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Violences sexuelles : les associations "déçues" par la loi

Plusieurs associations de protection de l'enfant dénoncent la loi contre les violences sexuelles et sexistes, promulguée au début du mois d'août 2018. Dans le JDD du 20 août 2018, elles ont publié une tribune pour pointer les faiblesses de cette loi.  
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Lors d’un viol, certaines victimes sont tétanisées.

"On est déçus et en colère par rapport à ce qui avait été promis. La mesure phare, le seuil du non-consentement fixé à 15 ans, n’a finalement pas été reprise" déplore la Dre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie. La psychiatre, qui a signé une tribune parue le 20 août 2018 dans Le Journal du Dimanche, s’attriste de voir la nouvelle loi contre les violences sexuelles et sexistes promulguée. Selon plusieurs associations de défense des droits des mineurs, le texte ne prend pas en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.

"La notion de discernement est floue. Au final, on reste dans le subjectif"

Pour rappel, la "loi Schiappa" – du nom de la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes – prévoit quelques nouveautés. Premièrement, elle modifie la définition du viol, qui est désormais considéré, sur le plan juridique, comme "tout acte de pénétration sur la personne d'autrui et sur la personne de l’auteur". Cela signifie, par exemple, qu’une personne qui impose une fellation sur le pénis d’une autre personne pourra être considérée comme l’ayant violée. Ensuite, la loi Schiappa allonge le délai de prescription d’un viol à 30 ans. Enfin, la contrainte ou la surprise – nécessaires pour qualifier un viol – seront désormais caractérisées par un abus de vulnérabilité de la victime de moins de 15 ans. Cet abus de vulnérabilité doit être prouvé par l’absence de "discernement" chez la victime.

C’est là, entre autres, que le bât blesse pour les associations et les experts. "La précision de 15 ans dans la nouvelle loi est présentée comme une avancée. Mais ce n’est pas le cas : les magistrats auront toujours à évaluer au cas par cas le discernement de l’enfant dans un premier temps. Puis, s’ils jugent que l’enfant avait une absence de discernement, ils devront en plus caractériser l’abus de vulnérabilité pour que la contrainte ou la surprise soient retenue", explique la Dre Salmona. Pour Stephanie Lamy, signataire de la tribune et cofondatrice du Collectif "Abandon de famille, tolérance zéro", il n’y a donc rien de réellement nouveau : "En réalité, les éléments permettant de caractériser la contrainte correspondent à la jurisprudence telle qu’elle est actuellement appliquée."

Un point de vue partagé par plusieurs juristes. Parmi eux, Jean-Pierre Rosenczveig. L'ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny considère cette loi comme "une escroquerie", qui ne facilitera pas le travail de la justice. "Désormais, on devra prouver le non-consentement de la victime par son absence de discernement. Mais la notion de discernement est floue. Au final, on reste dans le subjectif."

Entretien avec Jean-Pierre Rosenczveig diffusé le 15 mai 2018.

"Tout rapport sexuel entre un adulte et un enfant doit être analysé comme une violence"

Il sera par ailleurs toujours aussi difficile de prouver qu’un mineur n’a pas consenti à un acte sexuel. Tout d’abord, l’effet de sidération est très rarement pris en compte. Pourtant, en réaction à l’angoisse extrême subie lors d’un viol, certaines victimes se retrouvent tétanisées, et cette absence de réaction est interprétée par les juges comme du consentement.

Pour qu'un viol soit plus facilement reconnu par la justice, les associations ont émis plusieurs propositions, dont la création d’une présomption de non-consentement absolu chez les mineurs de moins de 15 ans. Néanmoins, le gouvernement l’a rejetée, le Conseil d’Etat ayant jugé cette mesure inconstitutionnelle. Les associations ont alors proposé de contourner le problème via une nouvelle notion : celle de crime spécifique sur les enfants de moins de 15 ans, qui existe dans plusieurs pays. Mais cette idée a, elle aussi, été rejetée par le gouvernement. "On nous a encore une fois opposé l’argument de la présomption de culpabilité ", déplore Stephanie Lamy, cofondatrice du Collectif "Abandon de famille, tolérance zéro". Pourtant, d’après elle, la plupart des experts juridiques de la protection de l’enfance recommandent la création d’un tel crime, car "c’est le texte qui leur manque". Jean-Pierre Rosenczveig confirme : "Il faudrait que tout rapport sexuel entre un adulte et un enfant soit analysé comme une violence. Pour des raisons qui m’échappent, ça n’a pas été fait."

De lourdes séquelles psychiques

Pour la Dre Salmona, il y a donc une faille majeure dans la justice française. "De grandes conventions internationales, même l’Organisation mondiale de la santé, reconnaissent qu’une relation avec un enfant est un viol. Il n’y a pas de consentement possible" s’indigne-t-elle. Et pour cause : la sexualité précoce a des conséquences tragiques sur le développement. Le mineur violé est grandement affecté sur le plan physique et mental. Ce traumatisme peut se traduire, à l’âge adulte, par des dépressions répétées ou des conduites à risque. Pire encore : la victime reproduit parfois les agressions et les viols qu’elle a subis.

Aujourd’hui pourtant, les arguments des associations sont balayés d’un revers de main par le secrétariat à l’Egalité entre les femmes et les hommes. Récemment, une infographie réalisée par Muriel Salmona à partir de données fournies par l’Ipsos a été relayée par le gouvernement sur Twitter, barrée de la mention "fake". "Vous pouvez être sûrs que les agresseurs vont s’emparer de cela pour jeter le discrédit sur les associations", regrette Stephanie Lamy. "Cette attitude met en péril les victimes, car dans le cas de procès, on va dire que les arguments des associations sont des fake news", conclut Muriel Salmona.

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