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Maisons de retraite privées : "Il faut qu'il y ait une régulation par les pouvoirs publics", plaide Frédéric Bizard, professeur d’économie

La parution du livre-enquête "Les Fossoyeurs", écrit par le journaliste indépendant Victor Castanet, met en lumière les dérives très lucratives de certains Ehpad privés et propose une réflexion sur la prise en charge des personnes âgées et dépendantes, victimes de politiques de réduction des coûts. 

Article rédigé par franceinfo
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Une maison de retraite près de Strasbourg. Image d'illustration (LAURENT REA / MAXPPP)

"Il faut qu'il y ait une régulation par les pouvoirs publics" sur les Ehpad, a plaidé mardi 25 janvier sur franceinfo Frédéric Bizard, professeur d’économie à l’ESCP Business School, président-fondateur de l’Institut Santé, alors qu'un livre-enquête "Les Fossoyeurs" - à paraître mercredi chez Fayard – signé Victor Castanet, livre une plongée inquiétante dans les secrets du groupe Orpéa, leader mondial des Ehpad et des cliniques privés. Le système "n'est pas régulé", dénonce Frédéric Bizard. Il y a donc "un risque de dérive" quand "un groupe mondialisé" doit avoir "des retours sur investissement". Selon le professeur d'économie, "il faut décentraliser les autorisations" données aux Ehpad. Il est favorable à "réinventer le modèle" actuellement en place.

franceinfo : Comment percevez-vous les révélations de l'enquête ?

Frédéric Bizard : Malheureusement, ce n'est pas une grande surprise. Il y a un vrai délitement dans ce secteur des personnes âgées. Je rappelle qu'il y avait une loi sur le grand âge qui était attendu pour essayer d'y remédier. Et malheureusement, elle n'a pas pu être mise en place. Je ne me prononcerai pas sur cette société en particulier. Mais on sait qu'il y a des dérives qui sont liées au modèle économique et à l'absence de régulation. Lorsque vous êtes un groupe privé à but lucratif, vous avez trois composantes du modèle économique qui sont les soins, les services liés à la dépendance et l'hébergement. Vous n'avez qu'une seule composante sur laquelle vous pouvez avoir une marge, c'est l'hébergement, avec un prix libre à la journée pour les nouveaux arrivants et une liberté complète d'organiser tous ces services. Donc forcément, on est dans un système qui n'est quasiment pas régulé. On est dans un risque de dérive, du fait du système, qui s'accroît lorsque vous avez un groupe mondialisé, ultra financiarisé, avec des fonds qui exigent des retours sur investissement importants. Donc on sort totalement d'une logique de service public qui, selon moi, doit quand même primer dans ce type de service, même si c'est délivré par un secteur privé. Il faut qu'il y ait une régulation par les pouvoirs publics qui évitent ce type de dérives.

Le livre pointe les pouvoirs des ministres de la Santé. C'est un problème ?

Il faut décentraliser ces autorisations, soit au conseil départemental, soit à une autre structure. Mais il faut éloigner le politique, le ministre, de ce type de décision. Il faut clarifier les rôles entre l'Etat, les conseils départementaux et la Sécurité sociale, qui payent largement. Il faut rattacher ce secteur à la santé. On s'est trompé en créant une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée au grand âge. Parce que le grand âge, c'est la santé. C'est une politique de prévention. Les Ehpad ont apporté une amélioration au début des années 2000. On est passé des hospices aux Ehpad. Les Ehpad étaient vus comme une vraie innovation. Mais le modèle est complètement à réinventer depuis dix ans. Il faut créer des résidences intermédiaires. Il faut que ce soit la personne âgée qui ait le choix entre plusieurs modèles. Aujourd'hui, c'est soit le domicile, soit l'Ehpad. Donc forcément, vous avez un rapport de force qui est très favorable aux Ehpad, parce qu'on a l'impression que nous n'avons pas le choix. Beaucoup de pays développés ont développé d'autres structures qui permettent de donner le rôle à l'Ehpad qu'il doit avoir, c'est-à-dire le rôle de dernier recours. Là, vous avez plus d'un tiers des personnes qui sont dans les Ehpad qui n'ont rien à y faire.

Est-ce qu'il faut une autorité indépendante pour contrôler tous les Ehpad, publics comme privés ?

Je pense qu'il faut repenser la gouvernance. Qui donne les autorisations ? Et qu'il n'y ait pas plein de conflits d'intérêts ou de risques de pression. L'Etat doit définir un cahier des charges claires sur les conditions d'encadrement, les conditions d'aménagements, la régulation des tarifs. Et puis, il faut qu'il y ait des opérateurs publics. L'assurance maladie, qui est largement payeur dans cette affaire, doit jouer un rôle, notamment avec la Caisse primaire d'assurance maladie, pour s'assurer qu'il ait bien le respect du cahier des charges. Les départements jouent le rôle d'accompagnateurs. C'est le pivot social. Lorsque vous avez un problème de dépendance, il faut que vous ayez un panel de services qui intègre les Ehpad, et qui permette d'avoir une certaine liberté de choix de la personne là où elle se sent le mieux pour y demeurer.

Est-ce qu'il y a des inspections dans ces établissements ?

Pas assez en tout cas. C'est plutôt sur des révélations scandales que les agences régionales de santé [ARS] vont essayer de mettre de l'ordre. Il faut revenir à un système avec des inspections qui soient suffisantes, mais aussi un cahier des charges qui soit suffisant. Parce qu'on savait que certains groupes ont un budget journalier pour la nourriture de 5 à 6 euros. Donc il n'y a pas besoin de faire beaucoup d'inspections pour comprendre que, lorsque vous êtes une personne âgée qui a donné une importance forte, à ces moments de la journée, quand vous avez de telles restrictions, la qualité de vie dans ces établissements n'est pas à la hauteur de ce que l'on peut en attendre.

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