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Trois questions sur la greffe de l'utérus

Une transplantation d'utérus a permis à une femme, née sans cet organe, de donner naissance à un petit garçon.

Article rédigé par Carole Bélingard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une Suédoise a donné naissance à un bébé après avoir subi une transplantation d'utérus, a révélé la revue médicale "The Lancet", le 4 octobre 2014 (photo d'illustration). ( GETTY IMAGES )

"Fantastique", "grandiose", "extraordinaire" : la communauté scientifique n'a pas de mot assez fort pour saluer la naissance qui a suivi la transplantation d'un utérus en Suède. Cette première mondiale a été révélée par la revue médicale The Lancet (PDF en anglais), samedi 4 octobre. La mère, une Suédoise de 36 ans, est née sans utérus. Après une greffe, elle a accouché à trente et une semaines d'un petit garçon de 1,775 kg. D'autres greffes d'utérus ont été effectuées, notamment en Turquie et en Arabie saoudite, mais aucune n'avait abouti jusqu'ici à la naissance d'un enfant.

Cette transplantation est donc porteuse d'espoir pour de nombreuses femmes. En France, deux équipes médicales travaillent sur le sujet. "Cette greffe nous prouve que notre objectif est réalisable", explique à francetv info le docteur Pascal Piver, responsable du centre d'assistance médicale à la procréation du CHU de Limoges. Mais les autorisations sont en cours et "les délais sont longs", prévient-il. Francetv info revient sur les questions qui se posent après cette première mondiale.

1 Qui pourra bénéficier d'une transplantation d'utérus ?

Les femmes nées sans utérus ou dont l'utérus est détérioré… Environ une femme sur 4 000 ou 5 000 dans le monde naît sans utérus, selon Yves Ville, chef du service obstétrique de l'hôpital Necker, à Paris, interrogé par Ouest FranceCes femmes, atteintes de maladies génétiques, pourraient être candidates à une greffe d'utérus. Le professeur René Frydman, père scientifique du premier bébé éprouvette français, estime, au micro de France Info, qu'une centaine de femmes pourraient être demandeuses en France. 

"Mais il y a peu de femmes qui n'ont pas d'utérus, cela reste rare, nuance Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens, jointe par francetv info. En revanche, on peut imaginer que cela puisse s'élargir à beaucoup de femmes qui ont un utérus détérioré, à cause de fibromes [tumeurs bénignes], d'un cancer, d'une hémorragie consécutive à un accouchement..." Enfin, les spécialistes évoquent la greffe d'utérus comme une alternative à la gestation pour autrui (GPA).

… âgées de moins de 35 ans, du moins pour l'instant. 
Les femmes candidates à une greffe doivent être jeunes, estime le docteur Pascal Piver. "Pour un stade encore expérimental, la limite d'âge est fixé à 35 ans, car après il y a une baisse de la fertilité. Avant, les femmes sont capables de fournir elles-mêmes leurs ovocytes", détaille-t-il. Elisabeth Paganelli pense qu'à l'avenir, toutes les possibilités pourront être ouvertes, même pour les femmes qui ne produisent pas elles-mêmes leurs ovocytes. "De toute façon, l'embryon a été créé par procréation médicalement assistée (PMA). On l'implante ensuite dans l'utérus. On peut donc imaginer réaliser la fécondation à partir d'ovocytes qui ne sont pas ceux de la patiente", avance la gynécologue.

2 Dans quelles conditions peut-on donner son utérus ?

En Suède, la patiente a bénéficié d'un don d'une personne vivante. L'utérus transplanté provenait d'une amie de la famille âgée de 61 ans et ménopausée depuis sept ans. Par ailleurs, la jeune maman faisait partie d'un programme auquel participaient neuf Suédoises. Ces autres femmes ont bénéficié d'un don de leur propre mère. La greffe de mère à fille est logique, selon Elisabeth Paganelli : "Comme pour un rein, cela donne plus de chances à la greffe de réussir, car il y a le même groupe sanguin, les mêmes gènes. Cela évite les rejets. (…) Tant qu'affectivement tout a été bien décidé, cela ne me choque pas." René Frydman s'interroge toutefois : "Quelles peuvent être les relations entre la donneuse, en l'occurrence la grand-mère, la mère et l'enfant ? Elles peuvent être très positives, mais elles peuvent être très négatives. Il ne s'agit pas de dire oui d'un claquement de doigts. Cela mérite réflexion." 

Pascal Piver met lui aussi en garde. "Si la greffe ne marche pas, cela peut être dramatique, explique-t-il à francetv info. Les mères portent déjà la responsabilité de l'absence d'utérus de leur fille. Si la transplantation échoue, c'est alors un double échec." Il relève également d'autres limites aux dons venant de personnes vivantes. "Il faut que les donneuses s'assurent de faire le deuil de leur fertilité, prévient-il. Par ailleurs, si la donneuse est âgée, les vaisseaux de l'utérus seront aussi plus âgés. Et puis l'opération est lourde, elle peut avoir des conséquences sur la donneuse."

Les docteurs Pascal Piver et Tristan Gauthier mènent au CHU de Limoges les premières recherches françaises sur la greffe d'utérus à partir de donneuses mortes. Leurs travaux, notamment sur des brebis, ont montré qu'il était possible de prélever un utérus sur une donneuse en état de mort cérébrale sans mettre en danger les organes vitaux du corps (cœur, reins, foie…) afin de pouvoir les donner aussi, rapporte Le Figaro

3 Une telle opération est-elle coûteuse ?

La greffe de l'utérus est particulière car elle est éphémère. "C'est une greffe destinée non pas à garder un organe fonctionnel pendant des années, mais à permettre à des femmes d'avoir un, et pourquoi pas deux enfants", souligne Yves Ville dans Ouest France. Cela signifie qu'une fois la ou les grossesses menées à bien, l'utérus est retiré. Les traitements administrés à la patiente pour éviter un rejet de la greffe sont donc interrompus. 

Il est encore tôt pour évaluer le montant d'une greffe de l'utérus, car la technique en est au stade expérimental. Mais Pascal Piver assure qu'elle serait beaucoup moins coûteuse que d'autres greffes : "Ce qui coûte cher, c'est le traitement immuno-suppresseur. Le coût prend fin en même temps que la greffe." Néanmoins, Elisabeth Paganelli estime que la société doit arbitrer, car l'utérus n'est pas un organe vital. "C'est la collectivité qui paie. Pour les autres greffes, il y a un quota annuel. Il faudra définir quel sera le quota pour les greffes d'utérus, explique la gynécologue. Par ailleurs, sur la question de l'interruption des anti-rejets, la société devra aussi choisir : à combien d'enfants on s'arrête ?"

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