Les internes en médecine victimes d'un sexisme quotidien
Du 2 septembre au 16 octobre 2017, l’ensemble des internes en médecine Français a été invité à répondre à un questionnaire en ligne relatif au sexisme auxquels ils ou elles sont confrontés à divers degrés – des remarques et des blagues stéréotypées jusqu’aux faits de discrimination, de harcèlement ou de violence. Cette enquête de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) a reçu près de 3.000 réponses, dont trois quarts émanant de femmes. Olivier Le Pennetier, président de l’ISNI, nous détaille ces résultats.
Pourquoi l’ISNI a-t-elle lancé cette enquête ?
Olivier Le Pennetier – L’enquête a été lancée avant l’affaire Weinstein, et non pas en réaction. Elle s’inscrit dans le cadre d’enquêtes menées par l’INSI sur les conditions de travail des internes, comme l’an dernier sur la santé au travail, et le burn-out ou le risque suicidaire de nos collègues. Ici, le but est de dénoncer le sexisme dans les couloirs de l’hôpital, de casser les tabous, de permettre d’en parler. Cela permet de dire : "ça existe", et de montrer aux victimes qu’elles ne sont pas seules. Il n’y a jamais eu aucune enquête menée sur le sexisme à l’hôpital en France. Il s’agit aussi d’objectiver la situation aujourd’hui, faire une photographie. Si des mesures sont prises, nous pourrons voir si elles ont un effet.
Concernant les formes "quotidiennes" de sexisme, quels sont les principaux résultats de l’enquête ?
Olivier Le Pennetier – Seuls 14% des participants n’ont déclaré "aucun sexisme au quotidien". 47% se déclarent victime de cette forme de sexisme. Les 39% restants ne se déclarent pas victimes mais, lorsque l’on analyse le détail de leurs réponses, elles subissent clairement le sexisme. Il y a une espèce de normalisation, de banalisation, d’actes de sexisme, et beaucoup de ceux qui les subissent ne se rendent même pas compte de ce qu’est le sexisme. Il se rencontre aussi bien à l’université qu’à l’hôpital, où des médecins vont tenir des propos déplacés. Dans un quart des cas, ces propos sont tenus au bloc opératoire et renvoient à la représentation selon laquelle chirurgien n’est pas un métier pour une femme : "les opérations durent 7 heures, tu vas pas pouvoir rester debout autant…", "tu ne vas pas gérer le stress", "tu ne vas pas sauter un repas", "tiens bien les écarteurs, comme un homme !"… ce genre de choses, qui minimisent les capacités des personnes. Et nous ne parlons ici que de sexisme – il y a aurait à dire sur d’autres discriminations, homophobie, racisme, etc.
Selon vous, l’hôpital est-il un milieu professionnel où le sexisme s’exprime plus qu’ailleurs ? L’ambiance de certaines "salles de garde" est parfois dénoncée comme le reflet d’un "sexisme" propre à l’hôpital…
Olivier Le Pennetier – Difficile de se comparer à d’autres milieux, car peu de professions ont osé se poser la question. Notre point de comparaison est plutôt avec des enquêtes menées dans d’autres pays, essentiellement outre-Atlantique. Les constats dressés sont les même. Notons que le sexisme peut toucher absolument tout le personnel hospitalier, et pas seulement les internes. Concernant la question des internats, ou "salles de garde", ce sont des lieux un peu compliqués à cerner, car c’est très difficile à généraliser : à l’échelle du territoire, dans beaucoup de ces salles il ne se passe rien de particulier, dans d’autres il y a des fresques sexistes, d’autres franchement pornographiques. L’important nous semble être [que les internes] puissent en parler, que la parole soit libre sur ce sujet. Mais notre enquête montre une chose : ce n’est absolument pas dans ces lieux que les évènements rapportés sont les plus fréquents. La raison est simple : les principaux auteurs des agissements ne sont des médecins et supérieurs hiérarchiques, qui ne vont donc pas dans ces internats.
Qu’en est-il des formes de sexisme relevant du harcèlement ?
Olivier Le Pennetier – Dans notre enquête 8,6% des répondants décrivent des faits de harcèlement au sens défini par la loi. Comme pour les faits de sexisme quotidien, on voit ici que 6,6% se déclarent victimes, et que 2% ne s’identifient pas comme victime, alors même que les réponses au questionnaire caractérisent cette situation. L’essentiel des déclarations émanent de femmes – seuls cinq cas concernent des hommes. Ce harcèlement prend de nombreuses formes. Dans la moitié des cas, on parle de gestes non désirés : ce vont être des situations tandancieuses, ambiguës, des mains qui passent un peu trop près des seins de l’interne durant une opération au bloc. Dans 15% des cas, on est face à des "contacts physiques non-désirés", c’est-à-dire, pour être très clair, des mains au fesses, des baisers non sollicités, des vêtements que l’on dégrafe dans le bloc pour dévoiler les seins de l’interne, etc. Dans 9% des cas, il s’agit de simulation d’actes sexuels, dans 14% de demandes insistantes de relations sexuelles, et dans 12% de chantages à connotation sexuelle. Les auteurs de ces agissements sont essentiellement des médecins et des supérieurs hiérarchiques (48%), dont 10% de chefs de service, et dans 28% d’autres confrères. Une procédure juridique n’est intiée que dans 0,15% des cas.
Votre enquête évoque les conséquences du sexisme sur les choix professionnels des victimes...
Olivier Le Pennetier – Oui. Ces situations de sexisme et de harcèlement ont une influence sur le choix de spécialité, ou le choix de carrière, des victimes. Au vu de l’ambiance dans un bloc opératoire, certaines femmes qui y font leur externat pourront se dire : si ça se passe comme ça je ne veux pas devenir chirurgienne. Statistiquement, les hommes choisissent plus la chirurgie ou les spécialités médicales que les femmes. On peut tout de même penser qu’il y a un lien… Mais cela renvoie aussi à un problème plus profond, ce que l’on appelle le "plafond de verre", c’est-à-dire les contraintes d’accès aux femmes pour les postes à responsabilité (chef de service, présidence d’une commission médicale d’établissement, un poste de chercheur…). Cela se voit très bien au niveau de la fin de l’internat, où les internes ont la possibilité d’accéder à un Master 2, pour ceux qui envisagent une carrière hospitalo-universitaire. Les hommes ont plus de proposition de master, plus de proposition de postes de poste de chef de clinique assistant, que les femmes. Certains répondent que "les femmes ne veulent pas ces postes", mais cela traduit justement moins de volonté, plus d’autocensure, et donc ce réel plafond de verre : les femmes n’osent mm pas imaginer qu’elles puissent devenir chef de service. C’est un conditionnement du sexisme, dès l’enfance, qui veut que la femme n’ait pas de poste à responsabilité…
la rédaction d'Allodocteurs.fr
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