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"On l'a attendu pendant neuf mois et quand il est là, on regrette" : comment le burn out parental a bouleversé leur vie

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
D'après la première étude sur le sujet, 5 à 8% des parents belges seraient touchés par un burn out parental. (SOLSTOCK / GETTY IMAGES)

La première étude consacrée à ce syndrome, encore peu connu, vient de paraître. Comment l'identifier ? Comment s'en sortir ? Des mères racontent leur histoire à franceinfo. 

"Mon aîné aurait pu partir plusieurs semaines qu'il ne m'aurait pas manqué, tant je suis à bout." Depuis la Belgique, Fanny confie par téléphone son épuisement. A 38 ans, elle élève seule ses trois enfants depuis le décès de son mari, il y a trois ans.

Un épuisement intense qu'a connu Claire et qui l'a conduit, alors jeune maman depuis six mois, à l'hôpital pendant plusieurs jours, en août dernier. Sous traitement, les trois mois de son congé maternité ne lui ont pas suffi : "Quand on a passé trois mois à ne pas dormir, à s'occuper uniquement de son enfant, on est vraiment pas prête, souffle cette maman habitante de La Réunion. Quelqu'un privé de sommeil pendant des mois devient fou." Un état d'épuisement, souvent accompagné d'autres symptômes, qui porte un nom : le burn out parental.

"Des ascenseurs émotionnels en permanence"

En Belgique, entre 5 à 8% des parents seraient actuellement touchés, d'après la première étude menée sur le sujet. Depuis 2015, Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, toutes deux docteures en psychologie, professeures et directrices de recherche sur le burn out parental à l’UCLouvain, s'intéressent à ce syndrome qui touche ces adultes exposés à un stress chronique impossible à réguler pour eux.

>> Epuisement, isolement, sautes d'humeur... Sept signes qui doivent vous alerter sur le burn-out parental 

Parmi les symptômes : un long épuisement physique et psychique, des troubles du sommeil, de l'alimentation et du désir, un isolement progressif, des sautes d'humeur et jusqu'à des violences à l'égard de leur entourage et de leur enfant. "Cela a commencé par une fatigue générale, un ras-le-bol de tout, de faire continuellement les mêmes choses sans reconnaissance", se rappelle Marlène, maman de trois enfants en bas âge, près d'un mois après son effondrement.

J'étais à bout, incomprise et moi-même je ne comprenais pas mon comportement. Pourquoi je n'y arrivais plus ?

Marlène, mère de trois enfants

à franceinfo

Pour Claire-Marie Best, docteure en psychologie à Meudon, le burn out parental s'exprime surtout par la difficulté à réguler ses propres émotions. "C'est considéré comme un épuisement à la tâche parentale, physique et émotionnel, parce que le contexte change et qu'on a du mal à faire la régulation émotionnelle", explique-t-elle. D'une colère froide, les parents concernés peuvent s'excuser en larmes auprès de leurs tout-petits juste après. "Je me mettais dans une colère noire, au point de l'enfermer dans sa chambre et moi dans la mienne, pour aller crier dans mon oreiller, témoigne Marie, 27 ans. C'étaient des ascenseurs émotionnels en permanence."

Dépassés par les tâches du quotidien et épuisés, les parents parviennent au stade dit de "distanciation affective", comme l'a vécu Claire en août dernier : "On ressent l'envie de s'éloigner de son enfant alors qu'on vient de lui donner naissance, on se dit qu'on aurait pas dû."

Vous ne mangez plus, vous vomissez, vous avez mal au ventre, plus rien n'a de sens, vous avez besoin d'aide et de quitter ce qui crée ce contexte très angoissant.

Claire, maman d'une petite fille d'un an

à franceinfo

D'après l'étude menée par Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, le burn out parental multiplie par 13 le risque de négliger ses enfants et par 20 le risque de les violenter.

Evolution de la société et réseaux sociaux

Psychanalyste depuis trente-sept ans à Boulogne-Billancourt, Liliane Holstein constate "depuis quatre ou cinq ans une augmentation phénoménale des consultations pour épuisement parental", ce qui se manifeste par une dépression massive des parents. Pour l'auteure de Burn out parental, cette explosion de l'épuisement parental est symptomatique de notre société, qui accorde une place "primordiale" à l'enfant depuis les années 1980-1990. Les parents du XXIe siècle "sont dans une course à la perfection pour être aimés par leurs enfants, qu'ils ne manquent de rien. Ce qui fait qu'il n'y a jamais de détente du matin jusqu'au soir", détaille la psychanalyste.

Sans oublier que les réseaux sociaux peuvent aussi pousser certains parents dans une course à la perfection. "Certains comptes sur Instagram ou Facebook renvoient l'image d'une parentalité parfaite, souligne Moïra Mikolajczak avant d'appeler à la création "d'un climat de bienveillance".

Il faut arrêter de poster des photos parfaites car elles peuvent créer des situations de stress pour les autres parents.

Moïra Mikolajczak, chercheuse en psychologie

à franceinfo

D'autant que ces images peuvent cacher une vraie souffrance. En août dernier, quand rien ne va plus, Marie, mère d'un bébé de 16 mois, publie ainsi successivement deux posts sur Instagram où elle parvient à poser des mots sur ce qui lui arrive. En échangeant avec les mamans qui lui répondent, elle découvre que ces femmes en souffrance "affichent une famille parfaite sur leurs pages". Aujourd'hui, Marie fait attention à ce qu'elle publie : "J'en ai marre de voir cette vie parfaite sur les réseaux parce que ce n'est pas parfait d'avoir un enfant, il y a des hauts mais on ne montre jamais les bas, c'est très culpabilisant."

Pour autant, rien n'indique que nos aînés, dont la durée de travail était supérieure à la notre, étaient moins sujets au burn out parental. "Tant que ça n'avait pas été étudié, on ne savait pas que ça existait, affirme Moïra Mikolajczak. Alors que ça existait avant, mais la différence est que ça concernait essentiellement les femmes et maintenant, on a un tiers d'hommes concernés." Exerçant depuis vingt ans, Claire-Marie Best identifie une recrudescence "sans précédent" depuis 2005 de jeunes parents qui viennent consulter. "Je vois des jeunes pères de 25-30 ans, ils ont envie d'être très présents auprès de leurs enfants et la nouvelle génération se questionne beaucoup" sur la manière de concilier vies professionnelle et familiale.

Le problème du diagnostic

Reste que malgré des études plus nombreuses sur le sujet, le burn out a encore du mal à être diagnostiqué comme a pu le constater Claire. Alors que son bébé est malade et pleure sans cesse, elle décide de se confier à son médecin : "Madame, si vous ne supportez pas d'entendre un bébé pleurer, il ne fallait pas en faire", lui répond le spécialiste qui lui prescrit des médicaments pour retrouver le sommeil.

A la différence de la dépression, maladie psychiatrique bien identifié, le burn out parental "n'est pas référencé, ce n'est pas diagnostiqué sur le plan médical, on n'a pas de critère spécifique", souligne Claire-Marie Best, docteure en psychologie. Et quand certains praticiens parviennent à le diagnostiquer, le traitement n'est pas toujours adapté comme le souligne Marlène qui s'est vu prescrire trois semaines d'arrêt par son médecin. "Trois semaines à la maison ! Mon pire cauchemar !" souffle celle qui a fini par trouver refuge dans son travail.

Chacune des femmes interviewées par franceinfo s'est aussi vue prescrire des anti-dépresseurs. La plupart ont refusé, ne se sentant pas malades, et se sont tournées vers des médecines alternatives, comme l'homéopathie ou la sophrologie. D'autres, comme Marie, se sont "auto-diagnostiquées", en lisant. Aujourd'hui, des applications comme Dr Mood peuvent aider à tirer la sonnette d'alarme et éviter de se retrouver dans des situations extrêmes pour réagir. "Pour les mères touchées, il n'y a pas d'arrêts de travail, soupire Stéphanie Allenou, auteure de Maman épuisée. On attend qu'elles se présentent aux urgences ou au commissariat avec leur(s) enfant(s) pour réagir."

"On a le droit de dire : 'stop, j'ai besoin d'aide'"

Pourtant, des solutions existent. C'est l'enseignement majeur de l'étude conduite par les deux chercheuses belges : une fois que le parent parvient à identifier sa souffrance, il peut rapidement se rétablir. Moïra Mikolajczak insiste : "En deux mois, il y a des moyens pour s'en sortir, alors que des gens ont failli en mourir ou qu'ils sont enfoncés là-dedans depuis deux ans. Il faut se soigner, pour soi et ses enfants et ça fonctionne."

Dès lors qu'on constate que le parent est en souffrance, ce qui peut aller jusqu'à des pensées suicidaires et la volonté de quitter le foyer, la question du traitement se pose.

Moïra Mikolajczak, professeure et directrice de recherche sur le burn out parental à l'UCLouvain

à franceinfo

De plus en plus de patients en état d'épuisement émotionnel viennent consulter Claire-Marie Best : "Ce qui peut les aider, c'est un accompagnement pour savoir ce qui est important, définir les priorités qui comptent et pas celles qui faut avoir, analyse-t-elle. Il faut les aider à prendre du recul et à mieux gérer leurs émotions."

La solution la plus efficace, souligne toujours l'étude, est la participation à des groupes de parole avec d'autres parents. "Quand il n'y a plus de mots, c'est le corps qui parle : soit on s'écroule, soit on frappe ses gamins, soit c'est les deux", affirme Stéphanie Allenou, fondatrice d'une association de soutien à la parentalité, l'Ilôt Familles. Poser des mots permet aussi aux parents en souffrance de se rendre compte qu'ils ne sont pas tous seuls, de déculpabiliser et de trouver une issue. Après son burn out, Stéphanie Allenou a donné naissance à un quatrième enfant, en restant toutefois sur ses gardes : "Je ne me sens pas complètement à l'abri mais je me sens bien armée, j'ai les ressources et je sais où aller chercher de l'aide", confie celle qui dirige également un lieu d'accueil parents-enfants à Nantes.

Car oser aller chercher de l'aide, apparaît comme la solution la plus efficace comme le souligne Claire : "On va ressentir, à un moment, ce bonheur d'avoir cet enfant. Parce quand on l'a attendu pendant neuf mois et que, quand il est là, on regrette, on se dit pourquoi j'ai fait ça, on culpabilise alors que ça va passer, glisse la jeune femme. Il faut arrêter de penser que tout est inné, que tout est facile et, en tant que jeune parent, on a le droit de dire 'stop, j'ai besoin d'aide'."

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