Oxygène sur la comète Tchouri : "Cela remet en question nos théories sur la naissance du système solaire"
Des chercheurs de l'université de Berne ont révélé mercredi la présence d'oxygène en abondance dans l'atmosphère de la comète Tchouri, que Rosetta et Philae analysent depuis plus d'un an.
La mission Rosetta, lancée en 2004 par l'Agence spatiale européenne, a annoncé mercredi 28 octobre la découverte d'oxygène moléculaire dans l'atmosphère de la comète Tchouri. Alors que le petit robot Philae continue de prélever la surface de l'astéroïde, cette nouvelle pépite scientifique pourrait nous en apprendre beaucoup sur les origines de notre système solaire. Philippe Gaudon, chef de projet de la mission Rosetta pour le Centre national d'études spatiales à Toulouse, revient sur cette découverte et ce qu'elle pourrait changer.
Francetv info : qu'a-t-on exactement découvert sur la comète Tchouri ?
Philippe Gaudon : Nous avons découvert de l'oxygène moléculaire, du dioxygène (O2), que l'on respire sur Terre grâce à la photosynthèse. Cette molécule serait présente à hauteur de 4% dans l'atmosphère de la comète, ce qui est considérable.
Qu'est-ce qui a permis de l'identifier ?
Ce n'est pas une découverte qui date d'hier. On a reçu des données de septembre 2014 jusqu'à mai 2015. Mais il a fallu six mois pour exploiter les données avant la publication officielle hier, dans la revue Nature (en anglais).
La découverte s'est faite grâce à un instrument installé à bord de Rosetta, la sonde qui orbite autour de la comète. Appelé Rosina, ce "spectromètre de masse" permet de "renifler" le gaz émis par la comète et de peser la masse des molécules qui le composent. En les pesant, il va déterminer la masse de chacune des particules. Lorsque l'oxygène moléculaire, qui pèse environ 16 unités atomiques, est présent, on voit un pic se dessiner sur les pesées. C'est ce qui nous a permis de le découvrir parmi les autres molécules.
Cette découverte est-elle surprenante ?
On ne s'y attendait pas. D'habitude, on retrouve l'oxygène sous d'autres formes (de l'eau, des oxydes de carbone et d'azote, des alcools…). Normalement, lorsqu'il est dans l'espace, ce dioxygène reçoit des ultraviolets provenant d'étoiles qui "cassent" ses molécules. Il est donc très peu observé dans l’espace, en particulier dans les nuages moléculaires qui sont à l’origine des systèmes solaires.
Et c'est une surprise de le trouver en si grande quantité sous cette forme. Le dioxygène est en fait un des quatre composants majoritaires de la comète, avec l'eau, le monoxyde et le dioxyde de carbone.
D'où vient ce dioxygène ?
Ce qui est intéressant, c'est qu'on ne sait pas d'où vient ce dioxygène présent sur Tchouri. On a un peu de mal à expliquer pourquoi on trouve cet oxygène moléculaire dans la comète, et comment il est resté protégé aussi longtemps. La théorie avancée est qu'il aurait été présent dans le nuage moléculaire qui a fabriqué la comète, à la naissance de notre système solaire, il y a 4,6 milliards d'années.
Ce dioxygène est donc très vieux, plus vieux même que les planètes du système solaire. Cette découverte remet en cause la composition du nuage moléculaire à l'origine de notre système solaire.
Que sait-on de ce nuage ?
Grâce à de puissants télescopes, on peut désormais observer des systèmes solaires lointains se former depuis la Terre. On peut analyser les différents composants des nuages moléculaires qui vont donner naissance à une étoile, des comètes, puis des planètes. Mais nous n'y avions pas observé la présence d'oxygène sous cette forme.
Il va donc falloir réadapter nos théories sur la naissance du système solaire à cette nouvelle découverte. Une des pistes est que la température du nuage moléculaire est plus chaude que ce que l'on pensait, ce qui permettrait au dioxygène d'être conservé pendant tant d'années. C'est un nouveau mystère qu'il va falloir résoudre.
Est-ce une preuve de vie sur les comètes ?
Absolument pas. Il ne faut pas confondre l'oxygène dont nous avons besoin pour vivre sur Terre avec celui découvert autour de Tchouri, car il n'est pas produit de la même manière. Notre oxygène est produit par les végétaux grâce à la photosynthèse.
Par contre, si, comme on le pense, les comètes sont venues taper dans la Terre et apporter leur eau pour former nos océans, elles peuvent avoir apporté avec elles cet oxygène. Donc l’oxygène que nous respirons pourrait être en petite partie de l’oxygène de comète, comme l’eau que nous buvons pourrait être en partie de l’eau de comète.
Quelles révélations peut-on encore espérer ?
Tous les instruments fonctionnent bien, et tandis que Rosetta va continuer à se rapprocher de la surface de Tchouri, on va pouvoir faire de nouvelles mesures pour déterminer, par exemple, la quantité de matière que la comète a perdue lorsqu'elle est passée au plus près du Soleil.
En étant très près de Tchouri, nous continuons à découvrir des informations inaccessibles depuis la Terre, comme sa forme, sa composition, mais aussi des détails de sa surface. Les scientifiques vont aussi pouvoir croiser les résultats des 11 appareils de mesure et ceux des 10 appareils de Philae pour pouvoir mieux comprendre le phénomène qui transforme le noyau de la comète en gaz. Tout cela prendra du temps.
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