Ablation de la prostate et dysfonction sexuelle : ni systématique, ni irréversible
L'ablation totale de la prostate et des vésicules séminales supprime définitivement l'éjaculation, mais s'accompagne également parfois de dysfonctionnements érectiles. Ceux-ci ne sont ni systématiques, ni irréversibles, nous explique le Pr François Desgrandchamps, chef du service d'urologie à l'hôpital Saint-Louis, à Paris, qui revient également sur les traitements efficaces... et ceux qui ne le sont pas.
L'ablation totale de la prostate et des vésicules séminales (prostatectomie radicale) peut être associé à des troubles de l’érection à court et moyen terme. Cet effet secondaire n’est pas "automatique", mais reste indéniablement fréquent - les statistiques issues d'études prospectives sont toutefois très hétérogènes [1], du fait de la variabilité des critères retenus pour caractériser ces dysfonctions (érection totale ou partielle, durée de suivi des patients…) et de l’évolution rapide des techniques, qui améliorent le pronostic.
"Aujourd’hui, on estime que 40% à 50% des patients conservent l’érection à l’issue de la chirurgie", nous détaille le Pr François Desgrandchamps, chef du service d'urologie à l'hôpital Saint-Louis (Paris).
Le risque de trouble érectile varie "en fonction de plusieurs paramètres, qui sont l’âge du patient ou son niveau d’activité sexuelle avant l’opération, la motivation de la vie sexuelle, et la préservation des terminaisons nerveuses durant l’opération", poursuit l’urologue. Il souligne que le type d’intervention (par laparoscopie, à "ciel ouvert", par robot) n’a aucune influence sur les fonctions sexuelles, "contrairement à ce qui était notamment avancé par les promoteurs des robots chirurgicaux". "Il y a un réseau de petits nerfs qui entoure la prostate qui joue un rôle important dans la fonction érectile, et les différentes techniques chirurgicales sont équivalentes pour ce qui est de leur préservation".
Angoisse par anticipation
La dysfonction érectile "angoisse beaucoup les patients, par anticipation", poursuit le Pr Desgrandchamps, qui insiste sur la nécessité d’accompagner psychologiquement les personnes chez qui la prostactectomie radicale va s’avérer nécessaire. La prostatectomie radicale va faire disparaître l’éjaculation, ce qui peut être source d’un sentiment de "dévirilisation". "Souvent, les hommes font un raccourci entre désir et érection, entre orgasmes et éjaculation, or c’est une erreur".
Concernant l’orgasme, une récente étude [2] démontre que l’âge du patient ou son niveau d’activité sexuelle avant l’opération, ainsi que la motivation de la vie sexuelle, sont là encore les principaux critères de maintien ou de réapparition rapide. "La préservation des terminaisons nerveuses n’entre évidemment pas en compte, car les différentes fonctions sont dissociées", explique l’urologue. "Non seulement la fonction orgasmique est le plus souvent préservée, mais nos patients soulignent qu’elle est parfois intensifiée, avec des réactions très forte aux caresses". Il note que, suite à une prostatectomie radicale, "l’orgasme s’accompagne dans 20% à 50% des cas de petites fuites urinaires", auquel cas des rapports sexuels "à vessie vide, ou avec préservatif" sont suggérés aux patients.
En cas de disparition de la fonction érectile suite à une prostatectomie radicale, il est important que le patient laisse faire le temps. "Il faut parfois neuf, douze, dix-huit mois, et jusqu’à deux ans avant que la fonction érectile réapparaisse", explique le médecin, pour qui de tels délais s’explique en partie par des facteurs psychologiques.
"Durant les trois premiers mois après l’opération, le patient vit généralement dans l’angoisse du cancer. Il y a tellement de frayeur que la sexualité est le plus souvent occultée. Lorsque le PSA est indosable trois mois après l’opération, cette angoisse se dissipe peu à peu. De plus, il faut que le patient ait confiance en soi lorsqu'il est nu. De petites fuites urinaires sont courantes dans les mêmes premiers mois. Il faut donc au moins six mois après l’opération avant que les conditions soient à peu près favorables", explique le Pr Desgrandchamps.
Un raccourcissement mécanique de la verge après l’opération - phénomène presque incontournable mais transitoire, selon une récente étude japonaise - peut contribuer aux appréhensions du patient durant les premiers mois.
Des traitements efficaces
Il est également possible de proposer divers traitements pour aider au rétablissement de la fonction érectile. Leur première utilité est d’aider les patients à ne pas rentrer dans une spirale de l’échec face à leur vie sexuelle. "On propose aujourd’hui une « réhabilitation systématique », basée sur la prise de médicaments (type sildenafil) avant le coucher [plusieurs soirs par mois], hors de toute relation sexuelle. L’objectif théorique est de permettre une oxygénation de la verge, de réduire le risque d’une fibrose cellulaire en sollicitant l’organe. Mais il n’est aujourd’hui pas certain que sur ce point, [cette stratégie] soit plus efficace qu’une prise de médicaments « à la demande », c’est-à-dire avant les seuls rapports sexuels. Toutefois, le constat d’érections nocturnes permet de reprendre confiance sur le futur de sa sexualité."
Les médicaments oraux ne sont pas les seuls traitements qui peuvent être proposés aux patients. Tout d’abord, les injections de prostaglandines dans la verge. Le Pr Desgrandchamps estime que "même si le traitement est prescrit, rares sont les hommes qui semble y avoir recours, car beaucoup estiment que ce n’est pas romantique, que ça fait mal, que ça déshumanise l’acte… Ils gardent le traitement dans un tiroir « au cas où »."
L’urologue évoque les dispositifs d’aspiration (ou vacuum), qui attirent le sang dans la verge, un anneau servant à empêcher que celui-ci ne reflue. "Très peu populaire en France, ils sont beaucoup plus courants dans les pays nordiques."
Dernière option, parfois proposée, lorsque toutes les autres solutions ont échouées : les prothèses péniennes.
Concernant les autres stratégies thérapeutiques parfois médiatisées, l’urologue reste des plus sceptiques. Concernant l’utilisation "d’un gel urétral [à appliquer à l’extrémité du pénis]", il évoque "un grand flop" : "Il y a eu énormément de publicité autour de cela, alors qu’en réalité, les résultats ne sont pas ébouriffants". Il exprime également de très grandes réserves quand aux annonces faites autour des injections de cellules souches. "Les études sont caractérisées par leur grande faiblesse : elles font état d’un retour de l’érection dans l’année chez une partie des patients, alors même que cela est tout à fait normal." Il critique vivement la médiatisation "de petites études destinées à évaluer la toxicité de l’intervention, présentées à tort comme un élément probant de l’efficacité de cette technique".
Le Pr Desgrandchamps souligne ce qui est, pour lui, l’information la plus importante relative à la prostactectomie radicale : "cette opération peut avoir une incidence réelle sur la vie des hommes, aussi il est important de n’opérer que les gens qui en ont vraiment besoin." Il juge important d’accompagner psychologiquement les patients en amont de ces interventions qui nourrissent énormément d’appréhensions.
[1] Une synthèse d’études publiée en 2001 notait ainsi que le taux de trouble érectile était de "33 à 98%". ( C.P. McPherson et al. "Quality of life in patients with prostate cancer." Seminars in Ontology Nursing. Vol 17, N°2. 2001. pp 138-146 ) Selon des données publiées l’année suivante, le taux de dysfonctionnements un an après une opération par laparoscopie est aujourd’hui inférieur à 50%. (L. Salomon et al. Urinary continence and erectile function: a prospective evaluation of functional results after radical laparoscopic prostatectomy. Eur Urol. 2002 Oct;42(4):338-43.)
[2] Voir notamment : K. Du et al. "Orgasmic function after radical prostatectomy." J Urol. Mars 2017. doi:10.1016/j.juro.2017.03.118.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.