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Vrai ou faux Covid-19 : les immigrés représentent-ils 50% des morts de l'épidémie en France ?

Les données d'état civil analysées par l'Insee révèlent que les personnes nées à l'étranger, dont beaucoup sont immigrées, ont été plus fortement touchées que les autres par le virus. Les conditions de vie moins favorables de ces populations expliqueraient cet écart. Pour autant, on ne peut pas affirmer qu'elles ont totalisé la moitié des morts dues au Covid-19 en France.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des soignants au chevet d'un patient, malade du Covid-19, sous assistance respiratoire dans une unité de soins intensifs du centre hospitalier intercommunal André-Grégoire de Montreuil, le 14 décembre 2021. (JULIEN DE ROSA / AFP)

La statistique a attiré l'attention de nombreux internautes sur les réseaux sociaux entre le vendredi 31 décembre et le dimanche 2 janvier : les immigrés représenteraient 50% des morts dues à l'épidémie de Covid-19 en France. Ce chiffre, qui aurait été publié par une universitaire dans un article paru dans une revue spécialisée, serait tiré de données de l'Insee. Mais est-il vrai ou fake ?

Captures d'écran anonymisées de tweets postés le 31 décembre 2021 et le 2 janvier 2022 au sujet de la mortalité des immigrés liée au Covid en France. (TWITTER)

La citation sujette à caution est extraite du troisième numéro de l'année 2021 de la Revue française des affaires sociales, dans laquelle sont publiées des réflexions sur des sujets de société. La phrase figure dans un article rédigé par une sociologue et intitulé : "La fabrique des inégalités de santé. Une réalité sociale trop souvent tue". Voici ce que l'on peut y lire à la page 120 : "Selon les dernières données de l'Insee, les immigrés comptent pour 50% de l'ensemble des décès dus à l'épidémie de coronavirus."

L'auteure reconnaît "une erreur"

Le chiffre est "faux" et l'auteure fait "une mauvaise lecture" des publications de l'Insee, juge Sylvie Le Minez, cheffe de l'unité des études démographiques et sociales au sein de l'institut national de la statistique. Sur Twitter, l'Insee a également démenti, lundi 3 janvier, être "la source de ce chiffre". L'auteure de l'article, Marguerite Cognet, enseignante-chercheuse en sciences sociales à l'université Paris-Diderot, reconnaît auprès de franceinfo "une erreur de reproduction" et assure que "cette phrase va être supprimée de la version en ligne" de son texte. Mais d'où vient l'erreur et que disent vraiment les chiffres de l'Insee ? 

Les données analysées par l'Insee ne concernent pas les immigrés, c'est-à-dire les personnes nées étrangères à l'étranger et résidant en France, selon la définition retenue par l'institut, mais les personnes nées à l'étranger. Or, "parmi les personnes nées à l'étranger, une grande partie sont immigrées, mais pas uniquement", précise Sylvie Le Minez. D'après l'estimation de la population faite par l'Insee en 2020, la France compte 8,5 millions d'habitants nés à l'étranger, dont 6,8 millions d'immigrés. Les 1,7 million de personnes restantes sont nées de nationalité française, mais hors du territoire français. Et "dans ces statistiques sur les décès, on ne distingue pas les personnes qui sont nées de nationalité française ou non française", explique Sylvie Le Minez.

Ces statistiques ne concernent pas non plus les morts uniquement imputables au Covid, mais toutes celles survenues au cours d'une année. En l'occurrence, en 2020, année à partir de laquelle l'épidémie a débuté en France. Comme il l'écrit dans ses publications, l'Insee étudie la mortalité à partir des données de l'état civil. "L'Insee dispose des bulletins de décès qui sont transmis par les mairies. Ce sont des décès toutes causes confondues", détaille Sylvie Le Minez. Il n'y a donc pas de distinction entre les différentes causes de décès. Par conséquent, "l'Insee ne mesure pas les décès liés au Covid", mais "l'évolution des décès toutes causes confondues".

Une surmortalité "indéniable" liée à l'épidémie

Pour autant, il est "indéniable" qu'"il y a eu une surmortalité des personnes nées à l'étranger par rapport à celles nées en France" durant la première année de Covid-19, confirme Sylvie Le Minez. Mais ça ne représente pas la moitié des décès survenus en 2020. Explications : l'Insee a publié le 16 avril 2021 une étude portant sur la mortalité en 2020. Les auteurs ont notamment observé une "hausse plus forte" de la mortalité "pour les personnes nées à l'étranger que pour celles nées en France", "surtout en mars-avril", soit pendant la première vague de l'épidémie. 

En France, les décès ont augmenté de 9% en 2020 par rapport à 2019. Il y a "de l'ordre de 56 000 décès en plus", chiffre Sylvie Le Minez. "Cette augmentation des décès est en grande partie liée au Covid, reconnaît la cadre de l'Insee. Mais d'autres causes de décès ont pu varier à la hausse ou à la baisse entre ces deux années." Et on observe bien, de manière globale, que l'augmentation a été plus de deux fois plus élevée pour les personnes nées à l'étranger comparées à celles nées en France (+17% contre +8%). La hausse de la mortalité a été bien plus importante encore en mars et avril 2020, comparée à la même période en 2019 : +49% pour les décès de personnes nées à l'étranger, contre +23% pour les décès de personnes nées en France. 

Ces 56 000 morts en plus observées en 2020, largement imputables au Covid-19, concernent à 76% environ des personnes nées en France et à 24% environ des personnes nées à l'étranger, ajoute Sylvie Le Minez. Un quart, donc, et non la moitié comme c'est écrit dans l'article partagé sur les réseaux sociaux. "Cette statistique de 24% est absolument considérable", note toutefois la responsable de l'unité des études démographiques et sociales à l'Insee, "parce que la population née à l'étranger, début 2020 en France, représente 12,7% de la population totale."

Une population plus exposée au virus

Cette surmortalité constatée chez les personnes nées à l'étranger depuis le début de l'épidémie de Covid-19, confirmée par l'Insee dans une autre publication fin novembre 2021, a été étudiée par les statisticiens, les démographes ou les épidémiologistes pour en identifier les raisons. Il apparaît que celles-ci sont avant tout liées à des facteurs socio-économiques et démographiques. Cette population, en grande partie immigrée, est "surreprésentée parmi les travailleurs des métiers dits en première ligne, très exposés pendant la première vague, notamment", relève Myriam Khlat, directrice de recherche à l'Ined et spécialiste de l'étude démographique de la mortalité des immigrés. "Au début de l'épidémie, la protection n'était pas suffisante, rappelle la démographe. On n'avait pas encore de masques, on n'utilisait pas suffisamment de gel hydroalcoolique."

Ces personnes sont aussi "plus nombreuses à prendre les transports en commun", ajoute Myriam Khlat. Elles y côtoient plus de monde et s'y exposent à un plus grand risque de contamination. Autre explication avancée : elles "habitent dans des quartiers et des logements plus denses""Le fait d'avoir beaucoup de contacts et d'être dans une population où il y a plus de contaminés, dans une épidémie, ça crée des clusters et un effet boule de neige", fait remarquer Anne-Sophie Jannot, spécialiste en épidémiologie et biostatistique à l'hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris.

Enfin, "du point de vue de la santé, elles ont plus de facteurs de risque qui conduisent à des formes graves de la maladie", poursuit Myriam Khlat. Analysant ces travaux de l'Insee, les sociologues Solène Brun et Patrick Simon, spécialistes des questions d'immigration et de discrimination, rappelaient en juillet 2020 dans la revue Contretemps que le diabète comme les maladies respiratoires sont surreprésentés dans certaines populations immigrées.

"Les facteurs sociaux priment"

La démographe Myriam Khlat liste encore d'autres facteurs : les difficultés matérielles liées aux manque de ressources financières, les discriminations auxquelles ces populations sont confrontées, les difficultés rencontrées dans l'accès aux soins, la barrière de la langue, ou encore les différences culturelles... "Ce cumul explique l'impact disproportionné de la pandémie sur ces populations", estime l'experte. Autant de raisons également identifiées par Solène Brun et Patrick Simon dans leurs travaux résumés par l'Ined en juin 2020 sur la surmortalité constatée en Seine-Saint-Denis, département à forte population immigrée et à faible niveau de vie. 

"Les facteurs sociaux priment, confirme Anne-Sophie Jannot. Le Covid touche plus facilement les populations précaires, or il y a souvent un lien entre précarité et immigration." Publiés en octobre 2020 par la Drees (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques), les premiers résultats de l'enquête nationale EpiCov (PDF), réalisée sur un échantillon représentatif de la population, le soulignent. L'étude a porté sur la séroprévalence du Sars-CoV-2, c'est-à-dire la proportion de personnes ayant développé des anticorps contre le virus responsable du Covid. Celle-ci a été estimée à partir des prélèvements réalisés à la sortie du confinement, en mai 2020 (alors qu'il n'y avait pas encore de vaccin).

Cette séroprévalence apparaît "deux fois plus élevée" chez les personnes immigrées venus de pays hors Europe, que chez les personnes non immigrées (9,4%, contre 4,1% chez les non immigrés). Ce pourcentage est comparable à ceux observés dans les départements les plus touchés par la première vague de l'épidémie : Paris (9%), les départements de la petite couronne (9,5%) et le Haut-Rhin (10,8%). "Les personnes nées à l'étranger résident plus souvent dans les régions les plus touchées par l'épidémie, en Ile-de-France notamment", fait remarquer Sylvie Le Minez.

L'écart de séroprévalence est identique entre les habitants d'un logement surpeuplé (9,3%) ou non surpeuplé (4,3%). Il est également proche de celui relevé chez les personnes vivant dans un quartier prioritaire de politique de la ville (QPV) : 8,2% contre 4,2% pour le reste du territoire. "Les conditions de vie des immigrés souvent moins favorables que celles du reste de la population française expliquent très probablement" cette plus forte exposition au virus, résume la Drees.

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