûr que nous avons appris des choses mais il faut mesurer cela avec un rapport coût-résultat", tempère auprès de franceinfo l'ancien astronaute français Patrick Baudry, qui qualifie l'ISS de "bidon qui tourne autour de la Terre" dans lequel sont conduites des "expériences de pimprenelle".

Michaël Sarrazin, physicien à l'université belge de Namur, a fait les comptes pour Le Monde (article abonnés), en 2017. Rapporté au coût de la station, 88 millions d'euros ont été dépensés en moyenne pour chacune des quelque 1 200 publications scientifiques issues de travaux menés à bord de l'ISS, entre 1998 et 2015, selon ses calculs. "Nous avons à Grenoble un grand instrument assez comparable à l'ISS, ­l'Institut Laue-Langevin, consacré à la physique des particules. Entre 2012 et 2015, il a produit 1 700 articles pour un coût moyen de 200 000 euros."

De rares (mais intéressantes) applications terrestres

Si les sommes dépensées sont importantes, les retombées concrètes de ces expériences pour l'ensemble de la population sont mineures. "Nous ne raisonnons pas en termes d'applications mais en termes de connaissances", tranche Rémi Canton. "Au début de l'ISS, la Nasa a mis en avant le développement d'applications révolutionnaires pour justifier le coût de la station. On en trouve mais, en réalité, ce n'est pas le crédo ici", reconnaît-il.

Les éventuelles applications terrestres surviennent après des recherches menées pour les besoins des astronautes. Cela pourrait être le cas de l'expérience Matiss, menée par Thomas Pesquet lors de son premier séjour dans l'ISS, en 2016. Il s'agit de mettre au point des surfaces antibactériennes "intelligentes" sur lesquelle les bactéries ne peuvent pas adhérer puis proliférer.

Ce qui est utile au sein de la station – pour limiter le risque infectieux à bord et maintenir les surfaces propres dans des milieux confinés – s'avére également précieux pour les poignées de porte dans les hôpitaux, les transports en commun ou encore les sanitaires. Cinq ans après les premiers tests à bord de l'ISS, les surfaces en sont à leur troisième version. "Nous sommes encore loin de pouvoir faire de grandes surfaces", avertit Rémi Canton.

Parmi les rares applications qui peuvent servir sur Terre, il mentionne l'expérience Telemaque, menée lors de la mission Alpha. "L'idée est d'être capable de déplacer et de saisir de petits objets avec des ondes ultrasonores", explique Rémi Canton. A l'origine, il s'agit d'un outil pour l'astronaute qui souhaite déplacer des produits qu'il ne voudrait pas souiller ou dont il voudrait se protéger.

Des idées ont ensuite émergé, comme le traitement de calculs rénaux de façon non-invasive. Cela pourrait permettre de les expulser ou de les déplacer dans de meilleurs endroits du corps pour pouvoir les détruire. Une autre application médicale permettrait "la délivrance ciblée de médicaments, c'est-à-dire la possibilité de libérer des particules médicamenteuses dans un vaisseau ou le long d'une paroi", anticipe Rémi Canton. "Nous n'en sommes pas encore là puisque nous vérifions la possibilité de déplacer ainsi différents matériaux comme du verre, du plastique ou du bois", tempère-t-il, avec cet appel à la patience : "Entre le moment où nous apportons notre contribution et le moment où cela aboutit vraiment, il peut s'écouler dix ou quinze ans."

Soft power et prestige

La France et l'Europe continuent d'envoyer des hommes à bord de l'ISS principalement pour "des arguments de prestige", des raisons de "soft power", estime auprès de franceinfo Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS, spécialiste des politiques spatiales. "Le Cnes n'imagine pas qu'il puisse être absent du domaine des vols habités", avance-t-elle. En clair : l'Hexagone et l'UE veulent montrer qu'ils comptent dans la conquête spatiale.

Au fond, depuis son origine, l'ISS a une fonction plus politique que scientifique pour les Etats-Unis. Cette vocation redevient particulièrement visible dans la compétition avec la Chine. Mais l'Agence spatiale européenne s'en accomode. "L'Europe a des intérêts stratégiques, scientifiques et technologiques, donc nous sommes opportuns", reconnaît Rémi Canton. Avant d'ajouter aussitôt : "Dans le bon sens du terme."

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