: Vrai ou faux Covid-19 : Jean-Michel Blanquer a-t-il raison de dire qu'il n'y a pas d'"explosion" de l'épidémie à l'école ?
Les enfants sont certes plus dépistés qu'avant, mais les tests révèlent la forte circulation du virus à l'école. Et, s'ils sont bien moins exposés aux formes graves de la maladie, les jeunes représentent un risque de contamination pour les adultes qui les entourent.
En pleine cinquième vague de l'épidémie de Covid-19 et à l'approche des fêtes de fin d'année, les contaminations constatées chez les enfants inquiètent. Pourtant, le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, s'est voulu rassurant, mardi 7 décembre au micro de RTL. "On ne peut pas dire qu'il y ait une explosion. Le mot est trop fort, a-t-il nuancé. Il y a un taux d'incidence qui est en train d'augmenter." Le ministre a avancé une explication : "C'est tout simplement parce qu'on fait beaucoup plus de tests chez les enfants. (...) Ce qui a explosé, c'est le nombre de tests faits pour les enfants." Jean-Michel Blanquer dit-il vrai ou "fake" ?
Des contaminations en hausse chez les enfants
Semaine après semaine, les chiffres de Santé publique France (SPF) confirment la flambée épidémique. Dans toutes les classes d'âge certes, mais chez les plus jeunes en particulier. Le taux d'incidence (c'est-à-dire le nombre de nouvelles contaminations détectées sur une semaine rapportées à une population de 100 000 personnes) grimpe en flèche.
Au 5 décembre, le taux d'incidence atteint 578 chez les moins de 10 ans, contre 431 dans le reste de la population. En un mois, la hausse est vertigineuse : plus 1 019%. Une progression deux fois plus forte chez les 0-9 ans que dans le reste de la population.
Si l'on s'intéresse aux classes d'âge scolaires, c'est en élémentaire et au collège que le taux d'incidence est le plus élevé. La semaine du 29 novembre, le taux d'incidence des 6-10 ans culminait à 988 et celui des 11-14 ans à 609, selon les données de SPF. L'augmentation a été respectivement de 1 264% et 860% en un mois.
Une population plus testée qu'avant…
Mais, comme le relève Jean-Michel Blanquer, le nombre de tests pratiqués est lui aussi en forte augmentation, notamment chez les plus jeunes. Au 5 décembre, le taux de dépistage (le nombre de personnes testées sur une semaine rapporté à une population de 100 000 habitants) s'envole à 12 800 chez les moins de 10 ans, contre 6 889 dans le reste de la population.
Le dépistage du Covid chez les 0-9 ans a progressé de 1 703% en un mois. Soit 12 fois plus que dans le reste de la population. Au sein des classes d'âge scolaires, ce sont les élèves d'élémentaire, maternelle et collège qui sont le plus testés. Le taux de dépistage y atteignait respectivement 18 977, 11 500 et 9 562 au 29 novembre.
"On teste plus. C'est sûr que ça peut faire augmenter le nombre de résultats positifs", confirme Christèle Gras-Le Guen, cheffe du service de pédiatrie au CHU de Nantes et présidente de la Société française de pédiatrie.
"Initialement, on n'avait que les tests PCR, avec des écouvillons pas très agréables, qu'on réservait avant tout aux enfants avec des symptômes. Pendant un temps, on a donc surtout testé les enfants avec des symptômes. Aujourd'hui, on a des tests moins traumatiques, qui permettent de tester plus d'enfants", fait remarquer la pédiatre, évoquant les tests antigéniques et les prélèvements salivaires. Si les enfants avaient été plus testés au cours des quatre précédentes vagues, le taux d'incidence au sein de cette population aurait donc peut-être été plus élevé.
… mais un taux de positivité qui ne baisse pas
Toutefois, l'observation d'un troisième indicateur semble contredire l'argument du ministre de l'Education nationale : le taux de positivité (c'est-à-dire le nombre de personnes testées positives par rapport au nombre de personnes testées).
Plus on teste largement une population, plus on a de chances de trouver des personnes testées négatives, comme l'a déjà expliqué franceinfo. Une politique de dépistage massive entraîne donc une baisse du taux de positivité des tests. Or ce n'est pas tout à fait ce que l'on constate actuellement avec les enfants.
Chez les moins de 10 ans, le taux de positivité des tests a certes chuté de près de 32% en un mois, passant de 6,7% au 5 novembre à 4,6 % au 5 décembre. Mais depuis la mi-novembre, ce taux s'est stabilisé, alors même que les enfants étaient de plus en plus testés.
L'immunologue Frédéric Altare, directeur de recherche à l'Inserm à Nantes, souligne "une contradiction" dans l'argumentaire de Jean-Michel Blanquer. "On trouve peut-être beaucoup de cas à l'école, parce qu'on les détecte davantage maintenant. Mais cela ne veut pas dire que cela ne flambe pas dans les écoles. Cela veut dire qu'il était temps de les diagnostiquer. Le chiffre en lui-même est grave."
Un quatrième indicateur, le taux de reproduction (autrement dit le nombre de personnes infectées en moyenne par une personne contaminée), confirme l'importance de la vague épidémique à l'école. Il a été calculé dans une modélisation coordonnée par l'épidémiologiste Vittoria Colizza, directrice de recherche à l'Inserm, et prépubliée jeudi 9 décembre (lien en PDF).
Avec le variant Alpha, le taux de reproduction du virus était évalué à 1,4 à l'école élémentaire et de 1,46 dans le secondaire, durant la vague épidémique du printemps 2021. Mais avec le variant Delta, plus contagieux, le taux de reproduction est désormais estimé à 1,66 en élémentaire, contre 1,4 dans la population générale. Il est en revanche évalué à 1,10 dans le secondaire. Un écart attribué à la vaccination, celle-ci n'étant pas encore ouverte à tous les enfants de moins de 11 ans, alors que 76,2% des 12-17 ans sont complètement vaccinés, selon SPF.
"Les enfants sont une source majeure de contamination"
Les plus jeunes sont "une population à risque majeur de circulation du virus, souligne l'immunologue Frédéric Altare. C'était un peu moins le cas avec la souche initiale, mais le variant Delta est tellement plus contagieux qu'il se transmet même chez les enfants. Ceux-ci restent asymptomatiques majoritairement, mais ils transmettent le virus."
S'ils sont bien moins souvent hospitalisés pour Covid que leurs aînés, ils représentent un risque potentiel de contamination pour leurs proches adultes. Le quatrième volet de l'étude épidémiologique ComCor sur les circonstances et les lieux de contamination, piloté par l'Institut Pasteur et publié dans le Lancet le 25 novembre, a mis en évidence que, chez les plus de 40 ans, la présence d'enfants dans l'entourage est associée à un sur-risque d'infection qui va de +30% si ce sont des collégiens à +90% si ce sont des enfants de moins de 3 ans. "Les enfants sont une source majeure de contamination", insiste Frédéric Altare. "Ils ne sont pas le moteur de l'épidémie, mais ils participent bien sûr à la circulation du virus", confirme Christèle Gras-Le Guen.
"On n'a pas appliqué aux enfants les mesures barrières mises en place pour les plus grands, comme si on considérait que les enfants ne pouvaient pas être infectés ni transmettre le virus."
Frédéric Altare, immunologueà franceinfo
"A ces âges-là, poursuit l'immunologue, ils ne portent pas le masque le plus souvent. [Le port du masque est redevenu obligatoire à l'école dès le CP avec le nouveau protocole sanitaire.] Ils ne sont pas soumis au pass sanitaire. Ils ne sont pas vaccinés, parce qu'ils n'ont pas encore l'âge de l'être. Ils sont donc à risque de produire beaucoup plus de virus que les adultes quand ils l'attrapent."
Le scientifique pointe "une erreur majeure" : l'assouplissement du protocole sanitaire à l'école au mauvais moment. "La doctrine au début, c'était : s'il y a un cas dans une classe, on ferme la classe. Mais alors que l'épidémie remontait, il y a quelques semaines, on a inversé la logique. On a dit : quand il y a un cas, on ne ferme plus la classe, on se contente de tester. On a fait l'inverse de ce qu'il fallait faire."
La modélisation dirigée par l'Inserm plaide pour un autre protocole, dit "itératif". En testant toutes les semaines au moins trois quarts des élèves d'une même classe, sans attendre l'apparition d'un cas de Covid, un tiers des contaminations seraient évitées, en élémentaire comme dans le secondaire. Frédéric Altare l'assure : "Il y aurait moins de cas chez les adultes si on avait pris des mesures dès le mois d'octobre, dès que ça commençait à repartir, en surveillant beaucoup mieux les petites classes."
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