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Espace : en quoi consiste la première phase de la formation longue durée de l'astronaute française Sophie Adenot ?

Afin de préparer au mieux d'éventuelles sorties dans l'espace, la pilote d'hélicoptère et ses quatre camarades vont alterner cours théoriques et stages de pratique pendant un an au Centre européen des astronautes, à Cologne (Allemagne).
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Temps de lecture : 10 min
L'astronaute française Sophie Adenot (centre), et ses quatre camarades de promotion, dans une reproduction du module européen Colombus de la Station spatiale internationale, lors de leur premier jour de formation à l'EAC, à Cologne (Allemagne). (ESA / STEPHANE CORVAJA)

Avant de partir un jour en orbite, retour sur les bancs de l'école pour Sophie Adenot. La Française a débuté, lundi 3 avril, un cycle de formation au Centre européen des astronautes (EAC) de l'Agence spatiale européenne (ESA). De la théorie à la pratique, franceinfo détaille point par point le déroulement de cette formation qui va s'étaler sur douze mois, et sera ponctuée par des évaluations régulières.

Reprendre le chemin des cours

Sophie Adenot va suivre les pas de Thomas Pesquet, qui a déjà pris part à cette "prépa" en 2009. Interrogé sur franceinfo le jour de la rentrée des classes, l'astronaute français a d'ailleurs jugé que cette formation était "assez scolaire". Ce "basic training", comme le qualifie l'ESA, débutera notamment par "des cours un peu théoriques sur toutes les disciplines du spatial", a expliqué le Français, qui compare l'emploi du temps "à celui d'un lycéen ou d'un étudiant".

Les voyageurs de l'espace sélectionnés étant issus de parcours différents, le but est de tous "les mettre à peu près au même niveau dans les sciences et les techniques du spatial", résume Thomas Pesquet. Les profils de cette "promotion" sont effectivement très variés : Sophie Adenot est pilote d'hélicoptère, la Britannique Rosemary Coogan est astrophysicienne, le Suisse Marco Sieber est urologue, l'Espagnol Pablo Alvarez Fernandez est ingénieur dans l'aéronautique et le Belge Raphaël Liégeois est ingénieur et chercheur en neurosciences. Il s'agit donc de s'assurer que tous partent avec le même socle et les mêmes acquis.

"Ce que l'on va apprendre, c'est la mécanique spatiale, les systèmes orbitaux, toutes les connaissances de base qui vont permettre de comprendre cet environnement spatial et en microgravité."

Sophie Adenot

à la chaîne locale TVBA

"Ils apprennent notamment l'orbitographie. La façon dont se déplace un vaisseau dans l'espace n'est pas totalement naturelle, explique Olivier Sanguy, responsable des actualités spatiales à la Cité de l'espace, à Toulouse. Cela n'a rien à voir avec un avion : il n'y a pas d'appui sur l'air. Et on joue beaucoup sur l'inertie." 

Ces cours théoriques englobent également des savoirs plus formels, voire administratifs, comme la répartition des différentes agences spatiales nationales, les différents lanceurs, les principales missions spatiales (habitées ou non), ou encore les textes et traités internationaux qui régissent la coopération spatiale, explique l'ESA (en anglais). Il s'agit donc de connaître le contexte, l'histoire et les aspects diplomatiques dans lesquels s'inscrit le métier d'astronaute, résume encore Olivier Sanguy.

Découvrir l'environnement de travail

Les nouveaux astronautes vont découvrir les interfaces avec lesquelles ils devront composer dans l'espace, à bord des vaisseaux et à bord des stations, comme la Station spatiale internationale (ISS).

Le Centre européen des astronautes dispose d'une réplique du module Columbus (la partie européenne de l'ISS), des répliques de certaines de ses zones qui sont dédiées aux manipulations scientifiques, ou encore des reproductions des salles de communication.

L'astronaute française Sophie Adenot (centre), et ses quatre camarades de promotion, ainsi que l'Australienne Katherine Bennell-Pegg, dans une reproduction du module européen Colombus de la Station spatiale internationale, le 3 avril 2023, à Cologne (Allemagne). (ESA / STEPHANE CORVAJA)

Les nouveaux astronautes devront se familiariser avec les systèmes de navigation, les circuits électriques qui parcourent l'ISS ou encore les panneaux qui permettent de contrôler les instruments robotiques. Bien qu'ils soient appuyés par des équipes au sol lors de leurs périples et que certaines manœuvres soient automatisées, les voyageurs de l'espace doivent pouvoir faire face à tout imprévu affectant le matériel, ou même prendre les commandes. "Un astronaute, là-haut, il doit être capable de tout faire. S'il y a une panne, on ne peut pas envoyer un technicien pour réparer. C'est lui qui doit le faire", insiste Olivier Sanguy, qui précise que Sophie Adenot et ses camarades vont également trouver "des copies des armoires techniques de l'ISS".  En temps normal, hors problème majeur, 40% du temps d'un astronaute à bord de l'ISS est consacré à des activités techniques et à la maintenance de la station.

Des éléments des interfaces de pilotage sont également disponibles dans plusieurs salles de l'EAC.

"Ce n'est pas un simulateur où cela bouge et où il y a des projections d'images. C'est comme si, pour apprendre à prendre en main une voiture, vous aviez un siège, un volant, un tableau de bord et des pédales."

Olivier Sanguy, responsable des actualités spatiales à la Cité de l'espace

à franceinfo

Se former aux premiers secours

Se préparer au pire est dans l'ADN du voyageur de l'espace. Les astronautes sont donc logiquement formés aux premiers secours. Leur état de santé peut varier lors de séjours longue durée (six mois ou plus) ou à cause de petits accidents de la vie "domestique". "Le but est soit de pouvoir soigner pour éviter un retour sur Terre, soit de préparer le retour", commente Olivier Sanguy. Les gestes enseignés sont identiques à ceux pratiqués au sol, avec parfois des nuances importantes liées à l'impesanteur, car "un massage cardiaque à bord de l'ISS ne se passe pas comme au sol".

La formation médicale s'étend sur 40 heures et les astronautes s'exercent, entre autres, à poser des pansements, à suturer des plaies ou réaliser des trachéotomies. "En résumé, ils terminent avec un niveau d'infirmier. C'est comme cela que Thomas Pesquet le présente habituellement", commente Rémi Canton, chef de projet vols habités au Centre national d'études spatiales (Cnes).

L'astronaute allemand Alexander Gerst supervisé par le médecin français Bernard Comet lors d'un cours pratique de la formation aux premiers secours, en janvier 2010, à Cologne (Allemagne). (ESA - D. BAUMBACH)

L'ISS est d'ailleurs équipée d'un lit d'hôpital pour effectuer les premiers soins. "Le kit médical est basique", avec notamment des pansements, des médicaments comme de l'ibuprofène ou un livre de médecine, expliquait la BBC (en anglais) en 2016. Les astronautes disposent également de divers équipements, dont un défibrillateur ou un électrocardiogramme.

Apprendre le russe (ce qui peut être parfois "difficile")

La Station spatiale internationale est l'un des rares endroits où la coopération internationale avec la Russie continue de fonctionner malgré la guerre en Ukraine. Pour l'instant, l'apprentissage du russe est indispensable pour séjourner dans l'ISS afin de pouvoir éventuellement échanger avec le centre de contrôle russe. Ou pour pouvoir quitter la station rapidement : si une évacuation d'urgence doit être menée, les occupants de l'ISS empruntent un module Soyouz où toutes les inscriptions sont en cyrillique.

L'intérieur de la copie d'un vaisseau Soyouz au centre d'entraînement des cosmonautes russes, à la Cité de l'espace, en Russie, le 31 août 2016. (NASA / BILL INGALLS)

Pour Thomas Pesquet, l'apprentissage du russe "a été le plus difficile. Partir de zéro pour arriver à maîtriser suffisamment une langue pour pouvoir voler dans un véhicule." 

Plonger dans la piscine (pour faire comme dans l'espace)

L'école des astronautes de Cologne est équipée d'un bassin pour que les "élèves" en formation s'initient à la plongée. Ils doivent impérativement passer un brevet pendant le basic training. Moins grande et moins équipée que celle de la Nasa, au Johnson Space Center de Houston (Texas), la piscine de l'EAC permet d'avoir un aperçu des sensations et des protocoles à suivre lors des sorties dans l'espace, les "sorties extra-véhiculaires".

L'Allemand Alexander Gerst s'initie aux sorties dans l'espace dans le bassin du centre de formation des astronautes européens, à Cologne (Allemagne), en 2010. (ESA - H. RUEB)

L'objectif, explique l'ESA (en anglais), est de se familiariser avec l'attache à la station, l'utilisation d'outils spéciaux pour les sorties dans l'espace, la communication avec le coéquipier de sortie et avec la salle de contrôle. L'idée est de parvenir à "garder une pleine conscience de la situation dans un environnement complexe et difficile".

Cette initiation vise à les préparer aux stages en piscine lors des futurs entraînements à Houston. Au final, ces séances sont notées par la Nasa et seuls les meilleurs auront la possibilité de réaliser des sorties extra-véhiculaires. "Depuis que les Européens suivent cette formation, ils s'en sortent mieux et c'est pour cela que nombre d'entre eux, dont Thomas Pesquet, ont réalisé des sorties", relève Olivier Sanguy.

"L'idée de l'ESA, c'est de donner un peu d'avance aux Européens pour qu'ils aient un maximum de chances de faire des sorties extra-véhiculaires. Cela a porté ses fruits."

Rémi Canton, chef de projet vols habités au Cnes

à franceinfo

Participer à des stages de survie

S'ils se préparent à la vie dans l'espace, les astronautes n'oublient pas celle au sol. Ils doivent notamment anticiper les possibles difficiles conditions de retour sur Terre si jamais leur vaisseau venait à atterrir dans une zone isolée. Ils peuvent se retrouver dans le désert, en mer, près d'un glacier, dans une forêt tropicale, en été comme en hiver. Les nouveaux astronautes doivent donc se préparer, via des stages de survie, à tenir en autonomie si les secours devaient mettre plusieurs jours à les retrouver.

Thomas Pesquet et ses cinq camarades de promotion ont par exemple passé deux semaines dans la nature en 2009-2010. Au programme : bivouac, repas improvisés avec les seuls éléments à disposition, escalade, descentes de falaises, traversées de rivières, ou encore cheminement en se guidant avec les étoiles.

L'Italienne Samantha Cristoforetti et le Britannique Tim Peake préparent un repas lors de leur stage de survie, dans le cadre de leur formation pour partir dans l'espace, en 2010. (ESA - V. CROBU)

Lors de ce même stage, après avoir été récupérés par un hélicoptère, ils ont été contraints de plonger dans la mer Méditerranée, de gonfler un bateau de survie et ont dû y patienter jusqu'au lendemain. Rien d'une balade bucolique.

Des astronautes de l'Agence spatiale européenne à bord d'un bateau de sauvetage lors de leur stage de survie, en 2010. (ESA - V. CROBU)

Ressentir l'impesanteur avec des vols zéro-G

Rien d'absolument fondamental dans le fait de réaliser des vols zéro-G, c'est-à-dire se retrouver un bref instant en situation d'impesanteur. Mais il n'existe que trois endroits sur Terre où cela est possible : les Etats-Unis, la Russie et la France. "Nous avons cela à disposition. Nous aurions tort de nous en priver", remarque Rémi Canton, chef de projet vols habités au Cnes. Pendant un vol zéro-G, l'avion réalise 31 paraboles lors desquelles les personnes à bord de l'avion flotte dans l'air pendant 22 secondes à chaque fois. France 3 Occitanie avait suivi l'un de ces vols en compagnie de Thomas Pesquet, en 2018.

"On peut demander pendant la période en impesanteur à un astronaute de s'entraîner à sortir plein d'équipements d'un sac et de trouver un article spécifique, sans que tous les autres s'envolent dans la cabine. Ce qui signifie avoir pensé à tout bien attaché, explique Rémi Canton. Il peut aussi s'agir de s'entraîner à utiliser le tapis roulant que l'on trouve dans l'ISS, et essayer de s'harnacher convenablement. Ce n'est pas seulement pour vivre la sensation d'impesanteur, c'est également pour se mettre en condition."

A l'issue de ces douze mois de formation, s'ils sont diplômés (un échec est théoriquement possible), Sophie Adenot et ses quatre camarades seront "assignables" à des missions. Ils suivront ensuite un entraînement avancé (advanced training) puis un entraînement spécifique (increment specific training).

"On parle d'entraînement basique, mais ce n'est pas pour dire que c'est 'bas de gamme'. C'est en opposition à spécifique."

Rémi Canton, chef de projet vols habités au Cnes

à franceinfo

Les nouveaux astronautes vont progressivement accéder à des formations directement liées à leurs missions. Objectif : acquérir les connaissances et compétences nécessaires à la bonne réalisation des manipulations à effectuer à 400 km d'altitude. Mais il faut parfois s'armer de patience avant le grand saut. Thomas Pesquet, sélectionné en 2009, est parti pour la première fois dans l'espace en novembre 2016.

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