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Trois questions pour comprendre l'autorisation inédite de conservation du sang de cordon ombilical à titre préventif

Un couple a obtenu le droit de conserver les cellules souches contenues dans le sang du cordon de son bébé à naître. Une décision inédite remise en cause par les spécialistes.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le sang de cordon contient des cellules souches hématopoïétiques, qui produisent l'ensemble des cellules présentes dans notre sang. (MAXPPP)

C'est une première en France. Un couple a obtenu le droit de faire congeler le sang du cordon ombilical de son enfant à naître, au cas où il développerait une maladie grave. La justice française n'avait jamais autorisé la conservation, à des fins privées et par anticipation, d'un cordon ombilical. Cette décision du tribunal de grande instance de Grasse (Alpes-Maritimes) a été accordée au bénéfice du couple qui invoquait de lourds antécédents familiaux, notamment des cancers du pancréas et du foie.

Les cellules souches du cordon, dites hématopoïétiques, produisent l'ensemble des cellules présentes dans le sang (globules rouges et blancs, plaquettes, plasma). Ces cellules permettent de soigner certaines maladies, comme la leucémie. Mais leur usage à titre privé et par anticipation est contesté, et l'intérêt scientifique de la démarche est remis en cause par les spécialistes. Franceinfo vous explique pourquoi.

Pourquoi cette décision est-elle inédite ?

Actuellement, la loi française considère le cordon ombilical comme un déchet médical. Mais il est possible d'en faire don après l'accouchement. Un don anonyme et gratuit destiné à la collectivité. Il peut alors être utilisé dans un cadre scientifique ou thérapeutique, précise l'Agence de la biomédecine, qui gère le don et la greffe de sang de cordon et qui a créé le Réseau français de sang placentaire, un réseau de banques autorisées à stocker les prélèvements.

Par ailleurs, la loi de juillet 2011 relative à la bioéthique prévoit que "par dérogation, le don peut être dédié à l'enfant né ou aux frères ou sœurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement". Jusqu'à présent, cette dérogation n'avait concerné que des couples ayant des enfants déjà malades. C'est donc la première fois que l'on conservera à des fins privées et par anticipation un cordon ombilical. Dans son ordonnance datée du 21 novembre, la vice-présidente du tribunal de Grasse affirme que "les parents peuvent conserver les cellules du sang du cordon et du placenta au regard de nécessités thérapeutiques justifiées". Si cette décision venait à être confirmée par la Cour de cassation, elle pourrait faire jurisprudence.

Y a-t-il des enjeux pour la médecine ?

La greffe de sang de cordon est utilisée depuis 1988 pour traiter des maladies du sang (cancers, leucémies, lymphomes) et des maladies sanguines héréditaires de l'hémoglobine (drépanocytose, thalassémie). Elle peut aussi représenter une alternative à la greffe de moelle osseuse.

En conservant le sang du cordon ombilical de leur enfant à naître, le couple en question espère pouvoir le soigner un jour s'il venait à être malade. Une "conservation par anticipation", souligne leur avocat Me Emmanuel Ludot, auprès du Parisien. Il ajoute : "Les recherches avancent si vite que les cellules souches constituent un véritable potentiel de guérison. Peut-être un jour soigneront-elles des cancers du pancréas."

Mais les spécialistes remettent en question l'intérêt de la démarche des parents. A l'image de la professeure Eliane Gluckman, hématologue à l'hôpital Saint-Louis de Paris et chercheuse à l'Inserm. Elle a effectué la première greffe de sang de cordon ombilical. Contactée par franceinfo, elle dénonce une "aberration dénuée d'intérêt et de sens". "La loi permet déjà d'effectuer le prélèvement en cas d'indications thérapeutiques avérées. Et on l'utilise pour les greffes et la thérapie génique", poursuit la spécialiste. Elle s'insurge donc contre cette décision de justice "basée sur des spéculations et destinée à faire plaisir". 

Si on attendait des progrès à ce niveau-là, si on avait des espoirs, on conserverait le sang du cordon de tout le monde !

Eliane Gluckman, médecin et chercheuse

à franceinfo

Pourquoi cela pose-t-il un problème éthique ?

Au-delà de la pertinence scientifique de cette démarche, ce cas soulève des enjeux éthiques et financiers. En effet, pour conserver ces cellules, après l'accouchement, le cordon ombilical va être prélevé et congelé par une société britannique spécialisée et privée. "Un véritable marché lucratif", estime Eliane Gluckman. Le Conseil constitutionnel avait déjà eu à se prononcer sur l'utilisation du sang de cordon à des fins personnelles via des banques privées, en mai 2012, rappelle Allodocteurs. Il s'y était alors opposé, en l'absence de "fondements scientifiques" à la promesse d'un éventuel usage thérapeutique des cellules recueillies.

A cette occasion, le docteur Bertrand Weil, membre du Comité consultatif national d'éthique expliquait : "Il y a un million de banques de sang de cordon dans le monde qui sont majoritairement à usage personnel (dit "autologue" : le donneur étant le receveur) et très majoritairement à but lucratif et à publicités mensongères." Une position proche de celle de l'Agence de biomédecine, qui adresse une mise en garde claire sur son site : "Des sociétés à but lucratif font miroiter de possibles utilisations de sang de cordon dans le futur pour soigner son enfant avec ses propres cellules, dans le cas où il serait malade. Cette pratique ne repose actuellement sur aucun fondement scientifique. C’est pourquoi, en France, le prélèvement et la conservation à visée autologue sont illégaux et punis par la loi."

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