Mémoriser des sons pendant son sommeil, c’est possible
Rien de plus insupportable que le bruit d’une radio qui ne capte pas. Parce qu’il vous empêche de chanter votre tube préféré en playback, mais aussi car son écoute n’est pas très agréable. Des chercheurs français ont pourtant diffusé des bruits blancs, presque l’équivalent du brouhaha émis par une radio, à des sujets endormis. Un procédé qui n’a pas réveillé les dormeurs mais qui a permis de mieux comprendre le fonctionnement de l’apprentissage pendant le sommeil.
L’étude, menée par trois équipes (1), a été publiée mardi 8 août dans la revue Nature Communications. Pendant toute une nuit, des bruits blancs ont été presentés à une vingtaine de personnes, ce qui représente près de 200 heures d’activité cérébrale. "Ce sont vraiment des sons aléatoires, sans aucune prédictibilité", précise Thomas Andrillon, l’un des auteurs. Il compare ce bruit particulier à la lumière blanche : "Le bruit blanc représente la superposition de façon égale de toutes les fréquences auditives."
La personne endormie, quand ce bruit blanc lui est diffusé en succession, va "très rapidement entendre un son, comme s’il se détachait d’un arrière-plan bruité", poursuit le chercheur. Le cerveau, comme lorsque l’on regarde un écran composé de points blancs et noirs placés aléatoirement, va extraire une image correspondant à quelque chose qu’elle connaît. Cette perception est idiosyncratique, propre à chacun.
Ces "images auditives" personnalisées ont été apprises par les sujets pendant leur sommeil, selon les résultats de l’étude. Pour en avoir la certitude, les auteurs ont d’abord analysé les réactions comportementales des dormeurs à leur réveil, en leur diffusant d’un côté des sons présentés de manière récurrente pendant leur sommeil et de l’autre des sons auxquels les dormeurs n’avaient été exposés qu’une seule fois. Résultat : les chercheurs ont observé une meilleure performance cognitive sur les sons diffusés de nombreuses fois, preuve d’une forme d’apprentissage.
Ils ont également analysé l’activité cérébrale des sujets la nuit grâce à un électroencéphalogramme. Les marqueurs de l’apprentissage étant connus, les équipes du CNRS ont pu déterminer si les sons étaient mémorisés ou non, même en l’absence de réponses comportementales au réveil.
Le sommeil profond permet au contraire d’oublier ce qu’on apprend
La mémorisation n’est cependant possible que pendant le sommeil paradoxal et lors du sommeil lent léger. La phase de sommeil profond produit plutôt les effets inverses : elle supprime de la mémoire des sujets des sons appris précédemment. "Si on veut apprendre pendant le sommeil il faut cibler les bonnes phases", explique Thomas Andrillon. Cette capacité à oublier pourrait en réalité consolider la mémoire, en nettoyant notre cerveau, selon l’auteur.
Serait-il alors possible, par exemple, d’améliorer les performances scolaires des enfants en faisant travailler leur cerveau la nuit ? Possible, même si l’étude en question se limite aux bruits. Thomas Andrillon émet l’hypothèse que l’on pourrait, pendant notre sommeil, favoriser notre apprentissage d’une langue étrangère, en se familiarisant avec sa phonétique. Il semble en revanche improbable qu’en diffusant des mots et des phrases pendant la nuit il soit possible d’augmenter sa maîtrise du vocabulaire et de la grammaire.
Diffuser du son pendant notre sommeil, même pendant les phases propices à l’apprentissage, présente également un inconvénient : cela stimule notre cerveau, du moins certaines parties, alors qu’il est justement censé se reposer. "Il est possible que cela ne soit pas forcément avantageux", reconnaît Thomas Andrillon. De quoi donner du travail aux chercheurs pour évaluer les coûts et les avantages de l’école du sommeil.
(1) Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (CNRS/ENS Paris/EHESS) en collaboration avec le Laboratoire des systèmes perceptifs (CNRS/ENS Paris) et le Centre du sommeil et de la vigilance (AP-HP/université Paris Descartes) de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu - AP-HP
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