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"Ci-gît la station Mir" : plongez dans le gigantesque cimetière spatial caché au fond de l'océan Pacifique

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le "cimetière d'objets spatiaux" se trouve au milieu de l'océan Pacifique, loin de toute présence humaine. (GOOGLE MAPS)

Les débris de plus de 260 engins spatiaux se sont crashés au "point Nemo". Franceinfo vous dit tout de cette zone du Pacifique où les satellites vont mourir.

48°52.6 sud, 123°23.6 ouest. Les aventuriers qui suivraient ces coordonnées géographiques ne découvriraient pas un mystérieux trésor, mais un cimetière d'épaves... spatiales. Certains satellites et vaisseaux hors d'usage s'écrasent en effet au "point Nemo", en plein cœur de l'océan Pacifique. Lundi 2 avril, c'est la station spatiale chinoise Tiangong-1 qui s'est désintégrée lors de sa rentrée dans l'atmosphère au-dessus de la partie centrale du Pacifique sud, au terme de deux années de vol incontrôlé en orbite. Mais pourquoi les objets spatiaux vont-ils mourir dans cette région de la planète ?

Eviter que le ciel nous tombe sur la tête

Vus de l'espace, les environs de notre planète bleue ressemblent presque à un dépotoir. Et on ne parle pas (seulement) de la pollution atmosphérique ou océanique : plus de 29 000 objets, longs de 10 centimètres ou plus, gravitent actuellement autour de la Terre, selon l'ESA. Ces satellites risquent à tout moment de nous tomber dessus, par exemple s'ils perdent de la vitesse. "Cela se produit tous les jours", explique Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l'ESA, contacté par franceinfo. En moyenne, un débri "relativement gros" retombe sur Terre chaque semaine et "un très gros chaque mois".

Heureusement pour nous, la plupart des satellites hors d'usage ne parviennent jamais jusqu'au sol. Lors de leur entrée dans l'atmosphère, ils s'embrasent sous l'effet de la friction avec l'air et se désagrègent. Quelques débris sortent tout de même intacts du voyage."Certains matériaux sont très résistants, explique Benjamin Bastida Virgili. Les réservoirs de combustible, par exemple, sont fabriqués en titane. La température de fusion de ce métal, très élevée, n'est pas atteinte pendant la descente." Un réservoir de la fusée Delta 2 s'est ainsi crashé dans un champ de Georgetown, au Texas, en 1997, rappelle Mashable.

Le réservoir principal d'une fusée Delta 2 est retombé près de Georgetown, au Texas (Etats-Unis), le 22 janvier 1997. (NASA)

On vous rassure : en soixante ans d'exploration spatiale, les chutes incontrôlées de débris n'ont a priori jamais tué personne. Mais pour limiter le risque (et la pollution de l'espace), les agences spatiales ont décidé de désorbiter certains engins de façon maîtrisée. Elles anticipent leur mort avant même de débuter la fabrication, "car il faut prévoir le carburant nécessaire". Les satellites sont en effet mis à la retraite grâce à une "poussée" bien calculée de leurs propulseurs, qui les fait rentrer dans l'atmosphère terrestre. La chute est alors inévitable.

Ces objets, dont l'orbite est très basse, retomberaient de toute façon sur la Terre. L'objectif est de provoquer leur chute, de façon à ce qu'elle ne fasse ni dégâts, ni victimes.

Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l'ESA

à franceinfo

Le point de l'océan le plus éloigné de l'homme

"Pour effectuer une rentrée contrôlée dans l'atmosphère, il faut une grande zone qui se trouve sur le trajet de l'objet", poursuit Benjamin Bastida Virgili. Le "point Nemo", qui tire son nom du célèbre capitaine de Vingt mille lieues sous les mers, est apparu comme le plus adapté. Son avantage ? C'est le pôle d'inaccessibilité océanique de la Terre. Si ce terme semble presque sorti d'Harry Potter, il désigne simplement le point des océans le plus éloigné de toute terre émergée. Le cimetière des objets spatiaux se trouve ainsi à 2 700 kilomètres au nord de l'Antarctique, selon Gizmodo  (en anglais).

Il n'y a pour ainsi dire rien dans cette partie du  Pacifique Sud : pas d'île, pas d'habitant, presque pas de trafic maritime ou aérien.

Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l'ESA

à franceinfo

Même la faune s'y fait rare. "Il y a peu de poissons dans cette région parce que les courants océaniques ne passent pas dans cette zone et n'y apportent pas de nutriments, ce qui rend la vie marine rare", affirme la BBC (en anglais). Les objets spatiaux peuvent donc se crasher sans risque dans cette zone, avant de s'enfoncer à quatre kilomètres de profondeur. "On pourrait aussi les faire chuter dans l'Atlantique mais cet océan est moins large, ce qui rendrait l'opération plus compliquée", note Benjamin Bastida Virgili.

Le pôle d'inaccessibilité se trouve à quelque 3 500 kilomètres à l'est de la Nouvelle-Zélande et à 2 500 kilomètres au nord de l'Antarctique. (GOOGLE MAPS)

260 engins se sont crashés dans le Pacifique

Pour éviter que des épaves de bateaux ne s'ajoutent à ces satellites, les agences spatiales prennent des précautions. "Lorsqu'on débute la rentrée contrôlée d'un satellite, on prévient les autorités maritimes et aériennes du Chili et de la Nouvelle-Zélande, responsables du trafic dans cette zone, détaille Benjamin Bastida Virgili. Elles recommandent aux bateaux et aux avions d'éviter la région."

L'enterrement d'un objet spatial est une opération imprécise. Les agences spatiales ont beau viser le "Point Nemo", les débris peuvent s'étaler sur une zone de "1 000 ou 1 500 km de long". "Quand un objet entre dans l'atmosphère, il se casse en plusieurs morceaux, voire explose, éclaire l'ingénieur de l'ESA. Les plus gros bouts tombent plus vite, les plus légers s'écrasent plus loin, en fonction du vent."

Il est impossible de prédire exactement où vont se crasher les morceaux d'un satellite qu'on désorbite.

Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l'ESA

à franceinfo

Le "cimetière des objets spatiaux" n'abrite donc aucune épave intacte. Mais il accueille de plus en plus d'engins : plus de 260 ont été désorbités dans cette zone de 1 500 kilomètres carrés. L'agence spatiale russe y a remisé plus de 190 satellites, les Etats-Unis 52, l'Europe huit et le Japon six, selon le décompte de Popular Science (en anglais), en 2016.

Le tombeau de Mir et (bientôt) de l'ISS

Le gisant le plus célèbre est sans doute la station Mir, qui s'est écrasée dans le Pacifique en 2001. Seulement 20 à 25 des 143 tonnes de la station spatiale russe ont survécu à la chute, selon la Nasa (en anglais). Plusieurs gros débris se sont disloqués en plein vol, illuminant le ciel des îles Fidji. Ils reposent désormais au fond de l'océan. "Plus un engin est gros, plus il y a de chances pour que certaines parties soient protégées par les autres et chauffent moins", déclare Benjamin Bastida Virgili.

Le "point Nemo" sera aussi le cimetière de la Station spatiale internationale (ISS). Il y a encore un peu de temps : sa mission doit s'achever au plus tôt en 2028. La date est régulièrement repoussée et les plans pour la rentrée contrôlée sont "revus régulièrement", indique la Nasa au site Space (en anglais). L'imposant vaisseau pèse 420 tonnes, quatre fois plus que Mir. Il ne se désagrégera donc pas totalement et de gros morceaux s'enfonceront dans le Pacifique.

"Il faudra beaucoup de poussée pour désorbiter l'ISS, mais nos moyens sont limités", prévient Benjamin Bastida Virgili. Résultat, la chute de la station prendra quelques secondes de plus que pour des objets plus petits. "Entre 100 et 80 km d'altitude, l'ISS commencera à tomber. Il lui faudra environ six minutes pour se crasher." Et reposer, aux côtés des autres satellites, dans ce tombeau sous-marin.

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