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L'assemblée nationale supprime le délit d'incitation à la maigreur excessive

L'Assemblée nationale a supprimé le délit d'incitation à la maigreur excessive du projet de loi santé, mercredi 25 novembre, en nouvelle lecture. Cet amendement visait notamment les sites internet dits "pro-ana" (pro-anorexie).
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
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Publié Mis à jour
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  (SYLVIE BOUCHARD / 46245345)

Entre 30.000 et 40.000 personnes, des adolescentes dans 90% des cas, souffrent d'anorexie mentale, une des pathologies psychiatriques ayant la plus forte mortalité. 

L'objectif était de sanctionner l'incitation à la maigreur excessive

A l'origine, cet amendement avait été déposé en avril 2015, par Olivier Véran (PS), député socialiste, soutenu par le gouvernement à cette époque. Leur but était de combattre les sites incitant à l'anorexie en les punissant d'un an de prison et de 10.000 euros d'amende.

Selon les parlementaires, la création d’un nouveau délit apparaissait alors comme nécessaire car les dispositions du Code pénal ne permettent pas de s’attaquer à l'action de certains sites Internet.

Aujourd'hui, les députés, y compris des élus Les Républicains, ont adopté un amendement de suppression porté par la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Lemorton (PS). La ministre de la Santé, Marisol Touraine, s'y est montrée favorable, affichant notamment le souci de ne pas "repousser vers la clandestinité des jeunes ou moins jeunes" touchés par l'anorexie.

Pourquoi cette disposition a-t-elle été supprimée ?

Non seulement le déli d'incitation à la maigreur excessive a "suscité une forte réaction des professionnels et des associations de prévention et de lutte contre les troubles alimentaires", mais "une récente étude scientifique a montré que les auteurs des sites web visés par cette disposition souffrent eux-mêmes de troubles du comportement alimentaire" et pourraient être encore plus fragilisés par une répression pénale, comme l'a expliqué Mme Lemorton lors de son exposé devant l'Assemblée nationale pour défendre la suppression de cette mesure.

En effet, selon le rapport du projet de recherche Anamia (2013) intitulé "Les jeunes et le web des troubles alimentaires : dépasser la notion de pro-ana", "l’apologie de l’anorexie est loin de représenter la totalité des postures et des pratiques dans ces communautés". (…) "Bien au contraire, les utilisateurs de ces sites s'en servent pour recréer une forme de "commensalité" et de partage autour de l'alimentation, que la maladie aurait autrement estompé."

De plus, le rapport explique que les internautes refusent rarement les soins, au contraire, ils recherchent un complément avec le système médical, surtout lorsque ce dernier ne peut pas les prendre en charge. La France compte seulement 22 structures spécialisées dans les TCA (troubles du comportement alimentaire), ce qui selon les professionnels de santé, reste insuffisant.

Un IMC minimal pour pouvoir exercer la profession de mannequin

Le gouvernement a fait retoucher, via un amendement, la mesure controversée soumettant l'activité de mannequin à un indice de masse corporelle (IMC) minimal pour lutter contre la maigreur excessive.

A la différence du Sénat (à majorité de droite) qui avait supprimé mi-septembre ce critère pour redonner sa place au médecin du travail, la modification votée entend compléter l'article pour que "l'IMC soit interprété à la lumière des autres paramètres à analyser, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé (morphologie, sexe, âge, histoire alimentaire, recherche d’absence de menstruation, de signes de dénutrition, etc)."

Des députés des groupes LR mais aussi de l'UDI ont échoué à faire supprimer toute référence à l’IMC. Ils ont invoqué entre autres un risque de censure du Conseil Constitutionnel pour discrimination à l’embauche

Début avril, celui qui était alors rapporteur du projet de loi, Olivier Véran (PS), avait affirmé que la mesure modifiant le Code du travail serait "contraignante" pour tout mannequin, y compris étranger, "désirant travailler sur le sol français".

Le Syndicat national des agences de mannequins (Synam) avait dénoncé un "amalgame entre anorexie et minceur" et une "stigmatisation" des agences.

Une maladie de la société dans son ensemble

Christophe Bagot, psychiatre spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire (TCA), pense au contraire que la stigmatisation se situe envers les personnes en surpoids. Selon lui, l'industrie de la mode souhaite augmenter ses marges grâce aux vêtements de petites tailles en diminuant la quantité de tissu. "Il y a une discrimination des gros de fait et une promotion des vêtements de petites taille". Il ajoute que dans certaines métiers où des critères de poids doivent être respectés, tels que la danse, le sport ou le mannequinat, il y a énormément de TCA".

Pour lui le problème est global et se situe au niveau de la société qui est dans "une logique pseudo anorexique. Il faut faire la différence entre un corps sain et un corps esthétique".

Christophe Bagot rappelle qu'il y a 25 ans les salles de sport actuelles n'existaient pas. "Cette généralisation des salles de sport a éclos en même temps que le développement des TCA". Pour lui, le narcissisme, la recherche du corps parfait et la course à la perte de calorie, qui se pratique seul dans une salle de sport, n'a plus rien de ludique.  Il faut sortir des logiques qui ne marchent pas : l'ère des régimes, le contrôle de la nourriture, l'obsession de la nourriture (qui concerne aussi les obèses) et chercher une autorégulation, c'est-à-dire un équilibre alimentaire sain qui écoute son corps sans se priver de la notion de plaisir tout en étant attentif au signal de satiété.

Enfin, le psychiatre explique que pour accompagner les personnes souffrant de troubles alimentaires, il faut des solutions individuelles avec des professionnels de santé spécialisés dans ce domaine.

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